Rechercher un article

Le YPF 2017 : un combat aux avant-postes du photojournalisme mondial

Preview

Deux semaines après la fin du Yangon Photo Festival et des images encore plein la tête, c’est bien le niveau de persévérance de l’équipe et des photographes birmans que je retiendrai de cette édition.

Dans une Birmanie où toute logistique dans l’espace public reste très difficile à organiser et la bureaucratie encore contrôlée par les militaires, l’équipe du YPF a retenu son souffle jusqu’à la dernière minute. Malgré le support du nouveau gouvernement régional et de la municipalité, tout imprévu restait imaginable. Tout pouvait être annulé. Et puis soudainement, avec les premières images projetées sur l’écran géant du Maha Bandula Park, la tension s’est relâchée et ce sont les rires, les larmes et la joie qui ont émané du public exalté. Ce nuage d’émotions, de la part d’une population qui découvre ce genre d’événements, a donné tout son sens à des mois de travail acharné.

Christophe Loviny, directeur du YPF, résume son état d’esprit lors de cette soirée d’ouverture : « C’était un combat pour y arriver ». C’est bien l’esprit collectif de combat qui donne la force unique du YPF. Depuis neuf ans, ils utilisent la force des images, des photostories pour témoigner des enjeux sociaux et environnementaux majeurs auxquels le pays doit faire face. Chaque personne rencontrée pendant le festival avait saisi l’importance de la photographie pour écrire une nouvelle page de l’histoire de la Birmanie (rebaptisée Myanmar par la junte en 1989 tandis que Rangoun devenait Yangon).

Mayco Naing, ma formidable hôtesse durant ce festival, en est un exemple remarquable. Elle est aujourd’hui une figure importante de la photographie contemporaine asiatique, après une ascension fulgurante depuis l’époque où, les universités étant fermées par les militaires, elle a commencé à travailler pour 3000 kyats mensuels (3$) dans un studio photo. Après avoir remarqué une affiche du YPF en 2010, participé à des premières masterclass, remporté le “Creative Prize”, et exposé à l’international (Biennale de Lyon, de Bangkok, les festivals de Lishui et Dali en Chine), Mayco a pu présenter sur sa terre natale sa première exposition personnelle. Une série de portraits intitulée Identity of Fear représentant le Zeitgeist, l’esprit du temps, de la génération birmane née autour de la révolution de 1988, et qui a grandi avec peu d’éducation, sous les valeurs conservatrices et la répression de la junte militaire.

Forte de sa nouvelle liberté d’expression et du désir de transmettre, Mayco rêve de pouvoir continuer à former de nombreux artistes et photojournalistes-citoyens, notamment dans les régions des minorités ethniques qui subissent encore les conflits armés. Son combat personnel fait écho à de très nombreux autres jeunes photographes birmans rencontrés et qui n’ont plus peur de s’exprimer.

Ainsi, durant la Yangon Photo Night, le reportage Again du jeune photographe kachin Zinghtung Yawng Htang a créé la surprise en critiquant ouvertement Aung San Suu Kyi, alors assise au premier rang du festival. Un brouhaha d’étonnements a surgi dans l’enceinte de l’Institut Français. On pouvait lire sur l’écran géant : « Daw Aung San Suu Kyi et les militaires coopèrent ensemble. Ils sont violents et brutalisent les minorités ethniques ». Le festival ne s’étant pas autocensuré, même devant sa marraine, la Dame a répondu au photoreportage par la force de ses applaudissements. Une liberté d’expression qui signe le début d’une ère nouvelle pour le pays.

Le YPF est devenu un puissant média pour toutes les communautés, en particulier les plus opprimées ou défavorisées, et aussi un acteur important de débat et de dialogue dans un contexte politique en pleine mutation. Le thème des expositions était cette année la diversité ethnique, dans le cadre des pourparlers de paix initiés par le nouveau gouvernement. La « conférence de Panglong du XXIe siècle » vise à mettre fin aux multiples conflits armés qui divisent encore profondément un pays comportant pas moins de 135 ethnies.

