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Le Questionnaire : Jun Ahn par Carole Schmitz

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Jun  Ahn : Auto-Portrait

Venue étudier aux États-Unis, où elle a obtenu un diplôme d’histoire de l’art à l’université de Californie du Sud en 2006, études qu’elle a poursuivi par deux années à l’institut Pratt, cette artiste sud-coréenne s’est surtout faite remarquée par sa série Self-portrait dont les images étaient toutes prises sur les toits de très hauts immeubles. Une série que d’ailleurs, elle considère comme « une performance sans public », une sorte de fin de la jeunesse et une confrontation avec l’avenir.

En 2009, 2010 et 2011, elle a une bourse à la Parsons New School for Design de New York, pendant cette période, son travail a fait l’objet de ses premières grandes expositions, dont une exposition conjointe avec Kazuna Taguchi au PS 122 à New York.

Dès lors, elle enchaine les expositions, aussi bien dans son pays natal comme à l’international (Musée de Photography de Lianzhou, le 63 Art Museum de Séoul, ou encore le CASE Tokyo Space). En 2019, son travail est primé à Paris Photo. Il fait aujourd’hui partie de nombreuses collections publiques : JP Morgan, Musée d’art moderne et contemporain de Corée, Statoil, en Norvège.

Elle aime les sensations fortes et son travail capture la tension, il est audacieux et particulièrement troublant et captivant, mêlant à la fois vulnérabilité et innocence, réalité et fantaisie, vérité et fiction. Elle veut découvrir le moment invisible et la beauté cachée. Pour elle, la photographie est la technique idéale pour capturer et montrer le monde tel qu’il est au quotidien à la frontière entre illusion et réalité. Pour elle, le présent est le vide – entre le passé qui ne peut jamais être changé et le futur qui ne peut jamais être atteint.

 

Instagram : junahn922

 

Votre premier déclic photographique ?
Jun Ahn: Au sens littérale, Bullet Through Apple de Harold Edgerton. J’ai surtout fait des recherches et découvert la photographie en tant que moyen d’expression. J’ai étudié l’histoire de l’art pendant mes études universitaires. J’ai commencé à vouloir réaliser mes propres œuvres lorsque j’étais en deuxième année, mais je n’étais pas sûre du médium qui convenait pour visualiser ma pensée. J’ai donc suivi, et parfois assisté, à tous les cours de base des ateliers d’art, de peinture, de sculpture, de dessin, de céramique, etc. LA photographie a été le dernier cours facultatif que j’ai suivi pendant mes années de licence. Au cours de ce semestre, j’ai été fascinée par l’une des caractéristiques du médium, à savoir qu’il y avait tant d’éléments dont je ne me souvenais pas dans l’image que j’avais prise, bien que la photographie soit une représentation optique du monde visuel. À cette époque, j’ai découvert l’œuvre Bullet Through Apple, et j’ai été hanté par l’image dès lors. Pour moi, cette image représentait symboliquement l’atmosphère qui régnait dans certaines parties de l’Amérique après le 11 septembre. Et puis, j’ai réalisé que la photographie crée son propre pouvoir et sa propre esthétique en éliminant le contexte. Si vous imaginez que quelqu’un se trouvait dans le studio de Bullet Through Apple, il décrirait la situation comme « la pomme a été écrasée après une coup de feu », car l’œil humain ne peut percevoir ni la balle, ni le moment où elle a traversé la pomme. Cependant, grâce à la photographie, le moment de l’écrasement a été remplacé dans le monde réel par le moment de la pénétration. Le verbe qui décrit le phénomène a changé en raison du support, c’est-à-dire l’aspect de la photographie auquel je me suis intéressée. Jusqu’à présent, j’ai étudié la structure du monde au-delà de notre perception visuelle.

L’homme ou la femme de l’image qui vous inspire ?
Jun Ahn : Je suis rarement inspirée par l’image des autres. C’est peut-être la raison pour laquelle je suis la personne qui apparaît dans mes œuvres. À part l’autoportrait, je n’ai jamais inclus d’homme dans mes projets jusqu’à présent. Cependant, lorsque je me suis souvenue de cette question, j’ai réalisé que le premier livre de photos que j’ai acheté était Kamaitachi d’Eikoh Hosoe.

L’image que vous auriez aimé faire ?
Jun Ahn : En tant qu’artiste, l’image transmet mon idée aux autres. En tant que photographe, j’essaie de capturer un moment surréaliste dans le contexte de la réalité. En tant que fille, sœur et épouse, je souhaite réaliser des images qui leur rappellent les moments que nous avons partagés.

Une image clé dans votre panthéon personnel ?
Jun Ahn : Jackson Pollock, “numéro 1”.
Mais aussi « Leap into the Void », photomontage d’Yves Klein.

