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Le Nord fait le mur: photographie citoyenne à Marseille

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Lieux Publics est un centre national de création en espace public destiné à accompagner les artistes qui créent des projets dans, avec ou pour la ville de Marseille. Il est dirigé par Pierre Sauvageot. Les membres de l’association sont installés à la Cité des arts de la rue, dans les quartiers Nord de Marseille. « Ce n’est pas un hasard », explique Morgane Cléon, attachée à l’information de Lieux Publics. « Si on s’est installés là-bas, c’est pour amener l’art sur ce territoire, car les habitants y ont moins directement accès que ceux du centre-ville ».

Depuis l’été 2016, une grande collecte de photographies a été lancée auprès des habitants de ces quartiers, avec pour but d’en dresser un portrait fidèle et venant de l’intérieur. « On a eu l’idée de faire un projet participatif pour que les gens s’y intéressent », poursuit Morgane Cléon. « Il y a eu d’un côté la collecte de photographies et de l’autre les ateliers dans de nombreuses structures partenaires (lycées et collèges, centres sociaux, écoles primaires…). Une médiatrice culturelle de notre centre s’y est rendue afin de familiariser les habitants avec la photographie ». Création originale, il était proposé aux habitants de travailler sur des thèmes, chacun symbolisé par une lettre de l’alphabet. L’abécédaire reprenait ainsi des mots clefs de la cité phocéenne (hospitalité, littoral, quartier…).

Au total, près de 2000 photographies ont été récoltées ! Celles-ci ont ensuite été rassemblées dans un travail de composition artistique, dirigé par Stéphan Muntaner, un graphiste et plasticien marseillais. Les images ont été regroupées sous chaque mot symbolique de la ville. « Suite à son travail, mille exemplaires de l’exposition ont été tirés et redistribués aux structures partenaires, afin qu’ils l’installent comme ils le souhaitent. Cela donne lieu à une multitude d’expositions nomades ». Le projet a été publié le 9 avril dernier. Comme l’exposition est éphémère et a vocation à pouvoir prendre place partout, aucune date de fin n’est prévue ! « Beaucoup de gens s’y intéressent, même ceux qui ne sont pas des partenaires à la base souhaitent obtenir un kit pour l’exposer dans leur structure !

L’exposition devrait durer au moins toute l’année 2017 ! », conclut l’attachée à l’information.

Stéphan Muntaner est le graphiste de Lieux Publics depuis plus de dix ans. Multidisciplinaire et très implanté dans la culture locale, il est entre autres fondateur du studio marseillais C-Ktre depuis 2002 et directeur artistique de la création graphique du Festival Jazz des Cinq Continents. Pratiquant la photographie à titre personnel, il lui a cette fois été proposé de composer avec les photographies personnelles de la population marseillaise.

 

Pourquoi avez-vous accepté de prendre la direction artistique de ce projet photographique ?

Stéphan Muntaner : A la base, il s’agit de valoriser les quartiers Nord de Marseille, pas dans le sens « il faut le faire » mais parce que c’est un terreau intéressant : il y a beaucoup de gens qui vivent sur ce territoire. C’est une zone de flux intéressante, en plus, elle est absente de la cartographie de la ville ! Si on va à l’office de tourisme de Marseille demander une carte, les quartiers Nord n’apparaissent pas.

D’où est venue l’idée de faire un abécédaire et comment avez-vous choisi les mots ?

C’est Pierre Sauvageot, le directeur de Lieux Publics, qui a eu l’idée de l’abécédaire, lors d’une réunion. L’idée c’était de donner des mots pour que les gens puissent partir dans des directions différentes. C’était ça ou autre chose… Tous les mots sont suivis par trois points de suspension. C’est comme à la pêche, on met une amorce, un point d’ancrage, qui permet ensuite de travailler sur les mots, le langage, le vocabulaire, pour que les gens se disent que derrière un mot, d’autres peuvent exister. Par exemple, bleu n’est pas seulement une couleur, cela peut être un objet.

Comment s’est organisé le montage artistique du projet à partir des photographies reçues ?

