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Le Gestuel Chinois de Guy Le Querrec

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Breton né à Paris en 1941, vétéran de Magnum Photos depuis quarante-deux ans, Guy Le Querrec a trois amours dans sa vie. La photographie est évidemment sa grande passion, mais il a aussi un talent inné de pédagogue, qui a été détecté par Marc Riboud, qui lui a demandé de créer un des premiers stages aux Rencontres d’Arles en 1976. Ses stages ont par la suite formé de nombreux photographes amateurs et professionnels, y compris un certain Patrick Zachmann. En 1988 les Rencontres d’Arles ont accueilli pour la première fois des photographes chinois, et dans l’autre sens Guy Le Querrec a reçu pour mission de conduire un groupe de stagiaires pour un stage d’Arles en Chine ! Ce qui fait que cette année le Festival Arles + Jimei qui se passe à Xiamen, la capitale de la province de Fujian, devient l’occasion extraordinaire de célébrer le 31e anniversaire du stage d’Arles de Le Querrec en Chine. Le deuxième amour de Guy c’est son « pays » d’origine, la Bretagne, qu’il a photographiée sans relâche au fil des ans, curieusement sans jamais y avoir vécu. Et en dernier lieu, Guy est un mélomane, passionné (et grand connaisseur) du jazz. Son réveil musical est survenu à l’écoute des disques vinyles de 78 tours de ses parents, notamment du Swing de l’accordéoniste belge Gus Joseph Viseur. Le nom de « Viseur » m’a-t-il fait remarquer, alla coller l’œil de Le Querrec au viseur de son Leica pour la vie ! Et de l’engager sur la route des concerts et des coulisses pour photographier les plus grands musiciens de jazz au monde.

Ce n’est donc pas surprenant de ressentir une certaine musicalité dans ses photographies, son sens du rythme en particulier, ce qui lui a d’ailleurs valu le surnom de « photographe qui fait danser les mains ». Il y a une photo de Le Querrec que Cartier-Bresson aimait beaucoup et qu’il a incluse dans son livre « Les choix d’Henri Cartier-Bresson », publié en 2003. Il s’agit justement de l’image d’un groupe de femmes Touareg toutes recouvertes de burqa noir, chantant en frappant des mains à Tombouctou, Mali (une étape du Rallye de Dakar de 1998). La photo montre l’instant où des mains frappent à temps et d’autres mains frappent à contre-temps, le décalage étant illustré par une fente de lumière entre les femmes en noir.

L’Afrique c’est le continent bien connu par Le Querrec, pour avoir été engagé très tôt comme photoreporter par l’hebdomadaire Jeune Afrique. Parmi les livres qu’il a publiés sur l’Afrique, celui paru en 2015 consacré aux Lobi, une ancienne tribu entre le Ghana et le Burkina Faso, montre un travail photographié de très près, comme s’il s’était glissé au milieu des familles ou des enfants. Une autre tribu qui a attiré l’attention du Querrec est celle des Sioux Lacota d’Amérique du Nord, qui entreprennent chaque année une chevauchée commémorative en l’honneur de leur chef Big Foot, cent ans après le massacre de Wounded Knee. Le Querrec est allé les accompagner en 1990, à cheval sur trois cents kilomètres pendant deux semaines. Guy ne se souvient que de deux mots en anglais : « Froid. Courage ». Mais ce voyage lui apporta une belle monographie, en particulier cette photo à la géométrie saisissante, la tête d’un mustang noir remplissant le cadre, l’ovale de son œil renvoie à l’arrière-plan à l’œil du cavalier Sioux perçu au travers de sa cagoule noire.

Mais le voyage le plus inattendu de Guy Le Querrec était bien la Chine, un pèlerinage vers l’est qu’il a accompli en quatre épisodes. En 1984, sur invitation de l’Association d’amitié franco-chinoise, Le Querrec découvre Beijing, le Sichuan, Wuhan, Nanjing, Suzhou et Shanghai. Puis il revient en 1986, grâce à Leica, pour photographier Beijing, Shanghai et Hong Kong. C’est en 1988 que Guy Le Querrec découvre les Dames de Hui’an dans la province du Fujian, lors de son stage d’Arles en Chine. Puis, en 1989, il participe au projet « A Day in the Life » en Chine. Sur soixante photographes étrangers, il est le seul à avoir choisi le Fujian pour pouvoir consacrer plus de temps à ces extraordinaires Dames de Hui’an. Elles sont devenues le fil conducteur de cette exposition « Le geste chinois », car aujourd’hui, en Chine, les gens ont presque oublié comment ces Dames de Hui’an faisaient tout – pendant que leurs hommes les pêcheurs s’en allaient en mer. Guy Le Querrec les a suivies partout, fasciné par leur capacité de travail acharné. Il nous montre comment elles procèdent à l’extraction du granit dans la carrière, comment elles transportent ces blocs de pierre à mains nues et parfois même pieds nus. Comment elles construisent leurs maisons de pierre, tout en s’occupant de la menuiserie. En même temps, ce sont ces femmes qui réparent les filets de pêche et élèvent leurs enfants. Mais elles font tout cela avec grâce, leur sens de l’élégance se reflète dans leur costume traditionnel, qu’elles portent tous les jours, même au beau milieu d’efforts physiques importants – un corsage court qui s’arrête au nombril, un pantalon moulant, un foulard sur leurs cheveux sous un grand chapeau rond de bambou pour les abriter du soleil. Leur extraordinaire sens de la solidarité s’est manifesté dans leur travail en équipes, en groupes de deux, de quatre ou de six…

