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La Beauté de la Femme par Alain-René Hardy

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Album du 1er Salon international du nu photographique, Paris, 1933

NUS   NUS   NUS… Si une typographie encore plus grande avait été possible, nul doute qu’elle aurait été utilisée pour taguer cet album ; mais, c’était carrément impossible dans ce cas puisque ces trois lettres N.U.S. disposées en diagonale occupent la surface entière de la couverture [Ill. 01] ; [Ill. 02], s’imposant impérativement. Cet énorme NUS démesuré était d’ailleurs assez provocateur en cette France de la fin des années Folles, encore pudibonde malgré les exhibitions dévêtues d’une Joséphine Baker au théâtre des Champs-Élysées et les revues des Folies Bergère ou celles du Moulin Rouge galvanisées par Mistinguett. Ne le serait-il pas encore un peu de nos jours ?

Tout était fait pour accrocher l’œil avec ce titre surdimensionné, ‒ en particulier le mien, alors que j’étais en train de chiner aux puces de Vanves, et pour m’inciter finalement à ouvrir et feuilleter ce recueil aguicheur. Ce fut un coup de foudre : tout était magnifique dans cet album né cinquante ans auparavant : à commencer par les photos, tout simplement belles ‒ de même que les anatomies, et d’une remarquable présence mise en valeur en des tirages irréprochables, autant que le néophyte que j’étais pouvait en juger ; certaines indéniablement tout juste émancipées de l’imitation de la représentation picturale, d’autres plus inventives par leurs recherches de cadrage, de lumière, de contraste, et quelques-unes même nettement avant-gardistes, ne serait-ce que par le recours à des procédés techniques novateurs tels que surimpression [Ill. 03], solarisation [Ill. 04], ou flou intentionnel [Ill. 05]…

Prises en majorité en studio, mais aussi en plein air pour un tiers d’entre elles, les photos reproduites sans ordre particulier, étaient imprimées en pleine page sur un papier fort de belle qualité discrètement teinté, avec un procédé technique, l’héliogravure, avec lequel je me familiariserai ultérieurement, qui ménage avec douceur de forts contrastes entre des noirs denses et profonds et d’élégantes nuances de gris. Cet album de photos, esthétiques plutôt qu’érotiques, avait indéniablement beaucoup d’atouts pour me conquérir, dont de surcroît une originale reliure à la japonaise qui l’assemblait avec distinction à l’aide d’un cordonnet rouge. Quelle révélation ! un éblouissement. Ce n’était pas du tout ce que j’étais venu chercher ici de bon matin, mais j’avais de l’argent en poche et ce livre qui me séduisait tant était dans mes mains ; comment résister ?… Je repartis donc chez moi avec mon premier florilège de nus, qui fit ainsi son entrée non dans ma collection qui n’existait pas même en projet, mais dans ma bibliothèque, où il constitue maintenant le noyau à partir duquel s’est développé cet ensemble aujourd’hui si envahissant de plus de mille titres.

Mais qui était cependant ce Daniel Masclet (1892-1969) qui, avec l’aide de sa femme Francesca mentionnée dans le prologue, s’était risqué à mettre sur pied ce « premier salon international du nu photographique » hébergé au cours de l’année 1933 par la célèbre (à l’époque) Galerie de La Renaissance de la rue Royale ? Impliqué depuis longtemps dans la création photographique, ce tout juste quadragénaire reconnu au sein de la profession, avait fait ses armes chez le fameux baron de Meyer, œil attitré de Vogue pendant toute une décennie. Au contact de cet esthète perfectionniste, Masclet avait intégré rigueur et exigence dans la prise de vue comme pour le tirage ; une leçon qu’il mettra à profit dans ses évolutions futures lesquelles le mèneront à devenir, outre un animateur actif de sa corporation, d’abord et avant tout un maître du portrait, et ultérieurement du paysage. Ce qui ne l’empêcha pas de produire en outre quelques nus, éclipsés dans sa publication, ‒ tout comme ceux, assez décevants, de Moral dont c’était loin d’être la spécialité ainsi que ceux de Verneuil [Ill. 06] dont le recueil de 24 études de nus, Images d’une femme, venait d’être publié par la jeune maison d’édition fondée par Robert Denoël ‒, éclipsés, disais-je, par les visions de nombre de ses confrères, celles notamment de Louis Caillaud [Ill. 07] empreintes d’une suave candeur poétique.

