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Laureline Bobin & Gianni De Georgi : Rome, Ville Rêvée : Au temps du coronavirus

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Laureline et Gianni sont amoureux, l’une en Italie, l’autre au Portugal. 2515 kilomètres séparent Rome de Lisbonne par la route. Et pourtant, ils sont passionnés, et vivent une même vie. Résulte de cela l’utilisation du “nous” pour raconter sous la plume de Gianni les journées vécues et photographiées par Laureline.

Fin janvier elle débarque en Italie, lui au Portugal. L’épidémie semblait alors un lointain mirage, extérieure à Rome et à leur insouciance estudiantine. Puis, en un week-end, la ville s’est retrouvée bouclée. Laureline resta coincée dans son appartement, avec, comme seule liberté de mouvement, le chemin pour aller à son travail. Une situation inconnue, de longues heures au téléphone pour retrouver leur véritable foyer. La photographie fut alors, pour elle, le moyen de reprendre cette liberté volée, en arrachant à l’instant la vie s’effritant sous son objectif. L’écriture est, pour lui, un moyen d’expression privilégié.

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Deux semaines de confinement, dans un rapport de plus en plus sommaire avec l’extérieur. Certains ont pris le dernier vol pour retourner en France ou ailleurs, pas nous. Deux semaines que nous sommes parmi les chanceux du télétravail dans des appartements décents. Deux semaines que notre seul trajet possible est délimité par 4 murs. Il serait malhonnête de se plaindre, ou de se réjouir d’une telle situation, nous qui ne sommes pas “au front”. Nous ne pouvons que constater. Et ce que nous constatons c’est que, dans cet enchaînement infini de journées qui ne se distinguent plus, la nuit est une libération. Une fois notre journée de travail terminée, la nuit devient notre refuge. Notre seule possibilité de faire se distinguer cette journée de la suivante, de créer d’autres images, d’autres narratifs, d’autres horizons. C’est pour cela que toutes les photos ont été réalisées entre 18h et 00h, sur des inspirations de somnambules à demi conscients.

Impatiemment nous attendons que le dégradé du ciel vienne lécher les toits des immeubles de Rome et de Lisbonne. C’est l’âme pleine que nous laissons couler nos pensées les plus folles dans cette nuit reposante. Ce nouveau projet c’est suivre cette nuit devenue nécessaire. Une nuit où nous voulons juste méconnaître la forme du temps et oublier la cadence martiale du jour; rejeter un peu la monotonie infinie qui trouble les repères et s’éloigner du recommencement perpétuel. Nous voulions que tout ce mélange ressemble à un rêve, absurde et multicolore, pour que l’échappatoire nocturne devienne notre source de Lumière. Et nous laissant guider par son Illusion, nous avons trouvé, quelquefois, de quoi sentir la plénitude.

 

18:23 – Distorsion du soleil couchant

C’est la nuit qui arrive à pas lourd, inéluctable et englobante. Elle arrive, on l’entend venir de son bruissement sans pareil. Ola qui va là ? Enfin la voilà avec son cortège de siffleurs, de montreurs, de baratineurs et de bonimenteurs.

Préférence pour le bleu nuit plutôt que le rose orangé. Dans le couchant ce qui importe c’est l’après. C’est la fin promise de la lumière naturelle, l’identité du paysage urbain et rural parfois. Dans un coucher de soleil c’est le bleu nuit qui emporte le rose-orangé, toujours.

Alors nos nuits sont d’épines et de roses. Cette destinée arbitraire qui conduit à vénérer la nuit comme dieu unique, enivré pour être plus qu’un. L’onirisme, la fuite du réel dans la partialité de la nuit qui nous rassure. Il n’y a plus que quelques petits points lumineux au travers du rideau. Il ne nous reste qu’à plonger dans les bras de cette nuit libératrice pour compter un jour en moins et des rêves en plus.

