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Lina Scheynius, un dialogue entre corps et nature

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Lina Scheynius perçoit le monde en tournant son regard vers elle-même, elle le mesure avec son corps qui devient sismographe. Elle va à sa propre rencontre en explorant son corps, qui lui indique ce qu’elle ressent. Et l’appareil photo traduit. Aussi directes que ces images semblent être, elles sont elles aussi créées via l’instrument qu’est l’appareil. Qu’est-ce qui le guide ? Est-ce la raison, l’instinct ou leurs signaux (le corps) qui sont photographiés ? Est-ce le motif ou l’auteur ? Ou peut-être est-ce l’appareil en soi, le ‘troisième œil”, l’image, qui dirige ici et devient autonome ? Le problème est complexe car, pour une fois, le motif et l’auteur sont ici unis. Ils ne font qu’un. Ils sont identiques. L’identité se reflète. Elle se construit elle-même en se déconstruisant.

Nous savons depuis Lacan qu’un reflet n’est jamais l’identique de ce qu’il reflète. Il l’est pourtant ici. Tout en ne l’étant pas. Scheynius s’approprie son corps en se regardant elle-même, en l’observant de l’extérieur. La révélation et l’aliénation doivent mener à l’être. Les images doivent offrir un aperçu de ce qui nous est le plus proche : notre propre corps, que nous pouvons, après tout, voir avec nos propres yeux. Mais ce que saisit l’image n’est bien sûr pas ce que saisit l’œil.

Scheynius dit qu’elle a commencé à se prendre elle-même en photo avant tout parce qu’elle était le modèle le plus facilement disponible. Elle n’est toutefois pas toujours seule lorsqu’elle part en quête d’elle-même, mais parfois couchée au lit avec un partenaire. Elle essaie alors de se trouver en l’autre, en le photographiant. En tant qu’autre, le partenaire la révèle à elle-même. Elle se voit dans ses yeux. La façon dont elle le voit la mène à elle-même.

Nous voyons une main. C’est celle de la photographe. Elle montre l’autre. Une lumière cachée derrière elle illumine ses contours. L’intérieur de la main reçoit la lumière. L’appareil est dirigé vers la lumière, vers la contre-lumière, mais la main intervient entre la lumière et l’appareil. La photographie, par nature sensible à la lumière, est donc protégée d’elle par la main. Sans la main, la lumière viendrait brûler dans l’objectif. La photographie devient alors en même temps la preuve même de l’existence. On pourrait pourtant presque voir à travers cette main. Son existence est en péril et éphémère. La photo la capture pour un bref instant.

Mais il nous faut garder en tête que Lina Scheynius ne fait pas seulement des images de corps. Sous l’emprise nocturne de feux de signalisation penchés au-dessus d’un lampadaire qui ressemble à des ovaires, nous voyons comment son regard se dirige dans le monde. Elle se rapproche tout de suite, transformant les gouttes de pluie d’une autre photo en noir et blanc en disques qui viennent obscurcir la vue illuminée des fenêtres de tours d’habitations, avec une large gamme de teintes de gris, qui varient selon leur distance par rapport à l’objectif. Les photos de Lina Scheynius explorent les espaces. Depuis la plus grande proximité jusqu’au lointain, très lointain.

Certaines de ses images sont hautement chargées sexuellement. Il reste exceptionnel de trouver une femme qui fait son propre portrait de la sorte. Son art parle de sa sexualité. Sa sexualité fait partie de son être – elle en est une part importante. Il y a quelque chose de libérateur dans le fait même qu’un aspect aussi important et si souvent exclu soit ici inclus. Il faut beaucoup d’énergie pour maintenir un tabou, mais c’est un fardeau qui s’effondre ici. Au moins, ce qui était avant à l’écart est ici intégré.

Son œuvre promulgue l’intimité. La photographie de Lina Scheynius s’est frayée un chemin dans le monde de la mode via Internet, et à partir de là, dans le monde de l’art. La plupart de ses followers sont des jeunes femmes, auxquelles Scheynius semble avoir ouvert la voie pour qu’elles se regardent elles-mêmes. Cet individu plus timide que n’importe qui, s’est révélée au monde en partageant son être le plus intime – l’être extérieur – avec le monde.

Simon Maurer

Simon Maurer est conservateur en photo. Il est basé en Suisse.

Lina Scheynius
Du 25 janvier au 15 avril 2017
Christophe Guye Galerie
Dufourstrasse 31
8008 Zürich
Suisse

https://christopheguye.com/

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