Très informé de l’actualité de la création, Masclet avait convié à son exposition plus d’une cinquantaine de photographes de quinze nationalités différentes, parmi lesquelles, outre la France, étaient le plus fortement représentés l’Allemagne, les États-unis et la Grande Bretagne, sans omettre certains pays d’Europe centrale, tels que la Hongrie et la Tchécoslovaquie, où les recherches photographiques étaient remarquablement actives, à quoi l’on doit ici quelques clichés de Drtikol (Ill. 08), extraordinairement inventif par son exploitation de décors géométriques et, avec une intention clairement différente, celui de Lázló Moholy-Nagy (Ill. 09).

On ne peut manquer de s’interroger rétrospectivement sur la sélection de Masclet (dépendante, il est vrai, en partie de considérations matérielles que nous ignorons) qui avait en même temps sollicité des nus de compatriotes spécialistes du genre, à peu près oubliés de nos jours, tels que Verneuil et Caillaud ainsi que Marcel Meys (à qui je consacrerai une de mes prochaines chroniques), mais avait aussi négligé, fortuitement ou intentionnellement, pour des raisons pas forcément artistiques, des confrères confirmés comme Roger Schall, Emmanuel Sougez, Maurice Tabard et Lucien Lorelle, son concurrent parisien pour le portrait ; voire parmi les étrangers séjournant à Paris, Germaine Krull et Brassaï dont la carrière de photographe venait à peine de commencer ‒ absences notables. Néanmoins, il était particulièrement bien informé de l’actualité photographique à l’étranger. Ce à quoi l’on doit la présence à son exposition, ‒ et par suite dans cet album, des principaux professionnels américains, William Mortensen, George Platt-Lynes (Ill. 10) et Andreas Feininger… Mais comment ne pas remarquer l’absence incompréhensible d’Imogen Cunningham et d’Edward Weston que pourtant Masclet adulera dans quelque temps.
Certains acteurs de grande notoriété alors de la scène anglaise avaient également été invités, entre autres Bertram Park, auteur en compagnie de sa femme Yvonne Gregory de nombreuses publications illustrées par la photo de nus (The beauty of the female form, Routledge, 1934), Bernard Leedham, Fred Peel (Ill. 11) et Maurice Beck (Ill. 12), responsable au cours des années 20 du service photographique du Vogue anglais, pour lequel Masclet laisse transparaître son vif penchant par de nombreuses reproductions. Une copieuse représentation de la bouillonnante école allemande avait été sélectionnée (bien que la guerre ne soit terminée que depuis quinze ans) dont, en sus de Bruno Schultz (Ill. 13) et Alfred Grabner (Ill. 14) qui publieront l’un une introduction, l’autre une anthologie du nu à la fin de la décennie, l’incontournable Perckhammer (Ill. 15), présent dans toutes les brochures collectives de nus publiées sous la république de Weimar. Franz Fiedler, auteur il y a quelques années du beau portfolio des Künstlerische Aktaufnahmen (Nus artistiques ; Berlin, v. 1925) n’est malheureusement pas représenté ici à la hauteur de son talent. On relève de plus la présence du berlinois Hans Robertson (Ill. 16), méconnu en France, à tort comme notre illustration en apporte la preuve et, pour terminer par Z, du photographe moderniste Willy Zielke (Ill. 17), adepte de la Neue Sachlichkeit, qui publiera à son tour après la seconde guerre une brève mais incisive introduction à la photographie de nu.

Parcourir ce livre d’images « à la gloire du corps humain« , comme s’exprimeront prochainement les naturistes français, est un bonheur que n’oublient pas ceux qui en ont eu le privilège. Pourtant cette publication ne connut pas un véritable succès auprès du grand public (on la trouvait neuve encore au cours des années 70), mais en revanche son retentissement fut important dans le monde de la photographie, et à peine deux ans après, les éditions Forme s’empressèrent de faire paraître sous le titre Formes nues un volume concurrent de même sujet, de même taille, de même disposition, présentant de nombreuses analogies avec celui de Masclet, mais surtout de significatives différences que l’on peut expliciter en cette formule : Formes nues (Ill. 18) constitue la « nouvelle vision« , incontestablement radicale, de l’édition plutôt conventionnelle (selon le sévère jugement de Christian Bouqueret) de La beauté de la femme ; ce que figure métaphoriquement la confrontation de la reliure métallique hélicoïdale de l’un contre l’assemblage par ruban de coton de l’autre.

Il serait instructif d’en comparer systématiquement le contenu, mais cela nous entraînerait trop loin aujourd’hui ; nous y reviendrons à l’occasion.

Alain-René Hardy

 

Pour contacter Alain-René Hardy
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