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Jérôme Albertini, La France comme elle va

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Il regarde au dehors pour voir au dedans… Les rues, les routes, les chemins, les champs, les près, les plages, – éventrés, étalés là, devant lui, prêts à l’inspection… Les intestins de la France. Des intestins qui se déroulent le long d’une route de 20 000 km. Pendant près d’un an, Jérome Albertini avale les entrailles de la France dans son Ford transit de régie photo, passe la nuit dans les parkings et les campings plutôt qu’à l’hôtel, préfère les casse-croûtes et les fruits des champs aux restaurants, et jaunit entièrement sa carte routière pour un budget final de 14000 €. L’oeil d’Albertini se substitue ainsi à l’oeil aveugle et dépassionné du goudron pour juste voir et voir « juste », pour tenter d’ approcher la réalité de cette France contemporaine que souvent les clichés assombrissent derrière le voile de l’imposture.
Rien n est plus vrai que ce qui est là, allongé là devant nous… et ce qui est là devant nous, est en plein changement.
Des collectivités rurales aux sphères urbaines, des cités aux beaux quartiers, des plus démunis aux plus
nantis, Albertini plonge radicalement dans les profondeurs muettes de la nation française. Des villes minières du Nord à Lille, de Dunkerque à Calais, d’Alençon à la région agricole de la Sarthe, de Lorient à Morlaix à travers la Bretagne, Paris, Versailles ou La Défense, sans jamais chercher l’exceptionnel ou le pittoresque, il s’échappe des images dʼEpinal pour révéler la France du présent, une France qui se cherche dans la globalité d’un monde en plein doute, une France dont les valeurs républicaines disparaissent derrière les couches du temps qui s’accumulent jusqu’à l’étouffement. Dislocation temporelle: dans la neutralité de ces photos, certains détails révèlent pourtant avec un humour sec le contraste entre les valeurs d’une France passée, avec celle du Présent comme son choix de photographier la Rue « Saint-Just » à Rodez, le panneau du parking de la « Place de la Révolution » à Belfort, les bureaux journal « l’Eveil » de la Haute Loire à Puy-en-Velay, la « Maison du Peuple » à Saint-Claude, ou le cinéma « Liberté » à Brest, – tous ces termes appartenant à une France au passé révolutionnaire en inadéquation avec ces images d’une France en pleine torpeur.
En révélant une France authentique, Albertini espère sans doute réveiller la conscience du citoyen. Et de ce réveil individuel peut-être un réveil collectif…
Comme Robert Frank ses « Américains » en 1953, c est une « civilisation » qu’il photographie. Né en France, mais ayant développé sa carrière photographique aux Etats-unis où il est désormais citoyen et fut résident pendant 20 ans, Albertini apporte un «regard neuf » et presque étranger sur le pays de son enfance. Ces corps voraces qui reconstruisent les utopies, le flot polyforme et instable de l’aliénation moderne. Derrière le voile du bucolique, du pastoral, du touristique, ou de l’historique se cache la France comme elle va. Et comment va-t-elle ?
Religion, travail, argent, publicité, consommation: la France est-elle aliénée à ces phénomènes sociaux? Dépossédée? Empêchée dans son déploiement?
Albertini s’est toujours intéressé à l’humain, et c’est en ayant connu le monde du spectacle, de la mode, et de l artifice à New York qu’il a pu devenir aujourd’hui une sorte de « Babouc » contemporain. A la manière du personnage principal du petit conte philosophique de Voltaire, Le Monde comme il va (1748), il examine la société française avec son CANON 1DS mark III 35 mm, et en guise de rapport ne nous remet pas une statue imparfaite comme allégorie de la France, mais plus de 120 images afin que nous puissions décider de son sort. Il semblerait que trois siècles plus tard, le verdict reste le même: « Si tout n’est pas bien, tout est passable… »

Eve Therond

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