Passer deux années à raconter la vie d’une classe dans une école de Portland en Oregon, l’une des villes les plus blanches sur la côte ouest des États-Unis, est un tournant important dans ma vie.
Plutôt habitué à vivre et photographier des peuples autochtones dans la nature me voici « confiné » dans une petite école austère : deux longs couloirs, une cour en bitume, un réfectoire/gymnase et ma classe , une des plus sombre de l’école. La lumière n’y est pas belle et pourtant l’histoire qui se déroule sous mes yeux est d’une telle profondeur que je vais m’accrocher, puiser des ressources narratives que je ne soupçonnais pas pour la raconter.
L’école Kairos, fut fondée par 4 femmes afro américaines avec une approche éducative novatrice dans un État marqué par la ségrégation : les Noirs y furent longtemps interdits de séjour. Les élèves sont presque tous issus de minorités. Kairos lutte contre la ségrégation raciale et sociale qui gangrène la société
américaine. Et c’est là que Jason Davis, la quarantaine, a été recruité comme professeur principal pour la première fois de sa fraiche carrière. Il est débutant. Responsable de deux classes de fin de primaire, fils d’un policier de L’Iowa, Jason Davis n’a pas les codes de ses élèves, lui qui a grandi dans le Midwest rural républicain. Il tâtonne, il multiplie les maladresses et les faux pas. Ses jeunes élèves se rebellent , le prof perd le contrôle, comme beaucoup d’autres avant lui. Jason Davis n’en dort pas la nuit. Mais il s’accroche et à force de remises en questions, de créativité, de travail acharné, il se métamorphose pendant sa deuxième année en un excellent professeur. Il m’a fallu deux années pour rendre compte en profondeur et j’espère en finesse de la subtilité des rapports humains qui se jouaient dans cette classe : forts, émouvants, tendres et durs parfois.
J’ai assisté́ à la naissance d’un prof, un métier fondamental et plongé dans la dure conditions des afro américains qui de par leur couleur naissent disqualifié dans cette société violente.
Ce livre ne ressemble à aucun de ceux que j’ai fait avant. Je reviens a la couleur . Je me suis aussi beaucoup impliqué sur la maquette, le voulant diffèrent de mes précédant et en raccord avec l’esprit graphique du travail que je développe maintenant. Le rapport texte et images m’a été inspiré par un livre d’un photographe que j’admire Rob Hornstra. Comme lui, je ne travaille que pour faire des livres et des expositions. Deux années par histoire minimum. Là, pour mon prochain projet j’en suis à ma deuxième avec les policiers d’un commissariat de province pour raconter la vie de ses hommes. Encore une expérience très forte.
Pierre de Vallombreuse
Célèbre pour ses travaux photographiques sur les peuples premiers, Pierre de Vallombreuse livre pour la première fois son regard sur le monde occidental et ses tribus urbaines. Une classe américaine est un huis clos, une chronique en images des rapports entre un professeur et ses élèves. Un texte d’introduction tisse la trame de l’histoire, des citations accompagnent les photographies.
Les détails foisonnent, les expressions des êtres sont capturées avec une rare acuité, les situations s’enchaînent avec poésie et légèreté. Et, finalement, on garde longtemps ce livre en mémoire..
Pierre de Vallombreuse : Une classe américaine
Les Arènes
128 pages
171 x 215 mm
ISBN 979-10-375-0587-3
24 euros