Un souvenir photographique de votre enfance ?
Jun Ahn : D’une certaine manière, j’ai un souvenir antérieur à mon premier anniversaire. Il s’agit d’un motif. Je me souviens d’avoir été surprise visuellement par le motif, et la personne qui portait la veste m’a serrée dans ses bras. Je n’avais aucune idée de ce que c’était à ce moment-là, bien sûr. En me basant sur ce souvenir visuel, je sais maintenant qu’il s’agissait d’un motif de veste militaire. Lorsque j’en ai parlé à ma mère, elle s’est étonnamment souvenue de ce moment. La personne qui portait la veste militaire était mon oncle – son plus jeune frère – et c’était la première fois que nous nous rencontrions lors de ses dernières vacances avant sa démobilisation (en Corée, elle est obligatoire pendant environ deux ans). J’avais environ 10 mois, et ma mère m’a dit que j’avais pleuré à chaudes larmes lorsqu’il m’a serrée dans ses bras. C’est le premier souvenir de ma vie.

Sans limite de budget, quelle serait l’œuvre d’art que vous rêveriez d’acquérir ?
Jun Ahn : Hieronymus Bosch, Le jardin des délices terrestres, pour mon mari. Il m’a dit un jour qu’il souhaitait l’acheter il y a longtemps, alors qu’il n’avait aucune idée du prix de l’art.

Selon vous, quelles sont les qualités nécessaires pour être un bon photographe ?
Jun Ahn : Avoir une raison claire d’utiliser ce médium.

Le secret de l’image parfaite, s’il existe ?
Jun Ahn : Une image sans défaut, sans imperfection inhérente, si elle existe.

La personne que vous aimeriez photographier ?
Jun Ahn : Minji du groupe de k-pop New Jeans, bien que j’ai plus de 10 personnes qui me viennent instantanément à l’esprit. Elle est jeune, mais a une beauté classique.

Le photographe par qui vous aimeriez vous faire photographier ?
Jun Ahn : Toujours moi-même.

Un livre de photos indispensable ?
Jun Ahn : Si je devais en choisir un, pour moi bien sûr mon livre de photos publié par Akaaka et CASE publishing. J’ai attendu que quelqu’un découvre mon travail en faisant des recherches et me propose de le publier. C’était donc une expérience très précieuse pour moi, comme si mon projet était réinventé sous la forme d’une autre œuvre unique. En outre, tous les livres de photos se trouvent désormais sur mon étagère. Parmi eux, les livres pour lesquels j’ai rencontré les photographes et obtenu un autographe sont les suivants. « Kamaitachi » d’Eikoh Hosoe, « Detour » d’Allen Frame, mon professeur, et « Street of Broken Heart » du photographe coréen JungMan Kim. Kim est décédé à la fin de l’année dernière. En rentrant chez moi après ses funérailles, je me suis soudain souvenue qu’il m’avait dédicacée son livre de photos, mais je ne me souvenais plus de ce qu’il avait écrit. J’ai rouvert ce livre en répondant à cette question, et il était écrit en coréen « Ma photographe préférée et précieuse Ahn Jun ».

L’appareil photo de votre enfance ?
Jun Ahn : Le Canon Powershot est le premier appareil que j’ai possédé.

Celui que vous utilisez aujourd’hui ?
Jun Ahn : Leica SL2

Votre drogue préférée ?
Jun Ahn : Les analgésiques. J’ai souvent des maux de tête depuis mon enfance.

La meilleure façon de déconnecter pour vous ?
Jun Ahn : Imprimer, peindre, éteindre mon iPhone.

Quelle est votre relation personnelle avec l’image ?
Jun Ahn : Ce qui me fait vivre, quelque chose de l’au-delà.

Votre plus grande qualité ?
Jun Ahn : La concentration.

Votre dernière folie ?
Jun Ahn :: Je suis sortie avec ma veste de printemps plus tôt dans la journée et il faisait froid.

Une image pour illustrer un nouveau billet de banque ?
Jun Ahn : Nous utilisons de moins en moins de billets de banque de nos jours. S’il y a un nouveau billet, je l’imagine composé uniquement d’un numéro et d’un motif de sécurité, à l’exclusion de tout symbole politique ou culturel.

Et si vous n’étiez pas devenu photographe ?
Jun Ahn : Avant de commencer la photographie, j’ai étudié l’histoire de l’art. Avant de devenir une artiste à plein temps, j’étais traductrice de livres d’art (j’ai traduit la version coréenne de The Photography Book publié par Phaidon, ainsi que 7 autres livres). J’ai arrêté ce travail lorsque j’ai commencé à faire des expositions dans des galeries et que mes œuvres se sont vendues.

Votre plus grande extravagance professionnelle ?
Jun Ahn : Le moment où j’ai décidé que je voulais vivre en tant qu’artiste.

