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Jamie Baldridge : « Si je n’étais pas photographe, je serais espion ou forgeron. »

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Jamie Baldridge est né en 1975. Il a grandi dans le milieu catholique d’une petite ville de Louisiane et décidé de devenir artiste quand il était enfant, après avoir découvert dans le grenier de sa grand-mère un livre de contes ancien intitulé 101 Contes de fées, à l’origine de sa fascination pour les contes et les fables. Il a d’abord étudié la théologie et l’écriture créative, puis la photographie à l’Université d’État de Louisiane, où il a obtenu son baccalauréat en Beaux Arts en 2001, puis son Master en 2005. Travaillant sur des formats larges ou moyens avec des appareils numériques haute résolution, Baldridge photographie des personnages dans des compositions surréelles et fantastiques qui offrent une réinterprétation des contes et des fables. Ses photos fonctionnent comme des puzzles visuels créant des métaphores et des situations existentielles. Baldridge enseigne actuellement la photographie à l’Université de Lousiane à Lafayette. Il a beaucoup exposé aux États-Unis, en Espagne et aux Pays-Bas. Il vit et continue de travailler à Lafayette, en Louisiane.

 

Comment avez-vous commencé la photo et pour quelles raisons continuez-vous à en faire ? 

C’est d’abord l’immédiateté de l’image qui m’a attiré, ainsi que l’alchimie du procédé. Je suis très impulsif et obsessionnel, or la photo correspond parfaitement à ces deux élans. Ce sont ces qualités qui continuent de maintenir mon intérêt, même si le médium est plus immédiat qu’avant et que l’alchimie est devenue un mélange de uns et de zéros.

D’où vient votre talent naturel pour la photo ?

Malheureusement, je n’ai aucun talent pour la photographie. Mes qualités, je les ai acquises à force de travail. J’ai en revanche un talent naturel pour raconter des histoires, et la photo est ma complice dans cet acte.

Cherchez-vous ou avez-vous déjà cherché l’inspiration chez d’autres artistes ?

Oui ! Absolument ! J’aime l’art plus que tout sur terre. Je passe donc énormément de temps à regarder les œuvres d’autres artistes. Il est donc difficile de ne pas être inspiré d’une façon ou d’une autre par leur travail. En un sens, j’ai été formé par chaque artiste dont j’ai vu les œuvres.

Dans votre courte biographie, vous écrivez qu’après avoir obtenu votre baccalauréat en photographie, vous avez fait « tout une série de métiers bizarres, très bizarres, dans la photo ». Pourriez-vous nous en dire plus sur l’un de ces métiers ?

Oui, j’ai été photographe de boudoir. Je suis quelqu’un de relativement timide, et j’ai toujours été impressionné par la façon dont les gens que je photographiais exposaient la beauté et la sensualité de leur corps, avec beaucoup de naturel et d’aisance.

L’exploration et la réinterprétation des contes de fées sont des thèmes récurrents des productions créatives, notamment au cinéma et en vidéo. En quoi considérez-vous que vos photos se distinguent d’autres œuvres qui abordent les mêmes thèmes ? 

C’est une bonne question, mais qui décrit mon travail en partant du mauvais sens. Même si d’autres ont décrit mon travail comme une réinterprétation des contes de fées, sans doute à cause de son côté surréaliste et parce que j’ai évoqué mon affection pour un livre de contes quand j’étais enfant, je m’offense de la comparaison, que je trouve trop simpliste et manquant de précision. Quand je dis que mon travail renvoie aux contes, c’est au sens large, en référence à toutes les histoires transmises au fil du temps ; les contes religieux, les fables, les paraboles, les poèmes, les romans, les idées philosophiques. Les contes de fées, notamment nos versions modernes contaminées par Walt Disney, ont tendance à ne présenter qu’une seule dimension. Or, mes influences et mes histoires sont beaucoup plus larges, complexes et, je l’espère, plus nuancées. Je pense donc que mon travail se distingue en ce qu’il vient de quelque chose de tout à fait différent.

De quelle histoire aimez-vous le plus vous inspirer ? Ou quelle histoire continuez-vous à étudier ?

L’histoire vers laquelle je reviens toujours est l’Épopée de Gilgamesh, une œuvre littéraire incroyable, sur le plan téléologique comme poétique.