Mais attendez. Que fait-elle de ceux qui se mettent en péril ? Cette force laborieuse sacralisée le temps d’une « guerre ». C’est la nuit attendue, la nuit miraculeuse, la nuit magnanime, la nuit miséricorde pour tous ceux du domicile, pour les confinés, mais qu’est-elle cette nuit pour ceux de l’action ? Le repos du guerrier ? La possibilité d’une île ? La certitude que tout recommencera demain ? Bien accrochée entre la peur et le devoir. Certains ont le loisir de rêver leurs rêves impossibles, les autres se contentent de repos. On ne vit pas en travaillant dans la peur, on ne vit pas en travaillant, on vit après. Les conscrits  ont la tâche de se reposer pour être aptes le lendemain. Nous sommes les passifs de cette maladie, un rideau de fer nous sépare.

 

22h48 –  Éveil calme

Robert, Robert le diable, Robert Desnos, Bob, Bobby

Compiègne et la Tchécoslovaquie

Aragon et Breton.

Inspirateur d’un monde à (re)(dé)couvrir.

Et si la sirène est bien lavée par ses savons, qu’en est-il de la ménagerie de Tristan ? Triste surement.

Le tout est de sentir, peu importe comment.

Les sachants tu les méprises

Tel l’automate autodidacte

La cadence naît de ce que tu es.

Au diable, Robert, la croyance dans le réel

Restons dans notre trop-plein, plein d’Amour, plein d’Illusion.

Et là, juste ici, peut-être y aura-t-il la fin de l’aliénation martelée.

 

1h12 – Sommeil paradoxal

Nous rêvons que nous sortons. Mais ce semblant de liberté est une farce, déjà plus une tragédie, car même dans nos rêves, tout est barricadé.

Un saxophoniste courtois m’interroge :

«  Où puis-je acheter le nécessaire ? »

« Tout dépend de ce que vous considérez comme nécessaire »

« Disons de la lumière et un peu de pain »

« Alors c’est par là »

Je lui indique un point lointain.

Le saxophoniste courtois revient en souriant :

«Je pense que tout est complet »

 

4h30 – réveil paradoxal

Rêve, rêverie, rêveurs

Rage, rouge, renégats

Une fleur enfermée dans une bouche

À qui est cette fleure ?

À qui est cette bouche ?

Elle veut éclore, c’est évident

Oui la bouche veut éclore

Mais c’est impossible, pas maintenant, pas tout de suite, pas déjà.

Alors tout est fermé.

Il y a un souffle qui vient du Nord-Est

Il remplit l’espace

Il est seul et unique

Tous les regards le soutiennent

Ah oui désormais nous sommes plusieurs, peut-être même plus.

Une pièce tombe mollement sur le sol,

À peine le cliquetis

À peine la monnaie de la pièce

À peine l’animal réveillé

Râ entrouvre la porte.

6h01 – Aurore 

Le rêve se dissipe, la réalité reprend ses droits.

Les invisibles d’hier, les invisibles de demain, au pinacle aujourd’hui. Tous s’articulent en bon sentiment, attention ça va déborder, ça dégouline, c’est presque charmant. Mais serait-ce bientôt la fin de votre mérite ? Cette aurore est-elle le début de votre crépuscule ? La lumière vous seyait bien, mais les gloutons, s’accaparent les auréoles, ne vous laissant que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur. Dans toutes les guerres, les fantassins deviennent des noms sur des murs, les généraux des titres de livres. Par cet unique aspect, peut-être, « nous sommes en guerre ». Vous ne juriez pourtant pas sur ce fond d’héroïsme, bien au contraire.

Vous brilliez dans la nuit comme un doigt divin montre la route,

tandis que les discours engloutissaient votre mérite pour cacher leur déroute.

Vous retournez à l’ombre, sans autre forme de procès, dans les rangs des « inconséquents ».

Mais à l’heure du grand tribunal, quand les cerisiers fleuriront, vous saurez quel est votre camp.

 

BIO :

Laureline Bobin a 23 ans, elle est étudiante en coopération internationale à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye. Passionnée par l’univers japonais, elle fait son année d’échange universitaire à Tokyo où elle découvre la photographie. Elle s’est installé à Rome pour réaliser son stage de fin d’étude.

Gianni De Georgi à 22 ans, il est étudiant en droit pénal à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye.

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