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Norman Seeff : “Le Chelsea Hôtel, c’était Orange Mécanique”

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Né le 5 mars 1939 à Johannesburg en Afrique du Sud, Norman Seeff est photographe et réalisateur depuis 45 ans. Il a saisi dans leur intimité des visages célèbres dans le monde entier, de Ray Charles à Carly Simon en passant par Robert Mapplethorpe et Andy Warhol. L’authenticité de ces images reflète son talent de communiquant, témoignant du processus créatif, de la passion et de ce qui fait la personnalité des novateurs.

En 1969, il a déménagé aux Etats-Unis pour poursuivre ses passions créatives et développer ses talents artistiques. Peu de temps après son arrivée à New York, le célèbre designer graphique Bob Cato a découvert ses portraits des personnalités qu’il avait rencontrées à Manhattan. Cato a alors fait connaître à Seeff le monde des pochettes d’albums, et sa première grande commande photographique pour The Band lui a apporté une reconnaissance immédiate. Ses archives filmiques de plus de 400 tournages avec des artistes issus du monde de la musique, des réalisateurs, des auteurs, des personnalités de la télévision, des scientifiques, des visionnaires et des entrepreneurs, offrent un aperçu unique sur ces artistes et ces pionniers en plein acte de création.

Lorsque vous aviez une vingtaine d’années, vous avez pratiqué la médecine pendant quelques années en Afrique du Sud, où vous êtes nés. Qu’est-ce qui vous a amené à déménager à New York en 1968 afin de poursuivre votre carrière photographique ?

Je travaillais comme urgentiste à Soweto, dans la banlieue Johannesburg, en plein apartheid. La situation devenait assez dangereuse pour moi parce que j’étais contre l’apartheid, et que le gouvernement n’aimait ni mes idées politiques ni mes amis, qui étaient tous activistes. Depuis l’enfance, j’avais toujours été fasciné par le fonctionnement scientifique des choses et j’avais un talent inné pour le dessin. Est-ce que je voulais suivre la voie de l’expression créative ou devenir médecin et soignant ? Je pensais à l’époque que la médecine consistait à soigner, mais j’ai découvert qu’il s’agissait en fait juste de réparer. Je voulais trouver quels étaient ma voie et mon vrai rêve. Sous le coup d’une impulsion, je me suis réveillé un matin en me disant que j’allais partir. J’ai fait mes bagages en quelques semaines et je me suis décidé à aller à New York.

Pourquoi avoir choisi New York plutôt que n’importe où ailleurs dans le monde ?

Je voulais allais vers ce que je considérais comme l’endroit le plus exaltant, le plus en avance, mais je me suis rendu compte à ma grande terreur qu’il ne suffisait pas de débarquer en disant : « Bon, je vais commencer une nouvelle carrière. » J’ai découvert que les gens se moquaient bien de savoir qui étaient les autres, parce que tout le monde tentait de s’en sortir dans ce lieu incroyablement compétitif et écrasant, où des milliers de jeunes photographes voulaient trouver du travail. Au bout de quatre mois, je n’avais pas gagné un seul dollar, et il était interdit de faire venir de l’argent d’Afrique du Sud. J’étais donc à deux doigts de mourir de faim dans la rue et je me suis dit que tout ce rêve romantique de l’artiste était une illusion. Je me suis alors résolu à faire une séance photo par jour : j’allais là où je trouvais des gens intéressants, notamment dans un club qui s’appelait le Max’s Kansas City. A ce moment là, c’était une sorte de noyau de la sous-culture, où venaient Andy Warhol et sa clique et où trainaient aussi Robert Mapplethorpe et Patti Smith. Il y avait tout un tas de musiciens, d’artistes et de cinglés.

Comment vous êtes vous retrouvé à photographier Patti Smith et Robert Mapplethorpe ?

Je voyais ces deux personnes si expressives dans leur façon de s’habiller. Ils avaient une personnalité et une façon de communiquer complètement nouvelles pour moi. Lorsque je les ai rencontrés, ils étaient sans doute assis au bar. J’ai dit : « Vous avec un look incroyable. Je pourrais faire une séance photo avec vous ? ». Et nous sommes finalement devenus amis. Comme j’étais hébergé à l’époque chez deux types qui étaient photographes, j’avais accès à un studio et à une chambre noire. Robert et Patti sont venus et je les ai pris des photos. Elle avait fabriqué un collier avec des têtes de mort que Robert portait pour la première fois. Pour moi, à l’époque, c’était juste un moyen de me constituer un portfolio : qui aurait pu savoir qu’ils deviendraient des artistes aussi intéressants et reconnus ? Quand j’ai demandé à Robert ce qu’il faisait, il m’a dit qu’il était artiste aérographe. Il m’a ensuite demandé s’il pouvait travailler sur l’une de mes photos. Je lui en ai donc donné deux, et je n’y ai plus vraiment repensé. Deux semaines plus tard, je l’ai de nouveau pris en photo avec d’autres amis, et il a apporté mes deux tirages sur lesquels il avait peint à l’aérographe. J’étais sidéré. Son travail était magnifique. A cette époque, il m’a dit : « Je songe vraiment à devenir photographe. Ca te dérangerait que je vienne faire un tour sur tes séances pour te regarder faire ? » Je me suis dit que je ne savais pas moi-même comment je travaillais. Bien sûr, l’histoire est ensuite devenue l’Histoire. Et les gens adorent ces photos d’eux.

Vous avez fini par vivre au Chelsea Hotel pendant un moment. 

