Depuis plus de 10 ans, la photographe tunisienne Mouna Karray mène un travail lié à des questions personnelles et identitaires. Ses photographies ont été exposées dans diverses expositions comme la Biennale de Bamako en 2007 et 2011, au festival PhotoQuai en 2009 et dernièrement pendant Marseille, capitale de la culture européenne 2013 dans l’exposition Ici, ailleurs, à la Friche la Belle de Mai.
Dès 2005, on découvrait sa série intrigante Au risque de l’identité, dans laquelle elle adoptait la posture et la tenue d’autres femmes dans leurs intérieurs pour questionner l’identité, la ressemblance et la différence. En 2007, son travail Murmurer soulève l’idée de la frontière et l’entre-deux. Cette série noir et blanc augure les prémices d’une réflexion sur les limites.
Dans sa série Noir, initiée en 2011 après la révolution tunisienne, la photographe parle d’enfermement. A travers 8 photographies en noir et blanc au format carré, Mouna Karray s’est mise en scène enfermée dans un drap blanc. Seul dépasse, sa main visible actionnant la prise de vue. « Mon corps est emprisonné, contraint, mais créateur », explique l’auteur. Seule la position du corps différencie ces 8 séquences.
C’est au départ une expérience qui a inspiré la photographe : « Un jour à Sfax, j’ai vu un coq dans un bus. Un homme l’avait acheté vivant au marché et le portait dans un sac en plastique. Durant le trajet, le coq se débattait dans le sac. C’est dans l’enfermement et dans les tensions qu’on résiste et s’agite… »
Cette série se veut une métaphore de l’emprisonnement, c’est aussi dans ce sens que résonne son titre Noir, car « c’est dans le noir qu’on commence à voir… ». Quelques semaines avant la première étincelle de la révolution, la photographe explorait de nouvelles pistes photographiques dans le sud tunisien. L’idée première de la série Personne ne parlera de nous est de photographier un corps enfermé et abandonné dans un paysage aride. Ces images montrent un corps enfermé dans ce linceul blanc devant des paysages désolés. Ici on remarque l’absence du fil noir du déclencheur, seul lien dans la série Noir avec l’extérieur. (Comme l’explique la photographe, « la traduction du déclencheur souple en langue anglaise est “air release”, ici il y a un détournement de cet instrument qui sert à accomplir « un acte photographique » pour devenir un instrument libérateur ».)
Mais le soulèvement populaire en Tunisie rendra inaccessible ces zones reculées et impossible la réalisation de ce projet en 2011. La contrainte a ainsi fait naître cette nouvelle série Noir, réalisée en studio. Au final, Mouna Karray a mené ses deux projets en parallèle, chacun des corpus étant indépendant l’un de l’autre. Quelques images de Personne ne parlera de nous (travail toujours en cours dont les premiers extraits ont été produit en 2012) ont été montrées sur des panneaux publicitaires dans la rue lors de la Biennale Dream City en 2012 à Tunis.
Interview Au risqué de l’identité : http://www.afriqueinvisu.org/l-identite-en-question,022.html