Avec ses masterclass comme première arme de combat, le YPF peut se vanter d’avoir atteint son objectif fondamental : former une nouvelle génération de photojournalistes birmans qui puisse témoigner pour les plus faibles. Il rejoint cette même philosophie qu’Henri Cartier-Bresson résume magnifiquement, la métaphore guerrière toujours à l’esprit : « Photographier, c’est mettre sur la même ligne de mire la tête, l’œil et le cœur. »

Un autre fer de lance de l’action du YPF est l’organisation de rencontres avec des acteurs de poids du monde de la photographie : Dominic Nahr, célèbre photoreporter, Laurens Korteweg, responsable des expositions du World Press Photo, Hossein Farmani, fondateur des Lucie Awards (« les Oscars de la Photographie ») et nombre d’autres invités qui cherchent à utiliser l’image comme levier social et ont permis à ce festival d’enclencher une dynamique aux avant-postes du photojournalisme citoyen. Par ailleurs, ces diverses rencontres constituent pour les jeunes photographes birmans un véritable capital social, si précieux à Bourdieu, et un élément non négligeable pour leur accomplissement personnel, leurs opportunités professionnelles et leur visibilité sur la scène internationale.

Le festival peut ensuite se féliciter d’avoir fait découvrir à plus de 100 000 personnes des sujets de société jusque-là occultés grâce au travail des photographes birmans et internationaux. Souvent, pendant les projections, je me suis demandée quelles auraient été les réactions du public si les photo-essais avaient été partagés de la même façon à Paris, sur le parvis de l’Hôtel de Ville, les pelouses du jardin du Luxembourg ou tout autre lieu aussi symbolique au cœur d’une capitale européenne. Voir sur un écran géant des sujets traitant de viols, de pédophilie, critiquant le gouvernement ou encore relatant l’adoption d’un enfant par un couple homosexuel donnerait peut-être lieu à des protestations agressives de la part de groupes conservateurs. A bien des égards, le YPF et le public birman ont donné une leçon de transparence et de tolérance universelle.

Enfin, le YPF espère se déployer là où le champ des possibles commence, c’est-à-dire sur les bancs de l’école. « Sur les réseaux sociaux chacun s’exprime désormais autant par les images que par les mots », explique Christophe Loviny. « Mais le langage visuel reste dans la plupart des cas à un stade infantile ou ludique, limité au selfie ou à la photo de nourriture. La raison en est simple, on passe de longues années à apprendre à écrire à l’école mais il n’existe aucun enseignement du langage de l’image ».

Grâce à sa pensée visionnaire, la prochaine étape du YPF est donc d’inclure la formation dans le curriculum scolaire, afin d’enseigner à utiliser l’image comme nous utilisons les mots.

Aujourd’hui, tout le monde peut devenir photojournaliste. Aung San Suu Kyi l’avait d’ailleurs fait savoir par une subtile remarque : « Nous avons parfois du mal à distinguer les photostories des photographes professionnels et ceux des photographes émergents », avait-elle lancé amicalement aux premiers. Preuve qu’avec une formation courte et efficace, il est possible à tous de raconter, par le biais des images, une histoire forte.

Cependant, la plupart des projets pilotes dans le système éducatif concernent la photographie en tant qu’expression artistique. Or, elle est aussi un loisir, un média, et dorénavant un langage, qui inclut tous les autres aspects mentionnés. Grâce aux réseaux sociaux, un message accompagné d’images est bien plus relayé que sur un média traditionnel. La nouvelle page Facebook du festival « Myanmar Stories » traduit cette efficacité, avec chaque semaine un nouveau photoreportage publié et massivement relayé. Elle est très vite devenue un média populaire et de qualité du pays.

La photographie devient un langage universel car elle est tout simplement accessible à tous. Par son universalité de lecture et sa diversité de compréhension, la photographie possède un réel pouvoir de changement dans une civilisation où l’image devient essentielle pour communiquer.

Une bouteille à la mer est donc lancée par Christophe Loviny : il souhaite participer à une structure d’échange sur la toile avec des photographes, des universitaires, des pédagogues et des enseignants afin de réfléchir à l’image en tant que langage. Un langage basique à utiliser au quotidien par tous. « Nous sommes au début d’une histoire, nous sommes en train de la créer », affirme-t-il. Le phénomène est déjà là, il suffit de donner du sens à l’écran de nos smartphones.

Aline Deschamps

Aline Deschamps est photojournaliste freelance et responsable de projets culturels basés à Paris et Bangkok. 

 

 

9e festival photographe de Yangon
Du 3 au 19 mars 2017
Yangon, Birmanie

http://www.yangonphoto.com

www.facebook.com/yangonphotofestival

Merci de vous connecter ou de créer un compte pour lire la suite et accéder aux autres photos.

Installer notre WebApp sur iPhone
Installer notre WebApp sur Android