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Kacper Kowalski : « Je vois le sol à travers mes yeux d’architecte »

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Kacper Kowalski a une obsession. Ce n’est pas la photographie, mais le vol. Lorsqu’il est au sol, Kowalski, 39 ans, ne prend jamais d’appareil, mais pour créer son nouvel ensemble d’œuvres, Over, il a sillonné le ciel du Nord de la Pologne sur 26 000 km2, au plus froid de l’hiver, parfois avec un parapente, parfois avec un autogire à coque ouverte – en gros, une golfette à hélice – promenant son appareil en direction des champs, des forêts, des sites industriels et d’autres traces laissées par l’homme.

L’ancien champion de parapente (arrivé deuxième mondial de sa catégorie en 2009) a volé à 150 mètres au-dessus de la terre et ses photos précises, composées avec minutie, révèlent la terre comme nous ne l’avons jamais vue – familière mais aussi abstraite et éthérée. Présent pour l’ouverture de son exposition du moment, Fade to White (« Fondu au blanc »), à la Curator Gallery de New York, Kowalski évoque sa vision, les drones, et l’avenir de la photographie aérienne.

Vous vous considérez avant tout comme un pilote, puis comme un photographe. Combien de temps avez-vous passé dans les airs ?

Je vole depuis vingt ans. J’ai passé 4 000 heures dans le ciel. Il y a 8760 heures dans une année, c’est donc comme si j’avais volé une demie année sans m’arrêter.

Vous souvenez-vous des premières photos aériennes que vous avez vues ?

Elles étaient dans un livre d’école – c’étaient des photos anciennes qui montraient Gdansk en noir et blanc, avant, pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Les soldats soviétiques ont détruit quatre-vingt dix pour cent du centre de la ville. Ils avaient une façon bien à eux de libérer les villes. Mais ma première vue aérienne, c’était depuis l’appartement du 7e étage où j’ai grandi, à jouer en face de baies vitrées qui donnaient sur la ville et la mer, à l’infini. Je rêvais assis devant la fenêtre. C’était un bon endroit pour réfléchir au monde qu’il y avait en-dessous.

Vous avez finalement étudié l’architecture…

Oui, avant de travailler dans un studio pendant quatre ans. Les photos que je prends aujourd’hui naissent de ce que j’ai appris en tant qu’architecte. Quand je vole, je trouve des formes, des caractéristiques, des contours, des symétries, des compositions, et des histoires, comme je pourrais les dessiner sur des plans directeurs.

Abordez-vous votre travail comme un architecte ou comme un photographe ?

Je vois les sols à travers les yeux de l’architecte. Je vois comment les hommes agencent, comment la nature réagit à nos actions. Je vois l’ordre et le chaos qui approchent. Comme un architecte, j’étude la façon dont vivent les gens, et je suis sensible à la relation de l’homme à son environnement. J’essaie de montrer tout ça dans mes photos.

Où vous situez-vous par rapport à la tradition de la photo aérienne ? 

Il y a eu beaucoup d’approches différentes dans la façon de regarder notre monde depuis le ciel. Que ce soit Edward Burtynsky, Georg Gerster, George Steinmetz ou Yann Arthus-Bertrand, chacun avait sa façon propre de raconter cette histoire, dans un style différent, avec un but différent, et un viseur différent. La mienne est unique également.

En quoi ?

En tant qu’architecte, je me détache des canons de la photographie. Je viens d’un univers visuel différent. Mais le fait que je sois pilote avant d’être photographe a également un impact sur mes photos. Un photographe doit anticiper un plan pour se dire ensuite : « Quel est la meilleure façon de l’obtenir ? Est-ce qu’il faut que j’utilise un ballon, un drone, un avion ? » J’ai une autre méthode : je vole d’abord, et je trouve mon histoire une fois que je suis dans les airs. C’est une approche organique, qui me laisse ouvert à la découverte d’une histoire, d’un sentiment, d’un état d’esprit.

De la même façon, certains photographes aériens aiment rapporter des photos des lieux les plus exotiques du monde – comme les déserts – ou des paysages célèbres, comme la Grande Muraille de Chine. Je trouve que le défi est plus grand de montrer des choses que vous avez peut-être déjà vues, mais pas forcément de cette façon. Je recherche la beauté chez moi, et je prends toutes mes photos à moins d’un jour de route de ma maison de Gdynia.

