Chronique Mensuelle de Thierry Maindrault
Les portes de Paris Photo, millésime 2022, viennent de se refermer. Avec mon accréditation : « presse » à la main, j’ai pu accéder mercredi à la journée dite VIP. Au passage, il faut préciser que les « Very Very VIP » avaient déjà été invités la veille par la très grande banque internationale américaine qui était – cette année – la cheffe de file des sponsors de cette brillante manifestation. Rappelons-nous que Paris Photo est intellectuellement la plus grande manifestation commerciale autour de la photographie. Je pensais être un peu tranquille pour profiter de la multitude d’œuvres proposées aux acheteurs. Ce ne fut pas le cas, car je ne savais pas que le nombre de VIP, addicts à la photographie, était devenu aussi important. Compte tenu du nombre de bouteilles de champagne, d’une grande marque, qui se sont vidées ce jour-là, je me suis interrogé si elles n’étaient pas plus nombreuses que le nombre de d’images exposées.
Cette avant-première « privée » fut manifestement un grand succès si j’en crois le nombre de collectionneurs connus, de marchands d’art et de représentants d’établissements publics que j’ai vus ou aperçus. Quelques photographes de galeries étaient également présents. Le lendemain, ouverture grand public avec – en cerise sur le gâteau – une de ces belles grèves que les transports parisiens savent concocter. Pour les marcheurs opiniâtres, dont je suis sûrement, l’accès n’était pas totalement impossible.
Les allées étaient donc correctement remplies et les stands étaient bien occupés. Il est venu à mes oreilles que les jours suivants le grand palais éphémère était plein comme un œuf. Le succès quantitatif est certain.
Les exposants forment essentiellement trois groupes censés avoir pour point commun l’utilisation de la photographie sous toutes ses formes. La première équipe, incontestablement la plus nombreuse puisqu’à l’origine de cette foire, elle était formée par ses galeries spécialisées sur les marchés de la photographie. Elles viennent du monde entier, ce qui fait de Paris Photo, malgré une concurrence exponentielle, la référence sur le marché. Si j’insiste sur l’international ce n’est pas un vain mot, j’y ai entendu un grand nombre de langues, avec le dialecte appelé anglais business à plus de 80 %. Ce qui était plutôt bien pour les photos que les visiteurs devaient donc découvrir sans commentaire inutile.
La seconde communauté était celle, actuellement très recherchée par les photographes, des éditeurs. Ils étaient assez nombreux (une trentaine environ) venus de tous les horizons, du Nouveau-Mexique jusqu’au Japon. Le livre est à la mode depuis deux ou trois années, de nombreux photographes rêvent de leur livre. C’est sans doute pourquoi un certain nombre m’ont avoué avoir participé financièrement, plus ou moins fortement, à l’édition et à la réalisation de leur fameux livre. Pas très étonnant lorsque l’on sait que ce sont les mêmes qui financent leur propre exposition.
Le troisième volet qui s’accroît de façon vertigineuse, en très peu d’années, est constitué par les mécènes au large portemonnaie. Comme nous ne sommes jamais si bien servis que par nous-mêmes, les mécènes très organisés possèdent leurs équipes de curateurs, de scénographes et autres artistes. Tout ce petit monde en vase clos ayant pour seul souci de valoriser le nom du généreux mécène. Il est amusant de voir les efforts importants de toutes ces multinationales pour faire mieux que le voisin en termes de prestige sans mettre la même vigueur pour la défense de la photographie.
La population qui a fréquenté cette dernière manifestation est devenue très hétéroclite. L’ouverture fut réservée à l’aristocratie financière et administrative de l’avant avant-première qui s’était retrouvée, entre soi, dans son pré carré très fermé.