Au milieu de photos plutôt sombres, certaines de vos œuvres présentent une forme d’humour. L’humour est-il une forme d’expression importante pour vous en tant qu’artiste ?

Absolument ! La vie est vraiment une chose absurde, sans autre objectif apparent que de nous attirer les grâces d’une divinité imaginaire pour un paradis ou un enfer éternel, ou d’amasser un catalogue d’habitudes et de névroses avant d’être enterré. Si je ne trouvais pas un peu d’humour même dans les recoins les plus sombres de mon esprit, je deviendrais fou.

Vos photos ont aussi un côté fantastique. En quoi la notion de fantastique, telle que nous la connaissons en littérature et dans les autres arts, fonctionne-t-elle dans vos photos ?

Quand on ôte la logique et la causalité, on se retrouve avec le fantastique. L’esprit peut alors fonctionner sans frein à main, pour ainsi dire. Il faut de la pratique pour le faire en plein jour, mais en rêve, nous pouvons l’imaginer assez bien, de façon instinctive. C’est presque comme si c’était au fond l’état premier du cerveau humain. La plupart de mes photos sont nées en rêves ou dans des états de conscience altérée. En ce sens, je crois qu’elles contiennent une vérité plus profonde que des œuvres élaborées plus consciemment ou théoriquement. Je crois vraiment à la philosophie du surréalisme.

Vos photos racontent-elles des histoires ou sont-elles des affirmations ? Ou les deux ?

L’un ou l’autre, parfois les deux ! Cela dépend souvent de la genèse de chaque photo, mais il serait malhonnête de dire que je connais toujours le raisonnement à l’œuvre derrière chaque œuvre ou que chaque image a un grand objectif ou une volonté d’enseigner quelque chose. Il a fallu des années avant que je comprenne vraiment le sens de certaines de mes œuvres, et d’autres prennent petit à petit un sens nouveau au fil du temps. Au final, je préfèrerais raconter une histoire plutôt que d’affirmer, même si c’est parfois une seule et même chose.

Votre éducation théologique entre t-elle en jeu dans votre travail ?

Beaucoup. Je suis fasciné par les complexités de la religion, considérée à la fois comme un espace de communion entre les êtres humains et le fantastique et comme un palliatif évident à la mortalité. Cela me va de dire que toutes mes œuvres sont en partie construites sur mon intérêt pour la théologie.

Pouvez-vous expliquer les aspects techniques de votre travail ? Comment construisez/produisez-vous une photo, du début à la fin ?

Je n’aime pas décrire mes trucs de magicien, mais il serait assez juste de parler de synopsis. Je fais d’abord un croquis de l’image pour saisir l’idée dans l’absolu, puis je la retravaille autant que nécessaire pour la faire correspondre à mon idéal esthétique. Je construis ma mise en scène numériquement, avec des textures personnelles et des images récoltées lors de mes voyages, avec divers logiciels. Je photographie ensuite mes modèles en studios, en prenant soin que chaque aspect de la photo puisse intégrer le monde virtuel dans lequel elle sera intégrée. Encore un peu de travail et de coloriage, et la photo est prête. Entre le croquis et l’image terminée, il s’écoule habituellement 3 à 5 mois.

Si vous n’étiez pas photographe, que feriez-vous ?

Si je n’étais pas photographe, je pense que je serais espion ou bûcheron. Sérieusement.

Parmi vos photos, y’en a-t-il que vous préférez ou qui sont particulièrement signifiantes pour vous ?

Oui, j’ai mes préférées, qui changent tout le temps. En ce moment, j’aime beaucoup Quinine is Medicine (« La Quinine est un médicament »). C’était un vrai défi de la faire, et elle exprime bien mon dégoût pour la façon dont la campagne actuelle considère comme pathologiques des pensées, des comportements et des états intérieurs tout à fait normaux, pour homogénéiser notre vision collective de la normalité.

Qu’espérez-vous que les gens apprécient lorsqu’ils regardent vos photos ?

La possibilité de se retirer de la réalité pendant un temps pour en contempler les merveilles et les horreurs.

 

Cet entretien intègre une série menée par la Holden Luntz Gallery, basée à Palm Bach, en Floride.

Entretien : Sara Tasini

Holden Luntz Gallery
332 World Ave
Palm Beach, FL 33480
USA

http://www.holdenluntz.com/

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