Les photographies sont issues de la collecte et des ateliers de travail. Il s’agit de photographies personnelles, de photographies de famille, de personnes qui vivent ou travaillent, en tout cas qui ont une existence quelque part sur ce territoire. Une fois qu’on a tout collecté et rassemblé la matière première, j’ai procédé à la méthode de l’entonnoir. J’ai concentré les éléments avec des jeux d’images. L’exposition apparaît différemment selon la façon dont on la monte… Tout a été rassemblé en kits d’affiches, puis on les a distribués à chaque structure partenaire. A ce moment- là on passe d’un système qui n’est plus en entonnoir mais en sablier : chacun se réapproprie la matière et peut re-scénographier les photographies ! Il y avait des possibilités multiples de monter l’exposition ! Il ne s’agit donc pas d’une simple restitution des images mais d’un départ pour un autre projet. Pour le montage artistique, la question c’était de savoir comment présenter les photographies, choisir la narration. Quoi choisir, comment choisir : exclure tout, garder tout ? Et ensuite, est-ce qu’on fait comme une recherche Google : on met tout d’un coup, ou bien on compose quelque chose ? Je voulais expliquer que ce n’est pas une simple juxtaposition d’images les unes à côté des autres, mais qu’il s’agit soit d’oppositions, soit d’éléments qui se rejoignent d’une image à l’autre. Il y a quelque chose qui circule, soit au niveau du visuel soit au niveau du sens.

Le but de ce projet était-il de dresser un portrait de Marseille ?

C’est ça, c’est à la fois une cartographie, un portrait, un état des lieux. Le but, c’était de le faire à travers le regard des habitants des quartiers Nord, on aurait pu le continuer dans toute la ville. J’aimerais bien que le projet se poursuive au niveau européen. Ce serait intéressant de voir comment les habitants interprètent leur abécédaire en Italie, aux Pays-Bas… Cela nous permettrait d’avoir un panorama de portraits des villes européennes, vues à travers le regard des habitants, de voir comment sont les autres. Je suis sûr que les populations seraient étonnées ! On se dirait « tiens ils sont comme ça ou comme ça » et « tiens, je n’aurais pas vu ça comme ça ». Et que l’initiative parte des quartiers Nord de Marseille, ce serait super chouette ! En plus, l’Europe est malmenée en ce moment, avec le Brexit et compagnie, cela permettrait d’avoir une vision de ce qui nous réunit ou nous différencie, une vision de la culture des villes et des peuples de l’Europe. Il y aurait quelque chose de fédérateur…

Au-delà du projet artistique, y a-t-il une dimension sociale dans votre projet ? Aviez-vous la volonté de montrer les quartiers Nord de Marseille sous un autre visage ?

Le visage, ce sont les habitants des quartiers Nord qui en ont dressé le portrait. On a voulu montrer la réalité des gens et que ce soit eux qui l’expriment. On n’est pas intervenus pour transformer dans un sens, ou embellir dans un autre… Médiatiquement, il y a un Marseille bashing, pourtant, les quartiers Nord sont un ensemble de petits quartiers, à 100 ou 200 mètres de distance, aux atmosphères tout à fait différentes. Il y a des choses très étonnantes, des places de villages… Il n’y a pas que des barres d’immeubles et les gens sont très attachés à ce territoire. On ne voulait pas que ce projet finisse en une espèce d’animation sociale, on avait un propos. Il s’agit de fédérer les populations et pas simplement de les occuper. C’est l’idée de ne pas se servir de leurs images comme d’une simple matière première, à leurs dépens, mais plutôt d’en faire quelque chose qui a de la gueule. Même s’il y a une composition graphique derrière, c’est leur boulot qui est montré. J’y ai simplement apporté une valeur ajoutée.

Propos recueillis par Marion Moret

Marion Moret est une journaliste basée à Marseille, en France.

 

 

En savoir plus :

Sur le centre national de création en espace public Lieux Publics : http://www.lieuxpublics.com/fr/

Sur l’exposition Le Nord fait le mur : http://www.lenordfaitlemur.com/

Sur les dates et lieux de la mise en place de l’exposition nomade : http://www.lenordfaitlemur- leblog.com/les-expos

Sur les structures partenaires de l’exposition : http://www.lenordfaitlemur-leblog.com/les- partenaires

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