Le Musée d’art moderne André Malraux (MuMa) accueille jusqu’au 18 mars 2018 l’exposition Comme une histoire… Le Havre. Elle propose un large regard historique sur le territoire havrais. Sous la direction de la commissaire et directrice du MuMa Annette Haudiquet, l’exposition fait le pari de la fiction plutôt que de l’objectivité scientifique. La périphérie, le port, les littoraux, le centre-ville, les habitants, les petites choses et les minuscules riens sont révélés par l’imaginaire des artistes. L’exposition est une réussite !
Ces dernières années, Le Havre a suscité une curiosité artistique comme touristique. Des cendres de sa gloire impressionniste, de son prestige chic de la fin du XIXe siècle soufflé par la Guerre et couverte, la ville a su magnifié un héritage architectural urbaniste et fonctionnel, bien que grisaillant, pensé par l’architecte Auguste Perret. Les années 2000 ont vu la ville changer, être mieux perçue, attirer à nouveau. So, théâtre creusé dans un volcan, ses charmes discrets, son activité portuaire, sa joyeuse (in)tranquillité sont autant d’atouts à faire valoir. Et parmis eux, le MuMa, acteur privilégié de cette effervescence retrouvée. Il voit à ses pieds glisser les supertankers, la Manche venant à la rencontre des brises-lames en béton. Dans ses murs, il y a toute la ville, toute son histoire en quelques tableaux, ces artistes qui, par vagues irrégulières, l’ont visitée.
L’exposition mélange autant les initiatives individuelles que les commandes du musée. Des dialogues interposés comme provoqués naissent de la confrontation des œuvres. Tout au long de l’exposition, le photographe hongrois Lászlo Elkán, dit Lucien Hervé, vient ponctuer les interventions de ses consœurs et confrères d’une dose d’histoire. Fasciné par Le Corbusier, dont il était le photographe officiel, il immortalisa Le Havre comme Brasilia. Prises en contre-plongée, les rues vides sont dominées par le béton des immeubles nouvellement construits. Dans l’exposition, le contraste avec Gabriele Basilico est habilement pensé. Son œil saisit les transformations urbaines de la ville. Les nouveaux bâtiments, leurs formes rondes et sérielles viennent s’échouer sur les paysages éternels de la ville. Ruelles en colimaçon vers la plage, jetées portuaires, immensité de la mer reculée en son creux. Basilico permet d’approfondir le propos d’Hervé, ce dernier étant influencé par sa fascination pour l’architecture moderniste.
À cela s’ajoute Bernard Plossu. Curieux de retrouver Plossu ici ! On ignore que son objectif a capture la traînée des voitures un soir pluvieux, la fin d’un rail de marchandises sur un horizon de cheminées, l’Église Saint-Joseph dans l’hospice de la lune. Sa photographie en noir et blanc a merveilleusement compris l’esprit de la ville, soit une balade dans l’étrange, dans l’agréable.
L’imaginaire provoqué par ces trois photographes est directement puisé dans les façades de la ville, dans ses larges travées reconstruites pour joindre l’utile et l’agréable. Hervé, Plossu ou Basilico nous révèlent une certaine poésie brute, la confrontation de des espaces urbains avec le territoire de la mer, la dichotomie entre l’activité humaine et les paysages industrieux déserts quand l’activité vient à manquer.
Poésie brute, parfois paradoxale, entre la mer et la ville industrieuse. C’est cette opposition que souligne Xavier Zimmerman. Au moyen d’un simple miroir placé à droite ou à gauche de son sujet, il brise une prise de vue banale et renvoie le regardeur à ce qui généralement n’est pas vu (le hors-champ). Son mécanisme permet une légère tromperie, qui donne à rêver autant qu’à comprendre ses paysages complexes.
L’intention est encore autre chez Olivier Mériel. Le photographe trimballe deux chambres photographiques, une de 20×25 et une de 30×40, dans les environs havrais. Il entend figer la ville comme le faisait les grands maitres flamands, offrant au regard de très vastes panoramas où l’on se perd dans les détails, dans de minuscules activités ou traces de l’homme sur son environnement. Dans ses photographies marquées par un jeu des lumières, où le soleil perce, où la lumière se voile, le temps havrais et plus largement, celui de la photographie, semble immuable, à rebours du contemporain immédiat.
Même son de cloche chez Matthias Koch. Certes, celui-ci est obnubilé par la structure urbaine de la ville, comme le sont Basilico ou Hervé, mais il ne veut révéler que les espaces vides, les chantiers, les places en travaux désertés la nuit. Au moyen d’une grue, type celle d’un camion de pompier, il se hisse et donne un aperçu aérien des travées de la ville. L’homme est à nouveau absent des prises de vue et paradoxalement, c’est bien sa marque, ses constructions, son empreinte qui partout surgissent.
À croire que tous aient oublié l’humain. Véronique Ellena est là pour nous rappeler les scènes du quotidien, cette simplicité poétique de l’ordinaire. Son cliché Le Havre. Les amoureux de l’hôtel de ville pris en 2007 est une merveille. Deux ensembles de couleurs s’y opposent. La nuit et la ville semblent veiller sur un dernier baiser. L’œuvre est simple, puissante, on s’y attarde, revient et s’enchante.
L’humain est également présent par l’intervention de vidéastes. Le film Sel de Rebecca Digne, tourné Super8 propose une balade nocturne sur les bords de plage. Les acteurs transportent de gros blocs de sel. Celui-ci resta longtemps une monnaie d’échange. Le Havre était alors une des portes d’entrée centrales pour exporter le sel jusqu’aux grands ports européens. L’imaginaire suscité par le passé de la ville, son héritage maritime autant que commerciale nourrissent cette fois-ci une réflexion plus économique, autant qu’une déambulation strictement poétique. Dans cette œuvre, plusieurs dimensions se mêlent et conversent avec à première vue le médium et plus largement, avec la ville du Havre.
La fiction de Dana Levy vient clore le parcours de l’exposition. Dans son œuvre Dead World Order, une conservatrice de musée déambule dans une vieille maison préservée des bombes. Elle s’occupe de sa collection d’objets farfelus, elle « préserve un monde qui n’existe plus et peut-être qui n’existera plus jamais ». Le propos est aussi doux que puissant. C’est tout le message de cette exposition, s’attacher à comprendre comment un regard peut saisir une ville, disparaître avec le temps, survivre avec l’art et vivre en d’autres foyers.
Arthur Dayras
Arthur Dayras est un auteur spécialisé en photographie qui vit et travaille à Paris.
Comme une histoire… Le Havre
Du 25 novembre 2017 au 18 mars 2018
MuMa Le Havre
2 Boulevard Clemenceau
76600 Le Havre
France