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New York, Fred Ritchin –What matters now?

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Fred Ritchin est professeur en photographie à la New York University’s Tisch School of the Arts, auteur de Au delà de la photographie (After photography), ancien éditeur au New York Times magazine ainsi que fondateur du programme photojournalistique de l’ICP. Face à l’inquiétude de voir la photographie de presse perdre son sens objectif et de verser dans l’hyperconsommation, il a lancé un projet d’exposition et de discussions intitulé What matters now ? Proposal of a new frontpage. La problématique : quelle sélection d’images doit-on aujourd’hui visionner pour une juste compréhension du monde et de ses enjeux ?

La réponse de cette « Première page » commune est d’offrir l’espace de murs blancs aux participants pour y afficher les images qu’ils considèrent importantes et en discuter, face à face. Cette sorte de café-philo, qui dans un premier temps se démarque du cyberespace d’internet, a accueilli durant dix jours des dizaines de participants dans les locaux d’Aperture, à New York. Le résultat est exposé à la fondation jusqu’au 24 septembre et laisse libre à la réflexion de chacun. A long terme, Fred Ritchin espère pouvoir monter une communauté capable de filtrer, dans un souci de diversité, les images importantes. « Un Facebook sur le monde, pas seulement sur les amis. »

Le monde visuel d’aujourd’hui est constitué de millions d’images en transit et relayées sur un nombre incalculable de plates-formes, physiques ou virtuelles. Le lecteur peut perdre du recul face à un phénomène d’une telle ampleur. Que représente votre projet qui a vu le jour dans les locaux d’Aperture ?

Fred Ritchin : C’est une stratégie possible en réponse à la passivité que les gens adoptent face à la masse d’images qu’ils reçoivent. Beaucoup d’Américains ne font aujourd’hui plus confiance aux journaux, qui pour moi n’abordent plus hiérarchiquement les priorités du monde. A l’époque de la guerre du Vietnam, nous avions tous vu les mêmes images fortes d’Eddie Adams ou des autres photographes présents sur le terrain. Nous étions obligés d’en discuter dans les lieux où nous nous rencontrions et de réagir. Aujourd’hui, pour les commémorations du 11-Septembre, beaucoup ne connaissaient pas toutes les images importantes de ce jour. Tim Hetherington et Chris Hondros sont décédés en avril dernier en Lybie et la majorité de mes élèves ne connaissaient pas leur travail. C’est nécessairement dû au fait qu’il n’existe plus de « Première Page » où tout le monde peut voir les mêmes photos. Nous avons une dette envers ces témoins qui travaillent pour nous. Si personne ne fait attention à ce qu’ils produisent, tout devient trop virtuel. Et c’est la tendance, on ne réagit plus, on tombe dans la facilité. Mon idée est de ramener le citoyen à ses responsabilités, pour qu’il n’ingurgite plus seulement les photographies du cyberespace mais qu’ils en discutent aussi dans un lieu dédié.

Donc, vous proposez de rassembler des images importantes et d’en discuter ici, à Aperture, avant d’étendre le projet sur une plate-forme web…

Fred Ritchin : Oui, c’est ce qu’il s’est passé pendant les 10 premiers jours qui ont servis à la mise en place de l’exposition. Les murs étaient blancs et ont été remplis d’images sur lesquelles nous avons discuté. Huxley a dit : « S’il y a trop de choses à savoir, on ne retient rien. » Il y a 60 milliards d’images sur Facebook. Même en ayant dix vies, je ne pourrais pas toutes les visionner. En Egypte, nous avons vu des milliers d’images circuler sur les réseaux sociaux et nous avons félicité ces initiatives. J’aurais pourtant aimé que l’on me fasse une synthèse de ces images pour voir, en une cinquantaine de photographies, ce qui reste important à savoir. C’est ce qui se passe dans un café, c’est ce qui s’est passé dans ce café recréé chez Aperture. C’est notre « Première Page ».

Vous trouvez donc que le public est devenu trop passif face aux images ?

Fred Ritchin : Oui. Il y a trop de renseignements, on n’essaye rien, on ne réagit pas. Il est facile de devenir cynique face aux tragédies que le monde vit aujourd’hui.

Est-ce un problème générationnel dû à l’explosion d’espaces virtuels de communication? Avons nous perdu un contact physique avec le monde ?

Fred Ritchin : Oui, c’est une vérité. Aujourd’hui, il y avait à peu près 60 élèves à qui on a demandé de retenir des images dans l’actualité et d’exprimer ce qu’ils en pensaient. J’ai eu l’impression que c’était la première fois de leur vie qu’ils avaient un échange, face à face, sur ces photographies ou sur des questions importantes. Aujourd’hui, dans un café, il y a un certain nombre d’individus attablés, devant un ordinateur, mais dont la présence n’est presque que virtuelle. Cela fait peur : c’est la porte ouverte aux rumeurs, à l’absence de raisonnement ou de conscience, à l’ignorance des peuples en souffrance. Hier, j’ai regardé Blade Runner et je me suis dit : « C’est dingue, la société actuelle ressemble beaucoup à celle de ce film. »

Vous faites une critique de la quantité d’images en production ?

Fred Ritchin : Pas nécessairement. C’est plus une question de perte d’objectivité, même si je n’aime pas vraiment le mot. Dans les dix dernières années, je n’ai vu que des reportages photo en Afghanistan qui me montraient des soldats, des batailles, des morts. J’aurais plus voulu une variété d’images montrant aussi le quotidien ou la culture de ce peuple. Simon Norfolk a dit ici que « les photographes en Afghanistan ne font rien d’autre que montrer les mêmes images et ne connaissent que rarement l’histoire du pays ». On peut aussi parler de manipulation ou de guerre d’images. A Arles, un Tunisien m’a expliqué que les images produites étaient un moyen de gagner la révolution. Cela sort du témoignage, ce but précis subordonnant le rôle propre d’une image, à savoir l’information.

C’est pour cela que, dans votre table ronde, vous avez mis en avant le portrait de cette artiste nigériane, Asha, en opposition aux images de famine que l’on peut avoir l’habitude de voir lorsqu’on évoque ce pays ?

Fred Ritchin : Oui. Les gens ont pris l’habitude des stéréotypes et oublient le reste. Aux Etats-Unis, les gens ont tendance à croire qu’ils sont supérieurs et de considérer certains peuples comme des victimes. C’est ce qui ressort des journaux. Mais on ne se rend pas compte qu’aujourd’hui ce pays est dans la merde. Il est très pénible de savoir ce qui se passe. Tout le monde voit beaucoup mais ne voit, en réalité, rien. Nous ne sommes pas vraiment des citoyens en ce moment, seulement des spectateurs consommateurs d’images.

Propos recueillis par Jonas Cuénin

What matters now ? Proposal for a new frontpage
Jusqu’au 24 septembre 2011

Fondation Aperture

547 W 27th Street
New York, NY 10001
(212) 505-5555

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