Jeanne Moreau
Dans les années cinquante, profitant de mon statut d’enfant de la balle, j’avais pour habitude d’aller flâner dans les coulisses du théâtre où jouait Jeanne Moreau.
En tournant « Les amants » de Louis Malle, elle venait de déclencher un scandale en suggérant l’orgasme rien qu’en crispant sa main sur un drap.
Égérie de la nouvelle vague, amie de Miles Davis, elle était déjà la représentation d’une insolence encore ignorée des usages, elle avait de l’avance et ne s’en souciait pas.
Sous le prétexte fallacieux d’une séance de photos à venir, tous les soirs après la représentation, j’allais dans sa loge pour le plaisir de l’écouter parler en se démaquillant. Bref, comme tout le monde j’étais amoureux d’elle.
Le cinéma, la vie, les hommes, elle s’adonnait à une sorte de revue de presse d’un Paris réjouissant. Elle le faisait avec un naturel désarmant, nullement gênée par ma présence, évoluant dans une robe de chambre de soie fluide au parfum inoubliable. S’amusant sans doute de l’assiduité de cet adolescent timide, elle savait qu’avec ou sans fard, elle était le rêve absolu des hommes de son temps. Jamais je ne ressentis la moindre moquerie de sa part. Ainsi que Simone Signoret, avec qui j’eus le privilège de déjeuner deux fois par an tout au long de ma vie, Jeanne a toujours eu cette merveilleuse faculté de s’intéresser aux autres. Durant le temps d’une conversation, personne d’autre que vous n’existait. Je regrette cette politesse, cette courtoisie, elle tend à disparaître sous la cuistrerie des roitelets du beau monde, des arrivistes à la courte vue, lesquels n’écoutent qu’eux-mêmes, croyant s’acheter une personnalité en suivant la meute de ceux qui se regardent persifler, oubliant qu’il ne suffit pas de faire l’intéressant pour le devenir.
Par leur imagination et leur courage, Jeanne et Simone demeurent la preuve la plus évidente de cette phrase de Boris Vian :
« La mode, c’est l’impératif des indécis. »
Jean-Marie Périer