Patti vivait avec un écrivain et m’a invité au Chelsea pour que je rencontre son réseau d’amis sur place. J’ai fini par y déménager pendant un petit moment parce que j’avais une relation avec l‘une des mannequins d’Avedon chez qui je me suis installé. Le Chelsea, c’était Orange mécanique. Une maison de fous. Il y avait des gens vraiment merveilleux qui venaient de partout, mais ce qui était génial, c’est que c’était un hôtel, dont on pouvait faire sa maison pour un mois seulement. Tout ce que je faisais était une découverte : qui sont ces gens ? Quelles sont leurs originales sociales ? Leurs centres d’intérêt ? Comment s’expriment-ils ? Qu’elle est l’expression culturelle de l’époque ? C’était passionnant, parce que c’était la naissance de la Factory. C’était aussi les débuts des Rolling Stones et des Beatles : la musique était la plus grande force sociale et politique. En quelques six mois, je me suis retrouvé au milieu de toute cette sous-culture. J’avais l’impression qu’elle m’accueillait et que j’en faisais partie. Mais c’était une époque difficile pour gagner chaque jour de quoi manger.

Comment avez-vous fini par créer votre première pochette d’album ?

La situation a été difficile pendant un an et demi, et j’ai finalement rencontré un directeur artistique célèbre dans le monde de la musique. C’était une sorte de légende qui s’appelait Bob Cato. Quand il a regardé mon portfolio, j’ai vu des larmes dans ses yeux. Il m’a ouvert les portes et offert ma première séance avec The Band à Woodstock. Cette pochette est devenue un poster que l’on voyait partout en ville. Alors que je n’arrivais pas à décrocher un rendez-vous avant, je me suis retrouvé d’un seul coup à recevoir des appels de directeurs artistiques qui voulaient me voir. Le truc, c’est que je ne savais pas que le milieu de la musique était si important et qu’on pouvait gagner sa vie en prenant les groupes en photos et en faisant des pochettes d’albums. Ca a été une révélation. Avec l’aide de Bob, j’ai donc intégré le milieu de la musique, et comme j’étais aussi un artiste visuel, j’ai commencé à dessiner des pochettes d’albums et à gagner de l’argent en tant que graphiste. D’un seul coup, j’étais à la mode.

Notamment dans les années 1970, à l’époque où vous avez commencé à faire des photos pour des pochettes d’albums comme ceux de Frank Zappa ou Johnny Cash, quel regard portiez-vous sur la place de ces pochettes dans la culture au sens large ?

Je le dis avec ironie, mais les pochettes d’album sont devenues presque des icones religieuses. C’étaient elles qui disaient comment il fallait s’habiller et quelle attitude il fallait adopter. Plus tard, j’ai fait les photos pour Exile on Main Street : le style des Rolling Stones sur cette pochette a beaucoup influencé la mode de l’époque. L’attitude, l’état d’esprit général, c’était un peu : « Eh, il faut vivre de cette façon parce que c’est ce qui est à la mode. » A la base, les pochettes n’étaient qu’un emballage pour le produit, mais ce qui est intéressant c’est qu’elles sont devenues à l’époque des œuvres en soi. Les Rolling Stones ont eu une série de pochettes qui étaient en un sens révolutionnaires. Ils ne travaillaient qu’avec des gens qu’ils pensaient capables de repousser les limites et de faire ce que personne d’autre ne faisait. Il y avait beaucoup de pression quand on voulait produire quelque chose qui soit un « moment Stones ».

Parlez-nous du temps que vous avez passé avec Joni Mitchell. Vous l’avez photographiée à de nombreuses reprises, n’est-ce pas ?

A peu près dix, à différentes phases de sa carrière. C’est une personne très intéressante à prendre en photo car c’est une artiste visuelle autant qu’une musicienne. Elle avait un esprit conceptuel. Contrairement à beaucoup de gens qui aiment tout ce qu’on leur propose, Joni voulait toujours arriver dans mon studio avec une idée. Ce n’est pas comme ça que je travaillais au début. Je disais : « Allez, on va commencer et voir où ça nous mène. » Je n’aime pas les idées toutes prêtes, mais elle disait : « Non, non, non, j’ai cette idée. » Nos séances étaient toujours une sorte de lutte au début, mais au final, nous avons tous les deux donné à l’autre ce qu’il voulait. Je demandais aux artistes de jouer, de chanter, de danser et de faire des choses nouvelles. La séance était un happening où les gens réalisaient des performances spontanées, sans se contenter de rester là à se faire prendre en photo. Mais je pouvais tout aussi bien prendre les idées des Joni. C’était donc très précieux pour moi au final parce que je pouvais faire fonctionner ses idées sur le plan émotionnel. On avait un vrai éventail, une vraie variété de possibilités. Une fois, elle a débarqué au studio avec une meute de loups et on a dû installer une barrière électrique. Une autre, elle est arrivée déguisée en homme noir. On ne s’est même pas rendus compte que c’était elle quand elle est entrée parce qu’elle portait une tenue d’homme et qu’elle avait le visage peint en noir. J’avais dit à mon équipe de ne pas rater son arrivée. Et on attendait, on attendait, et je regardais la foule avec ce type noir qui dansait et portait tous ces bijoux et puis d’un coup je me suis dit : « Mais merde, c’est Joni. »

 

 

Cet entretien intègre une série menée par la Holden Luntz Gallery, basée à Palm Beach en Floride.

Entretien par Kyle Harris

 

Holden Luntz Gallery
332 Worth Ave
Palm Beach, Floride 33480
Etats-Unis

http://www.holdenluntz.com/

 

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