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Photo Shanghai 2015

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M’inquiétant des effets de lassitude à l’image après deux jours passés à la foire, je me suis tiré du lit malgré tout et je décide d’essayer l’aile « VIP ». A l’entrée de l’aile Ouest réservée aux VIP, je suis accueilli par les expositions de deux jeunes femmes photographes pleines de talent : la galerie Gagosian a apporté à Shanghai « Birds of the West Indies” de Taryn Simon, une exposition de qualité muséale, une première en Asie, avec cent cinquante-six petits tirages 30x40cm encadrés en noir. La série de petits tirages est une scénographie typique de Taryn Simon, elle s’affiche comme les pages d’un catalogue taxonomique de femmes, d’armes à feu et de voitures de sport qui sont des éléments récurrents dans les films de James Bond; le nom vient d’une vraie personne : James Bond était un américain ornithologue (1900-1989). Ce qui fait l’exposition la plus intellectuellement stimulante de Photo Shanghai.

Un grand mur blanc avec deux grands logos en lettres noires « Chen Man X Hublot» forme la ligne de démarcation entre petits tirages et grands formats.  La talentueuse artiste de Pékin Chen Man, souvent décrite comme « la photographe de mode la plus chère de Chine » fait une brillante démonstration de son traitement sophistiqué des images de mode pour Dior ou pour Hublot,  à côté de quatre déesses géantes  représentant les quatre saisons qui font penser à des héroïnes de mangas sensuelles. Après Gagosian et Hublot, le show-room De Beers présente des portraits de femmes par la fille de Paul (des Beatles), Mary McCartney, dans une scénographie fade et décevante.

Sur le stand Swarovski, je suis allé saluer Eric Valli que j’ai rencontré il y a quatorze ans quand il installait ses grands tirages « Himalaya » sur les grilles du Jardin de Luxembourg. Il était en train de dédicacer consciencieusement son gros livre «Living Yangtze», dont exposition a lieu dans le Jardin de Jing’an à Shanghai; dans la tradition des auteurs français, Eric prend le temps de bavarder avec chaque acheteur et d’écrire une dédicace avant d’apposer son autographe. Eric me dit son étonnement devant les changements rapides de la Chine, et surtout dans le domaine de la photographie. Cela fait un drôle d’effet de le voir arriver de si loin, comme s’il était descendu depuis l’air pur de l’Himalaya pour venir dans cette méga-cité hyper-compétitive, matérialiste, embouteillée et obsédée par l’argent.

A la sortie je suis tombé sur Yann Layma rayonnant de bonheur : il vient de recevoir un prix au festival de photo de Datong, un tirage de lui vient d’être vendu à un collectionneur, la télévision par satellite de Zhejiang se prépare à tourner un documentaire sur sa vie.

L’espace qu’occupe Photo Shanghai dans l’ancien palais de l’amitié sino-soviétique est organisé comme au théâtre: il y a les sièges « balcon » à l’étage supérieur et les places « orchestre » au rez-de-chaussée. Il va sans dire que les grandes galeries connues sont dans l’orchestre. En ce dernier jour de Photo Shanghai, un dimanche, l’allée du « balcon » était bondée, et les galeries chinoises et internationales s’affairaient à répondre aux questions des visiteurs 99 % de chinois, qui ne se sont pas laissés décourager par le billet d’entrée qui a doublé par rapport à l’an dernier. (A 100 yuans * = environ 15 euros).

J’ai remarqué que les amateurs Chinois adoraient manipuler les tirages présentés sous des feuilles protectrices transparentes, disposés dans des boîtes sur les tables, et sans se soucier des gants blancs pourtant mis à leur disposition. C’était carrément une atmosphère de marché aux fruits et légumes. Les pastilles rouges commençaient à fleurir sur les cartels de prix, et la plus part des galeristes avaient l’air satisfaits. Je lance au hasard “ça mord?” L’un d’eux m’a répondu: « petits poissons, gros poissons, plein de poissons ! » Quelques uns m’ont dit: ça ne mord pas du tout. Certains avaient été présents l’an dernier, d’autres participaient pour la première fois. Une galerie de Shanghai affichait les œuvres de vingt et un photographes chinois! Une galerie internationale présentait de magnifiques tirages d’une artiste coréenne, hélas inconnue en Chine, une galerie de Taipei a monté une exposition solo pour un photographe taïwanais inconnu en Chine avec trois grandes photos très noires et sombres, qui n’ont pas convaincu le public.

