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Jean Dieuzaide, la photographie d’abord

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Jean Dieuzaide fut mon unique référence photographique lorsqu’en 1968 j’entrai timidement dans sa maison rue Erasme  à Toulouse pour recevoir ses conseils avisés. À cette époque, proche de la cinquantaine, il signait encore ses tirages d’un Yan graphique et nerveux, une sorte de signe impétueux qui comme le Z de Zorro frappait l’imagination et qu’il utilisait pour cacher son vrai nom car dans les familles bourgeoises et catholiques, on ne devenait pas photographe. Cet érudit, récompensé dans le monde entier, plaçait la photographie si haut qu’on ne pouvait l’atteindre, cet homme à l’air si sérieux qui cachait bien son jeu derrière une coupe en brosse et des lunettes de notaire de province, que devait-il penser face à un hirsute soixante-huitard qui bégayait et lui mettait devant les yeux des images torturées, superposées et des tirages passés à la moulinette psychédélique ? En tout cas, ses convictions classiques mais plus que tout son œil furent impitoyables et s’abattirent sur moi sans détour, avec franchise mais sans jamais toucher à l’intégrité de mon imaginaire de sorte que notre rencontre fut plutôt stimulante et fertile. Sur la forme, il n’avait pas tort en m’incitant à plus de rigueur dans la qualité des épreuves, mais surtout il me confronta à une histoire de la photographie dont je n’avais aucune idée et à des auteurs, lesquels à partir de cet instant entrèrent dans ma vie à travers leurs livres: Walker Evans, Alfred Stieglitz, Steichen, ou Ansel Adams. Si ses convictions subversives et révolutionnaires étaient plutôt réduites, je dus avec le temps me rendre à l’évidence. Il n’avait pas forcément tort et l’avenir allait me sourire avec des images plus simples, sans tics d’effets, juste pour exalter la beauté de l’instant, et mettre en conformité le monde extérieur et intérieur. À partir de ce moment, nous nous sommes pris d’affection l’un pour l’autre, amoureux de la vie, de la Méditerranée et de la photographie en suivant nos carrières distinctes. Jusqu’à sa disparition en 2003, Jean envoya tous les ans à ma mère un pot de fleur pour la fête des mères, c’est une attention qui ne passe pas inaperçue. 
Lorsqu’en 1979, il publia son livre à compte d’auteur Mon aventure avec le brai, un fantastique corps à corps qu’il livra avec cette matière noire et visqueuse en fusion, je compris qu’à mon tour, je voulais participer à cette expérience féconde qui organise les images entre elles, provoque des rencontres et permet d’exprimer sa propre vision du monde.. Je m’étonnais qu’un homme dont le vocabulaire photographique faisait sans cesse référence à la mystique chrétienne au risque de passer pour un ringard auprès des intellos branchés, baignant dans l’art roman, se réfugiant souvent dans le calme d’un monastère puisse à ce point se mettre à nu dans un livre. En tout cas, Mon aventure avec le Brai   me décida à publier mon premier « Lunettes » et à créer les éditions Contrejour. .
Jean était un être atypique dans le paysage photographique français, une sorte d’électron libre à sa façon qui, à force de travail, de pratique active et inventive, de théories toutes personnelles, d’une production monumentale et diversifiée touchant à tous les domaines, prenait plaisir bien malgré lui à brouiller les pistes. Trop et très vite assimilé à l’école humaniste, il était partout et nulle part, unique, devançant même la jeune photographie de voyage des années soixante avec ses reportages solaires et sensuels composés au format 6 X6 sur les routes poussiéreuses de l’Espagne à bord de sa légendaire voiture décapotable avec laquelle il continua à frimer longtemps tel Alberto Sordi car notre homme avait le Sud séducteur. S’il pestait contre ceux de Paris qui ne s’intéressaient pas à son œuvre, cela lui permit au moins de se tenir à l’écart des modes éphémères, d’approfondir une œuvre pleine et complexe touchant à l’architecture, à l’industriel, au reportage, à la publicité, à tout ce qui possédait des formes, une âme et recevait bien la lumière. Avec la création de la galerie du Château d’Eau à Toulouse en 1974, il permit à des générations entières de se faire connaître , notamment en éditant de petits catalogues pertinents.
Plus tard, je mis mon journal et mes contacts à son service afin qu’il puisse depuis sa citadelle, lancer l’offensive pour la reconquête du papier baryté que Kodak envisageait de ne plus produire au profit du papier plastique et de la gagner, plaçant ainsi Toulouse au centre de l’échiquier alter mondialiste et de la résistance anticapitaliste. Je publiais ensuite deux de ses livres Voyages en Ibérie et Portugal 1950 avant de lui organiser quelques mois avant sa mort, une rétrospective à San Sebastian  dans le cadre du festival Terre d’Images  à Biarritz avec Michel, son fils et Jacqueline, son épouse.

Jean Dieuzaide, la photographie d’abord.
Par Jean-Marc le Scouarnec.
Éditions Contrejour
272 pages, 18 euros
ISBN : 979-10-90294-04-2

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