Quelle est, selon vous, la différence entre la photographie et la photographie d’art ?
Jun Ahn : C’est une question similaire à celle de savoir ce qu’est l’art, ou si la peinture d’un enfant de 5 ans peut être de l’art ou non. Si cela doit être clarifié, il s’agit de l’image qui a, ou qui a la possibilité d’avoir un discours ou non. Le discours peut être manifesté par le photographe, ou peut être découvert par les critiques et parfois par le public.

La ville, le pays ou la culture que vous rêvez de découvrir ?
Jun Ahn : Richat Structure en Mauritanie, Al-Naslaa en Arabie Saoudite. Beaucoup de mes œuvres, en particulier le projet Liberation, sont prises dans des deserts.

L’endroit dont vous ne vous lassez jamais ?
Jun Ahn : Ma chambre.

Votre plus grand regret ?
Jun Ahn : Le souvenir de ne pas avoir pu tenir la main de quelqu’un à cause de sa timidité, et de m’être dit qu’il y aurait une prochaine occasion.

En ce qui concerne les réseaux sociaux, préférez-vous Instagram, Facebook, Tik Tok ou Snapchat et pourquoi ?
Jun Ahn : Aujourd’hui Instagram. Mais aussi Facebook que j’utilise depuis le tout début, lorsque les gens se réunissaient en classe ou demandaient des informations sur les devoirs par le biais de Facebook. J’ai commencé à utiliser Instagram en 2014. Certaines de mes images du projet « Self-Portrait » (2008-2013) sont devenues virales en ligne en 2013, et j’ai compris qu’il y avait de faux comptes qui se faisaient passer pour moi. C’est devenu l’une des raisons pour lesquelles j’ai arrêté le projet en 2013 car la diffusion de selfies dangereux m’y a obligée. (Le mot de l’année 2013 selon le dictionnaire Oxford était « selfie »). Le début a été un peu tragique, mais après de nombreuses années, je l’ai réutilisé pour partager mes photos quotidiennes. J’ai également un autre compte pour télécharger mes autoportraits dans le métavers. C’est l’un de mes projets les plus récents. J’ai déjà eu des comptes Tik Tok et Snapchat, mais plus maintenant, uniquement parce que j’aime plus les images fixes que les vidéos ou les clips.

Qu’est-ce que le numérique et les smartphones ont apporté ou enlevé à la photographie ?
Jun Ahn : Pour la plupart de mes travaux, la vitesse d’obturation élevée, généralement supérieure à 1/2500, la lumière naturelle et la sensibilité ISO élevée sont possibles grâce au développement du capteur numérique. Et les smartphones ont rendu cette avancée technologique plus abordable pour le grand public. Lorsque je donne des cours à l’école, les étudiants ne prennent plus de notes, mais des photos de ce dont ils souhaitent se rappeler plus tard. Cela signifie qu’il n’est pas nécessaire de faire des efforts pour mémoriser le visage, l’environnement, le moment, etc. d’une autre personne, tout comme nous ne faisons pas l’effort de mémoriser le numéro de téléphone de quelqu’un. Dans les moments précieux de la vie, de plus en plus de gens mettent un smartphone entre leur corps et la situation. Et cela nous prive de la possibilité d’avoir un vrai souvenir, le vrai moment, le reflet de la lumière du moment qui entre en contact direct avec nos yeux. Je ne dis pas que la réalité et la perception du « vrai moment » valent mieux qu’une photo claire de l’instant. C’est ainsi tout simplement.

Couleur ou N&B ?
Jun Ahn : COULEUR.

Lumière du jour ou lumière artificielle ?
Jun Ahn : LUMIERE DU JOUR.

Votre cœur balance-t-il plus vers l’argentique ou le numérique ?
Jun Ahn ::J e photographie principalement en numérique, car la plupart des appareils photos argentiques n’offrent pas la vitesse d’obturation dont j’ai besoin. Cependant, lorsque je deviens spectateur, c’est uniquement en fonction de l’image.

Quelle est, selon vous, la ville la plus photogénique ?
Jun Ahn : Séoul. Ma ville natale.

Si Dieu existait, lui demanderiez-vous de poser pour vous ou opteriez-vous pour un selfie avec lui ?
Jun Ahn : Les deux. J’essaierais de faire un portrait miroir.

Si je pouvais organiser votre dîner idéal, qui serait à table ?
Jun Ahn : Si vous l’organisez, j’aimerai le partager avec vous et les personnes qui peut être auront laissé un mot indiquant qu’elles ont apprécié la lecture de cette interview. Ce serait parfait en ce qui me concerne.

L’image qui représente pour vous l’état actuel du monde ?
Jun Ahn : Une image de graphiques.

Qu’est-ce qui manque dans le monde d’aujourd’hui ?
Jun Ahn : La tolérance, la curiosité et la vraie vie.

Si vous deviez tout recommencer ?
Jun Ahn : Je pense que je ferais de mon mieux pour trouver le moyen d’éviter cette possibilité.

Un dernier mot ?
Jun Ahn : Merci pour votre temps. Avec mes meilleurs vœux, Jun.

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