Je pense qu’il y a encore une barrière psychologique pour les collectionneurs chinois: ils choisissent d’abord les grands noms, puis ils s’intéressent aux photographes « étrangers » qui affichent des prix élevés, c’est enfin qu’ils achètent des artistes chinois connus. Quelques amateurs de photo chinois m’ont avoué qu’ils ne se risqueraient pas à acheter des artistes de Taiwan, de Hong Kong et de Singapour…

Perdu dans une allée grouillante de monde, j’ai été sauvé par Alexander Montague, qui m’a guidé vers le stand de Magnum; j’ai été soulagé de revoir des visages familiers et les chiens d’Elliott Erwitt, toujours très populaires. Certains photographes chinois ont même apporté trépieds et gros appareils photo reflex numériques pour photographier à bout portant les célèbres pattes de chien d’Elliott. Tandis que des tirages vintage de Werner Bischof sur Hong Kong 1952 demeuraient à l’abandon sur un coin du mur. Magnum a pourtant fait un effort d’accrocher deux grands tirages couleur, un Harry Gruyaert et un Martin Parr; mais les fans inconditionnels de Magnum ont été déçus, en comparaison à l’engouement de l’an passé.

Photo Shanghai 2015 semble nettement orienté vers des tirages de grande taille plus contemporains, plus décoratifs, davantage conceptuels et de plus en plus sophistiqués. Dans la tranche des prix élevés à 100 000 euros et plus, une galerie chinoise propose un tirage argentique de la Montagne Jaune (tirage vintage unique) à un demi-million de dollars U.S., ce qui a fait jaser parmi les collectionneurs et les photographes chinois sur le site qui ont fait la comparaison avec le tirage « Arielle après sa coupe de cheveux » d’Helmut Newton étiqueté à 300,000 euros.

S’il y a une réussite, c’est que Photo Shanghai a ouvert les yeux des amateurs et collectionneurs chinois aux concepts de vintage, d’édition limitée, de tirage argentique contre tirage numérique, tirage platine ou palladium (dont les plus beaux exemplaires se trouvent sur les stands d’Amanasalto et de Taka Ishii – même Araki a produit un tirage platine!), etc. Ce phénomène seul constitue une indication pour la future édition de Photo Shanghai. Un collectionneur occidental, résident de longue date à Shanghai, s’est même émerveillé après avoir assisté à un atelier sur les plaques de verre au collodion organisé par un photographe chinois !

S’il existe un processus d’apprentissage pour les galeries, cela consiste d’abord à comprendre ce qui marche et quelles œuvres apporter à Shanghai, à choisir entre expo solo ou non, et à soigner la scénographie. Je suis désolé pour Roger Ballen: l’année dernière sa présence avait été accueillie avec enthousiasme, même si ses tirages ne se vendaient pas, hélas cette année encore les acheteurs chinois de se montrent pas encore prêts pour Roger Ballen.

Quelle est la distance qui sépare les collectionneurs chinois des collectionneurs de Paris Photo ? Voilà la bonne question.

Timeless Gallery de Pékin a proposé une présentation cohérente de « Weston, trois générations », avec les natures mortes et les paysages d’Edward Weston, de son fils Cole Weston et de son petit-fils Kim Weston.  Les tirages de Kim, aux prix raisonnables et signés d’un nom prestigieux se sont très bien vendus.

Il s’agit vraiment de comprendre la psychologie des acheteurs chinois. Une galerie a appris sa leçon de l’an dernier et a opté cette année pour une politique de “pas de pastille rouge”, ce qui ne veut pas dire qu’il y n’a pas de vente. Une des œuvres les plus chères de l’année dernière était un tirage de Herb Ritts représentant une robe de Versace (vue de dos); un collectionneur chinois a réservé le tirage, la galerie a posé un pastille rouge dessus, les médias chinois ont répandu la nouvelle que le tirage était vendu, et l’acheteur, en apprenant la nouvelle, a cru que la galerie avait vendu à quelqu’un d’autre, et il a donc annulé son option: cette robe de Versace a finalement quitté Shanghai sans trouver d’ acquéreur.

Enfin et surtout, ce que je regrette le plus personnellement, c’est l’absence d’une section de livres photo, comme celle que j’ai toujours plaisir à visiter à Paris Photo. Tant que la Chine maintiendra une censure sur les livres de photographie, les amateurs devront peut-être se contenter de consulter Amazon via les réseaux privés  virtuels pendant encore longtemps.

Jean Loh

FOIRE
Photo Shanghai
11-13 septembre 2015
Shanghai

http://www.photoshanghai.org

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