Pendant l’avant-première, les grands amateurs et les collectionneurs avertis qui se sont trouvés escortés par tous les membres du club « bon chic, bon genre » qui se devaient d’être vus dans cet endroit incontournable. Quelques photographes un peu connus et souvent perplexes erraient d’un stand à l’autre pour finir leur marathon au milieu des stands d’édition très prisés. Les nouveaux technocrates des sphères photographiques papillonnaient entre les retrouvailles de collègues de promotion et les bouteilles de champagne en réussissant fréquemment à joindre les deux opérations. Je ne voudrais pas oublier les personnels de l’organisation et en particulier ceux de la sécurité qui s’activaient vraiment, avec vigilance, pour assurer notre tranquillité d’esprit.
A partir du lendemain, le grand public a répondu présent avec un très net rajeunissement, déjà sensible l’année dernière. Les anciens, encore valides, sont fidèles au poste ; mais de très nombreux jeunes sont également présents. Et puis, l’on vient de plus en plus en famille puisque l’on en parle partout de ce Paris Photo.
J’aimerais quand même vous entretenir un peu de photographies ; car c’était l’objet de mon déplacement à Paris.
Côté galeries, globalement, j’ai retrouvé beaucoup d’images des années précédentes (certainement des valeurs sûres) et puis il y a les tendances, comme on dit. Le monochrome (particulièrement le noir et blanc) a pris un essor considérable qui s’explique par l’importance donnée aux clichés dits vintages (vrais et faux). Toutes techniques confondues, toutes les photographies centenaires, ou presque, sont un « nec plus ultra ». Peu importe les manques de signature, de numérotation ou de certificat, la photographie se vendra un bon prix, souvent surévalué. Il faut préciser que beaucoup sont très belles, car nos ancêtres photographes n’étaient pas des bons à rien. Dans cette catégorie, j’ai été horrifié par quelques œuvres photographiques anciennes et originales qui ont été massacrées à coup de stylo billes, il y a vraiment plus de respect. Si l’auteur réalise cela sur ses propres tirages inoubliables, j’admets qu’il puisse s’agir de créations artistiques contemporaines. Sur les œuvres de tiers qui ne peuvent même pas s’en défendre, c’est un viol.
Pour les œuvres plus contemporaines, les galeries nous ont montré de tout, du meilleur au pire. Ecologie oblige, les photographies d’arbres et d’eaux étaient très présentes. Bien sûr, il y avait de tout, mais avec l’impression que globalement la quantité était moindre que les années précédentes. J’ai également noté un progrès général dans les scénographies de la majorité des stands.
Et puis le point d’orgue reste avec les labellisations. Sur le côté de certaines photographies, des autocollants qui affichaient : élue, recommandée ou préconisée étaient placardés. Ainsi, un grand magasine féminin, un plus grand quotidien économique, invitent leurs lecteurs, et les visiteurs, à trouver génial telle ou telle autre photographie. Sans compter les chefs- d’œuvre choisis – avec amour – par la curatrice de la foire (enfin, j’ai cru comprendre cela dans le gribouillage graphique accolé à certaines images). Je me suis retrouvé au rayon des yaourts ou à celui des huiles de nos hypermarchés !
Les prix des œuvres qui étaient, en principe, en vente ont complètement disparu des cartels. Sauf à de très très rares exceptions qui mentionnaient bien le coût d’acquisition d’une photographie. J’ai posé des questions concernant ce nouveau phénomène pour obtenir des non-réponses évasives. Les galeristes, ont-ils honte d’afficher des prix extravagants devant une foule essentiellement de curieux, néophytes et sans budget. J’ai aussi imaginé que la variation du prix à la façon des compagnies aériennes ou de celles des chemins de fer faisait son apparition dans le monde artistique.
Avec sa complicité et celle de sa galerie londonienne, je vous propose exceptionnellement en illustration, la seule photographie de cette année qui a retenu mon attention. Elle reflète ce millésime dédié aux femmes photographes, à la liberté dans ces temps mouvementés et à cette nouvelle forme d’inspiration que l’argent prétend apporter à nos rêves.
La transition inexorable se poursuit, comme dans tous ces rassemblements photographiques que j’ai pu fréquenter cette année. Comme toutes les autres, cette manifestation glisse vers une marchandisation de l’idée de la photographie et un appauvrissement des œuvres issues de la Photographie.
Thierry Maindrault
18 novembre 2022
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