Chronique Mensuelle de Thierry Maindrault
Qu’ils s’appellent Esope, de La Fontaine, Perrault ou Orwell, les créateurs littéraires ont souvent pris un malin plaisir à nous identifier, avec nos vices et nos vertus, à travers la gente animale. Le renard est rusé, la fourmi reste un peu avare, le héron s’affiche dédaigneux et le chat – même lorsqu’il court avec de grandes foulées – affiche son indépendance et sa subtilité. Aujourd’hui, je vais vous conter le blaireau. Cet animal se caractérise essentiellement par sa naïveté et son don, malgré ses poils devenus pourtant moins recherchés, à se faire plumer comme une volaille.
Comment le photographe qui était à l’origine créatif et astucieux est-il devenu successivement attentif et besogneux ; puis, intrépide et passionné ; et encore, installé dans les hautes sphères jusqu’à l’académie ; pour finalement, échouer dans la peau sympathique, mais pitoyable, de notre blaireau ? Dans l’argot français, ce pauvre blaireau est vraiment et irrémédiablement le « niaiseux » de nos cousins canadiens.
Comme dans toute duperie, pour qu’il y ait une victime abusée, il nous faut un profiteur peu scrupuleux. Pour nombre de sujets qui se considèrent comme photographes, le mécanisme s’est mis en place de façon méthodique et démultipliée pendant ces dix dernières années. Il est à noter, au passage, que l’arrivée inopinée du petit virus perturbateur n’a fait qu’améliorer l’évolution du système avec la possibilité de le dématérialiser. Revenons à nos blaireaux, des petits malins ont compris assez rapidement que la production photographique s’accroissait quantitativement très rapidement au fur et à mesure que la qualité des œuvres réalisées s’effondrait dans la même proportion. Il devenait évident que ces nouveaux auteurs prolixes auraient besoin de supports pour étaler le contenu de leurs cartons (en réalité des disques durs). Les cimaises des galeries – ayant pignon sur rue – et celles des salles des fêtes municipales se retrouvant assez rapidement saturées. Le chasseur d’images de l’immeuble, du quartier ou du village s’est retrouvé dans le désespoir de ne pouvoir montrer « ses chefs-d’œuvres » aux foules admiratives.
Pa ni p’oblem man, comme répètent nos amis créoles. Tout est bon au rusé renard pour attraper de l’argent disponible. L’acquisition ou la location d’une boutique vide (si possible en centre-ville), d’un ancien hangar industriel désaffecté, d’une ancienne piscine asséchée, d’un pavillon de chasse coquet, d’un pool House (pour du golf, du manège hippique ou du tennis), tous aménagés très sommairement (fissures, moisissures, déchirures restent de beaux compléments scénographiques mis à disposition sans supplément). Le piège est prêt. Un petit tour sur internet pour le repérage … et puis … Ensuite le scénario est bien rodé et parfaitement huilé. Un petit courriel, s’extasie devant vos travaux photographiques qui sont ceux d’un grand artiste méconnu, qu’elle carence. Nous vous proposons d’exposer dans un lieu magique, vous préparez quelques tirages que vous devez envoyer avec un chèque substantiel (juste pour couvrir des frais qu’ils disent). Un petit supplément si vous souhaitez un vernissage, un autre pour faire un catalogue comme il se doit pour une telle exposition et dernièrement, cerise sur le gâteau, une petite rallonge est indispensable pour un finissage en apothéose. Parmi ces loueurs d’immobilier à la petite semaine qui se déclarent Directeurs de Galerie et s’approprient le terme de curateur, se cache également un éditeur de livres d’art. Quitte à déplumer notre blaireau novice, il ne faut rien oublier, car cela serait trop stupide. La confection d’un livre magnifique s’invite dans le programme pendant que le porte monnaie de notre génial photographe s’aplatit. Un tirage discret de quelques exemplaires – pour la famille proche a raison des dernières économies. Il n’y a pas que le chanteur qui se voyait déjà en haut …
Alors oui ! j’ai de bonnes relations qui exposent à la biennale de Venise, sans savoir vraiment ce qu’est cette biennale et sans aller à Venise. D’autres envoient leurs tirages dans un quartier chic de Paris sans même contrôler la nature de la galerie. Les expéditions à New York suffisent à leur ravissement sans savoir que leurs travaux restent accrochés une petite semaine dans une cave au fond d’une impasse ; la petite prestation pour quelques milliers de dollars. Rien n’effraie le blaireau qui, après Paris, Bâle, Londres, Barcelone, Rome, s’apprête à gagner Tokyo, Séoul ou Shangaï. Au diable l’avarice, leur liste d’expositions sur leur site internet est tellement plus important que leurs propres images. Il est quand même vrai que souvent les énumérations semblent bien meilleures que les œuvres montrées sur le site.
Les marchands de cimaises et de pages de livres ont supplanté les marchands de sommeil. Il faut préciser que cela parait beaucoup plus lucratif et sans les risques. Tant qu’il y aura des pousseurs de déclencheurs qui voudront jouer les blaireaux à grosse tête, il y aura quelques rusés renards pour s’enrichir.
Les idées et créations d’anciens combattants disparaissent progressivement et c’est tant mieux, les procédures doivent évoluer ; mais, est ce bien nécessaire de vous faire tondre comme un pigeon ? Une réflexion objective est indispensable sur vos propres recherches et votre travail, le doute se doit d’être raisonnable avant tout investissement. Il ne faut jamais payer pour faire sélectionner vos photographies qui parfois méritent vraiment mieux. Gérez vous-même vos négociations, vos accrochages, vos scénographies (même si vous sollicitez l’aide d’un professionnel compétent pour vous assister).
En résumé, faire tout le contraire de ce que nous voyons, cette année, à la semaine professionnelle 2022 d’Arles !
Thierry Maindrault
08 juillet 2022
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