Vos photos trouvent leur plus grande force dans ce que vous choisissez de ne pas y inclure, ce qui les fait parfois toucher à l’abstraction. Lorsque je regarde les gens qui contemplent vos œuvres à la galerie, il y a souvent un moment où ils ne comprennent pas exactement ce qu’ils sont en train de regarder.

J’aime cet instant où les gens ne savent pas vraiment devant quoi ils se trouvent. Parfois l’objet dans le cadre peut sembler familier, mais pas immédiatement reconnaissable, comme un pont, un champ, ou quelque chose qu’ils ont en fait vu un millier de fois.

Sans ces indices contextuels, un gros morceau de glace peut ressembler à une cellule au microscope, un verger asséché à de la calligraphie.

Les photos ont plus d’impact sans ces indices. Elles font réfléchir ; le spectateur doit trouver ses propres réponses.

Votre point de vue sur la terre est différent, mais 2,5 millions de drones ont été vendus cette année. Aujourd’hui, n’importe qui avec 200$ peut voir le monde depuis le ciel : en quoi cela impacte-t-il votre pratique ?

C’est la fin d’une époque, et le début d’une autre. Le temps où seuls les humains pouvaient montrer la terre est révolu. Mais c’est la technologie. C’est arrivé avec les photos prises en ballon, avec la photo analogique, et la GoPro. C’est très bien comme ça. On n’attend plus la même chose d’un photographe aérien. Mais en tant que pilote, je me demande où est le plaisir de prendre des photos avec un drone ? C’est comme avoir des relations sexuelles à travers un écran d’ordinateur.

Qu’apporte un photographe humain à la photo que n’apporte pas un drone ?

Prises par de bonnes mains, les photos des hommes sont plus humaines, parce qu’elles sont leur témoignage. Si j’ai les larmes aux yeux, je peux le transmettre. Si vous voulez sentir la main de l’artiste, prendre part à ses décisions, éprouver tout ce qu’il a apporté à cet instant, par ce qu’il a déjà vécu, c’est la photo qu’il vous faut.

L’idée que le photographe a un vécu est…

… les hommes ont tellement de références, conscientes ou non, de leurs anciennes photos, qu’il devient plus facile pour nous de voir un moment parfait et de le capter. Les hommes peuvent voir ce qui est sur le point de se passer. Nous pouvons attendre des moments particuliers – une lumière qui va naître, un vent qui se lève, le temps qui change. Le drone est un moyen formidable et un outil étonnant, mais je peux voir des moments qui sont invisibles pour lui, et pour les autres gens également.

Comment voyez-vous le futur de la photographie aérienne ? 

Je trouve très excitant d’y penser. Lorsque les vues aériennes seront accessibles à tout le monde, à une très grande échelle, cela deviendra aussi courant que de voir des nuages depuis le hublot d’un avion, ce qui reste bien sûr spectaculaire. Lorsque les prix des drones baisseront et que les batteries verront le jour, le temps viendra où tout le monde aura accès au réseau des drones.

Comment seront-ils utilisés ?

Les villes seront cartographiées – toute la terre au final – et on pourra passer visuellement d’un drone à l’autre, voir le monde sans quitter sa maison. Un jour, ces perspectives deviendront ordinaires et même attendues. Et dans un futur lointain, il y aura peut-être même des drones en Réalité Virtuelle.

Le ciel en sera rempli alors…

Il est déjà rempli. Mon travail récent, que l’on peut voir dans l’exposition Fade To White, a été fait pendant l’hiver. C’était pour des raisons artistiques, mais aussi parce qu’il est plus difficile pour des drones et d’autres pilotes de voler dans des conditions difficile avec une faible visibilité. L’hiver est vraiment le dernier territoire qui m’appartient. Du moins pour le moment.

Entretien avec Bill Shapiro.

Bill Shapiro est l’ancien rédacteur en chef du magazine LIFE ; on le retrouve sur Instagram, sous le compte @billshapiro.

 

Kacper Kowalski, Fade To White
Jusqu’au 17 décembre 2016
The Curator Gallery
520 W 23ème rue
New York, NY 10011
USA

http://www.thecuratorgallery.com/

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