Pendant sept ans entre 2015 et 2021, Ciro Battiloro a suivi dans leur quotidien plusieurs familles de quartiers du sud de l’Italie : Rione Sanità à Naples, Santa Lucia à Cosenza et Torre del Greco, où il est né. Ses clichés à l’atmosphère délicate et aux puissants noir et blanc montrent un autre visage de l’Italie méridionale. Ils sont réunis dans son premier livre, Silence is a Gift, publié chez Chose Commune.
Si l’on s’en tient à son image, l’Italie méridionale est souvent indissociable d’une certaine exubérance, une agitation constante, un chaos tantôt chantant et coloré, tantôt difficile et violent. C’est pourtant au prisme du silence que le photographe italien Ciro Battiloro a choisi d’explorer cette région : « Je ne voulais pas que le contexte socio-économique soit au premier plan. En photographiant ces individus dans leur vie quotidienne, j’espérais en donner une vision différente, tournée vers la vie, portée par un sens profond de la communauté et empreinte de délicatesse. Le silence de la maison, le silence de l’intime… ce sont pour moi des choses qui touchent autant à la beauté qu’à la résistance, une résistance aux choses que la société nous impose, que ce soit la violence ou les disparités sociales. »
La plupart des photographies ont été prises à l’intérieur, dans l’intimité du foyer. Dans la cuisine, le salon ou la chambre, sur le pas de la porte, une mère habille son enfant, un père nourrit son fils, une fillette se coiffe tandis qu’une autre joue avec sa mère. Ici, l’étreinte est reine. Celle entre parents et enfants, frères et sœurs, celle de deux amants, celle d’un enfant et son chien… la tendresse et la complicité familiales se transmettent d’un corps à l’autre, d’un regard à l’autre.
Les fratries jouent mais s’ennuient aussi, sur le canapé ou sur le lit, face au miroir. Plus loin, un grand-père allume une cigarette, une mère allongée ne semble pas voir son fils. Dans Silence is a Gift, les yeux fixent souvent le lointain, perdus dans des pensées qui nous demeurent inaccessibles. Pour Ciro Battiloro, il s’agissait de « raconter un conte d’amour et de solitude » autant que celui de l’existence humaine, de l’enfance à la mort. Au fil des années à côtoyer ces familles, il a observé des bébés devenir adolescents, des adolescents devenir parents et des parents vieillir, voire pour certains s’éteindre.
Cette thématique du temps qui passe, avec sa lenteur et ses silences, est au cœur de la pratique du photographe. C’est d’ailleurs pourquoi il s’est tourné vers l’argentique. Plus qu’un choix esthétique, il est révélateur de sa démarche : « avec l’argentique, tout est plus lent. Cette technique implique une attente cruciale à mes yeux car elle représente un temps qui laisse la place à la réflexion. » L’argentique lui permet aussi de jouer avec la matière et la lumière pour sculpter ses personnages, qui pour certains semblent tout droit sortis d’un chef-d’œuvre de l’histoire de l’art ou du septième art.
Une grande noblesse émane de chacun d’eux. Aux yeux de Ciro Battiloro, plus que ses images, elle tient surtout à leur manière de vivre, à la résilience et la résistance qu’ils puisent dans la beauté du quotidien. Une force tranquille qui les transcende et à laquelle le photographe a voulu rendre hommage dans ce livre qu’il considère comme « une lettre d’amour aux personnes que j’ai rencontrées. »
Ciro Battiloro — Silence is a Gift
Édité par Chose Commune, Mars 2024
Concept, editing et séquence: Cécile Poimboeuf-Koizumi
Conception graphique: Cécile Poimboeuf-Koizumi, en collaboration avec Perrine Serre
Texte : Erri De Luca
92 pages, 22,5 x 25 cm, Français / Anglais / Italien
35 euros
Disponible dans les bonnes librairies et en ligne
Une rencontre et signature aura lieu à la librairie Yvon Lambert le jeudi 30 mai à 18h.