« Mon art est comme un buisson élagué par les préjugés – malgré tout nous grandissons, voire mieux. Et nous proliférons non seulement vers le haut, mais aussi vers le bas. » – Sigmar Polke
Les 300 photographies de la collection de Georg Polke constituent une coupe transversale à l’intérieur du corpus photographique de son père permettant de mesurer la richesse de l’univers iconographique du peintre allemand entre 1970 et 1986.
Aucune hiérarchie n’existe entre les images dans cet ensemble exceptionnel où cohabitent les photos de « famille », les autoportraits réalisés avec la complicité de ses comparses, les photos-souvenirs, les documents destinés à être traités picturalement, les expérimentations graphiques et chimiques, les photos de voyage (Paris, Venise, la Tunisie, l’Afghanistan), les images réalisées sous l’emprise de la drogue… Polke brouille à l’envie les taxinomies, les classifications et les oppositions consacrées : documentaire et fiction, archive et mythologie personnelle, art et publicité, amateur et professionnel, expérimental et populaire…
Très tôt, Polke utilise le medium photographique à la fois de manière documentaire pour réaliser ses peintures, mais aussi de façon autonome. Le processus même de la photographie (prise de vue, développement, révélation, tirage) est pour lui voisin des opérations picturales qu’il met en œuvre. Son approche de la photographie est, dès le départ, artisanale et amateur. Elle le restera jusqu’au bout. Polke a toujours tenu à développer et à tirer lui- même ses photographies, au mépris des règles en la matière (temps de pose hétérodoxes, usage de papiers et de produits périmés), pratiquant avec désinvolture la sous-exposition, la surexposition et la double exposition. L’art de Polke est dans ce plaisir à se saisir de ce qui arrive, être à l’affût de ce qui survient dans un processus, Vouloir l’accident.
Ses photographies, de la même manière, ne sont pas réductibles à un « style ». Elles en abolissent même la notion, avec une jubilation et une ivresse confondantes. Elles occupent au travers de leur hétérogénéité la totalité du spectre de la pensée photographique. Tout se passe comme si Polke minait de l’intérieur chacun des grands régimes modernes et contemporains de l’image : du formalisme post-Bauhaus à l’approche documentaire d’un Walker Evans ou d’un August Sanders, de l’esthétique de la contre-culture (Fluxus, punk, « trash ») à la tradition humaniste d’un Henri Cartier-Bresson.
La peinture contaminée par la photographie, la photographie empoisonnée par la peinture : tout l’art de Polke se tient dans ce va-et-vient. Les infamies photographiques de Polke sont à cet égard exemplaires d’une position esthétique et éthique éminemment libertaire. Polke n’essaye pas de « sauver » la peinture par la photographie, ou de donner ses lettres de noblesse à la photographie au travers de la peinture. Il amplifie, au contraire, la mauvaise réputation respective de chacune de ces sœurs ennemies.
Bernard Marcadé
Commissaires : Fritz Emslander, Georg Polke, Bernard Marcadé et Diane Dufour.
L’exposition est organisée en collaboration avec le Musée Morsbroich de Leverkusen (Allemagne).
Les 300 tirages d’époque sont issus de la collection personnelle de Georg Polke.
A l’occasion de l’exposition, 2 soirées d’études menées par Bernard Marcadé sont organisées pour interroger le rapport irrévérencieux et jubilatoire qu’entretenait Sigmar Polke avec le médium photographique.
Plus d’info : http://www.le-bal.fr/2019/06/les-infamies-photographiques-de-sigmar-polke
[Biographie]
SIGMAR POLKE, né en Silésie en 1941 et mort à Cologne en 2010, compte parmi les artistes les plus influents de l’après-guerre. Irrévérencieux à l’égard des techniques traditionnelles et des matériaux, Sigmar Polke développe un art expérimental où est convoqué une grande variété de styles et de sujets à des fins de critique sociale, politique et esthétique. Son œuvre protéiforme peut s’apparenter à « un champ de bataille où s’affrontent matières et sujets dangereux ». (Bernard Marcadé)
Après un bref apprentissage auprès d’un maître verrier à Düsseldorf à la fin des années 1950, Sigmar Polke poursuit ses études de peinture à la Staatliche Kunstakademie de Düsseldorf. Alors qu’il est toujours étudiant, il fonde en 1963 avec Gerhard Richter et Konrad Fischer-Lueg le mouvement « réalisme capitaliste ». Détournant les codes de l’image, ils apportent une réponse aux thèmes nationalistes du réalisme socialiste qui se développe en Allemagne de l’Est tout en faisant une critique acerbe d’une société de consommation en plein essor.
Depuis sa première participation à documenta V de Cassel en 1972, l’œuvre de Sigmar Polke a fait l’objet de nombreuses expositions personnelles au sein d’institutions muséales, aussi bien européennes qu’américaines (Museum Boymans Van Beuningen, Rotterdam ; Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris ; Nationalgalerie im Hamburger Bahnhof, Berlin ; Museum of Contemporary Art, Chicago ; Museum of Modern Art, New York ; Stedelijk Museum, Amsterdam).
Sigmar Polke a également participé à de nombreuses biennales internationales, dont la Biennale de São Paulo et la Biennale de Venise. Il a reçu de nombreux prix, dont le Lion d’or pour sa présentation en solo au pavillon ouest-allemand en 1986, le Prix Infinity Awards de l’ICP, New York, le Prix Carnegie (1995), le Praemium Imperiale (2002) et le Roswitha Haftmann-Preis (2010).
Exposition du 13 septembre au 22 décembre
LE BAL
6, Impasse de la Défense
75018 Paris