Le titre de « Gestuel Chinois » de Le Querrec est inspiré par sa riche moisson d’images des chinois de tous les jours pratiquant leurs exercices matinaux, depuis de simples étirements de jambe, aux démonstrations de Taiji ou d’autres arts martiaux, jusqu’aux séances de répétitions des acrobates du Cirque de Shanghai, Le Querrec a le don de les transformer en une sorte de chorégraphie, une danse en solo, un pas-de-deux ou tout un corps de ballet en mouvement collectif et synchronisé. Il s’avoue avoir toujours été attiré par le mouvement. « Quand il y a du mouvement quelque part, c’est là que je veux aller », a-t-il déclaré. S’il devait visiter un centre de médecine traditionnelle chinoise, un massage Tuina se transforme en une « dramaturgie visuelle ». Il a accumulé des centaines de clichés de photographes chinois qui se trémoussent et se tordent dans tous les sens pour trouver les meilleurs angles par le biais de leurs viseurs, d’autres qui plissent les yeux pour examiner à travers un rouleau de négatif à peine développé pour sélectionner leurs meilleures photos.

Sa passion pour le jazz et sa propre pratique de la photographie de jazz l’ont conduit à repérer l’orchestre The Old Men Jazz Band de l’Hotel de la Paix de Shanghai, et de retrouver Jimmy Jin, le guitariste chef de son propre jazz band au Jinjiang Hotel de Nanjing, et il même photographié le Quanzhou Folk Music Orchestra, avec leurs instruments de musique traditionnelle chinoise. En un mot, Le Querrec voyait et entendait le rythme et le swing partout. Y compris pendant une procession funéraire, l’étonnant orchestre de fanfare qu’il a photographié lors d’un enterrement dans les rizières près d’un village de Chongwu, qui comprenait des musiciens vêtus d’uniformes et de casquettes blancs – tradition du sud de la Chine pour les funérailles – jouant de saxophone, de trompette et de percussion mais tous se balançaient joyeusement avec le sourire comme s’ils étaient intoxiqués par leur propre musique.

S’il n’y avait qu’une seule image pour résumer le geste chinois de Guy Le Querrec et son talent de pédagogue, ce serait la photo prise en 1984 au Temple de la Lumière Divine de Xindu, que Le Querrec a appelée « Le sac volant ». On peut voir sur le mur dans un cadre carré un gros caractère chinois FU (qui signifie bonheur) et un homme qui le touchait de la main. À cette époque, les visiteurs du temple étaient priés de se rapprocher du charactère FU, une main levée et les yeux fermés, puis de le toucher afin d’être bénis par le bonheur et la bonne fortune. Mais au premier plan, un autre homme à la casquette Mao avait levé sa main droite comme s’il saluait son camarade. Et au-dessus de sa casquette, il y avait ce sac volant ! Guy Le Querrec, à ce jour, reste incapable d’expliquer d’où venait ce sac. C’est le mystère de la photographie argentique qui ne vous fait découvrir votre « bonheur » que bien après le développement du négatif. Ce sac représente ce que Roland Barthes appelle « le Punctum » dans son livre La Chambre Claire. Et ce que Le Querrec appelle « l’instinct décisif ». Une photographie ne devient une icône que lorsque, comme dans le jazz, toutes les notes sonnent juste, même dans l’improvisation, lorsque la forme et le sujet sont en accord, la composition et le signifiant de l’image. Ce sac volant est le parfait gestuel pour couronner son voyage en Chine (le « geste » en latin ancien signifie aussi voyage, accomplissement ou exploit).

Jean Loh / curator

 

Guy Le Querrec

22 novembre 2019-5 janvier 2020

Festival Arles+Jimei

THREE SHADOWS XIAMEN PHOTOGRAPHY ART CENTRE

3rd Floor of Building 2, Xinglinwan Business Center, Jimei District, Xiamen

JIMEI CITIZEN SQUARE EXHIBITION HALL

Xinglinwan Business Center, Jimei District, Xiamen

https://www.en.jimeiarles.com/

 

 

 

 

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