La photographe suisse expose ses clichés de la période après-guerre (1945-1960) au Centre Pompidou à Paris. Une promenade devant le temps libre d’une artiste.
Elle aime l’appeler ainsi. Sa « récréation ». Quand, dans les années 1950, Sabine Weiss ne répondait pas à une commande (photographie de mode, photojournalisme…), elle s’adonnait avec passion et patience à une façon personnelle de prendre le monde en photographie. Elle vagabondait dans les rues de Paris et attrapait au vol le sourire complice d’un enfant, les pas d’un vieil homme sur un trottoir enneigé, les reflets d’une silhouette un jour de pluie.
« Ce qui m’intéresse vraiment c’est par exemple un petit vieux qui vient chercher sa petite vieille, un enfant qui joue dans un arbre, un clochard qui s’endort dans un terrain vague », explique l’artiste âgé de 93 ans.
Pavé
Le Centre Pompidou honore sa mémoire en exposant pas moins de 71 clichés dont la plupart sont issus de la donation que Sabine Weiss a fait au musée l’an dernier. Des photographies de la période d’après-guerre, entre 1945 et 1960, qui donnent un bel aperçu de la vie à cette époque. « En ce temps là, les gens vivaient beaucoup plus dans la rue. Des hommes se rasaient par exemple. On était pas dans le monde d’aujourd’hui où les gens sortent beaucoup moins de chez eux », décrypte Sabine Weiss. De fait, photographe, elle attrape la vie des rues. Ainsi de ces silhouettes qui se fondent au pavé d’une place, un parapluie sur la tête ou bien ce groupe de clochards au bord de la Seine qui laissent tomber une bouteille de vin par terre et qui tache fortement le quai.
Doisneau
Dans son temps libre, Sabine Weiss célébrait la vie du dehors, les rencontres qu’elle faisait à la dérobée, au coin d’une rue. « J’ai toujours voulu être à l’aise avec tout le monde. Les clochards comme les châtelains », témoigne-t-elle avant d’insister sur la dimension sociale de la photographie. Ambassadeur d’une photographie humaniste aux côtés d’un Robert Doisneau ou d’un Henri Cartier-Bresson, elle a tracé son sillon dans lequel elle s’attache à la poésie des passages, à la déambulation libre dans un monde urbain. A New-York, elle prend les passagers du métro, les passants des larges avenues et elle dresse le tableau d’une ville qui fourmille aux côtés des immenses immeubles qui partent vers le ciel.
Terrain vague
A ces photographies, le Centre Pompidou a trouvé bon d’y ajouter celles de cinq photographes contemporains. Toutes ne dialoguent pas de façon évidente avec le travail de Sabine Weiss, mais certaines confèrent une fenêtre actuelle à des photographies qui tiennent d’une époque particulière, l’après-guerre, où le monde occidental se reconstruisait et vivait avec le souvenir épouvantable de la Shoah. Chez Weiss, il y a néanmoins beaucoup de joie. Comme chez ces gamins qui jouent dans un arbre au milieu d’un terrain vague à Saint-Cloud. Comme chez cet homme qui court – l’une des photographies les plus célèbres de l’artiste, sa véritable « icône » – et qui va vers le soleil d’un pas endiablé. La photographe rit du succès de ce cliché et, malicieuse, elle nous glisse : « L’homme sur la photographie, c’est mon mari ».
Jean-Baptiste Gauvin