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in camera galerie : Laurence Sackman par Alain Le Kim

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J’ai rencontré Laurence Sackman dans des circonstances inattendues. Un ami publicitaire m’avait demandé si je pouvais « donner un coup de main » à Laurence car il venait juste de revenir à Paris. Il avait laissé tout son matériel de prise de vues en Angleterre.

Débarqué de son Londres natal à Paris dans les années 70, il avait très vite réussi une percée remarquée dans les magazines de mode. Après une interruption due à des problèmes de santé, il était décidé à reprendre sa carrière en France. Nous étions au début des années 1980. À l’époque, Laurence bénéficiait d’une aura exceptionnelle et c’était pour moi l’occasion de voir la façon de travailler d’un photographe prestigieux. Je venais de commencer dans ce métier et, passionné par les appareils photographiques, j’en avais déjà accumulé une quantité de toutes sortes de formats dont je n’avais en fait jamais utilisé le plein potentiel.

En l’occurrence, Laurence devait réaliser une campagne publicitaire pour la marque automobile Audi. D’un côté il était un peu dubitatif sur mes capacités, mais de l’autre, il était rassuré de disposer pour ce projet de tout le matériel possible.

Pour ma part, j’étais ravi d’aider un photographe de ce niveau. Je n’allais pas être déçu.

Une voiture rouge sur fond noir et, au-dessus, une trapéziste en action. Une prise de vue pleine de pièges pour un photographe. Laurence ne s’est pas départi de son flegme anglais, alors que je ne pouvais m’empêcher d’anticiper les difficultés : éclairer une voiture sur fond noir n’était déjà pas évident, mettre en lumière la trapéziste ne l’était pas moins. Laurence s’en tira de façon étonnante au moyen d’une seule source d’éclairage, un petit flash portable qu’il disposa de manière à illuminer à la fois la voiture sans reflets parasites et le modèle en suspension juste au-dessus. Le résultat était parfait. J’étais sidéré. Et je découvrais là un véritable maître.

Voilà comment s’est faite mon introduction à la photographie de haut niveau. Je n’avais jamais été assistant, j’avais commencé le métier en autodidacte et j’avais déjà une petite clientèle. Suite à cette rencontre avec Laurence, j’ai tout abandonné et suis resté plusieurs années son assistant car, avec lui, tout était passionnant.

Sackman m’a embarqué dans une aventure extraordinaire.

Plus je l’accompagnais, plus j’étais enthousiasmé par son savoir-faire. C’était surtout sa manière de voir, son style dépouillé, exigeant, qui me séduisait. Laurence parvenait à fabriquer des images intenses avec très peu de moyens techniques : un fond blanc, une source de lumière unique, une maîtrise parfaite du studio, et il produisait une photo magique.

Il arrivait chez moi le matin et nous prenions toutes les valises d’appareils dont je disposais pour les fourrer dans le coffre de ma voiture. « Everything but the kitchen sink » (tout sauf l’évier) disait-il quand je lui demandais si nous n’emportions pas trop d’équipement. Toutes ces mallettes de Nikon, d’Hasselblad, de chambres grand format, de flashes, nous les posions dans le studio de location choisi très précisément par Laurence pour les dimensions idéales de son cyclorama, et elles restaient là, en réserve… au cas où.

Très vite, il a disposé de moyens sans limites, autant pour les castings que pour la production.

Je me souviens des photographes travaillant dans les studios voisins, qui jetaient un regard par l’entrebâillement de la porte pour voir comment travaillait Sackman. Pour eux, habitués à des dispositifs d’éclairage complexes, la surprise était de taille. La plupart étaient ébahis. Comment ça ? Une star de la photographie officiant dans un studio presque vide de flashes, de réflecteurs, de panneaux noirs ? C’était Laurence. Il avait trouvé cette lumière splendide d’une simplicité redoutable, et il concentrait toute sa force créatrice dans la direction du modèle.

Dès qu’il a su que j’avais une chambre format 20 x 25, il a proposé à ses commanditaires d’utiliser cet imposant grand format, pourtant très contraignant. Sa manière d’éclairer n’a pas changé pour autant. Une seule source ponctuelle sans réflecteur, dans un cyclorama aux dimensions adéquates pour équilibrer le contraste. Une ampoule nue, qui fournissait un éclairage “solaire“, avec des ombres très nettes subtilement débouchées par les parois du studio. C’était tout. Et c’était d’une audace incroyable. Cette lumière donnait aux images une légèreté qui mettait en valeur le sujet avec une rigueur fascinante.

La collection Thierry Mugler fut photographiée en 20 x 25. Ainsi, comme par magie, Sackman parvenait à conjuguer la plus grande tradition avec une modernité décapante. On ne pouvait mettre en doute la hardiesse de sa démarche conjuguant un procédé « à l’ancienne », le grand format, avec un style d’éclairage d’avant-garde par sa radicalité.

Dès qu’il sentait la possibilité de sortir des critères conventionnels, il n’hésitait pas à en profiter. Laurence parvenait toujours à introduire une touche d’érotisme dans ses photos. Après une prise de vue de mode, il proposait souvent à ses modèles de poser nu. La demande était acceptée par les mannequins qui comprenaient et appréciaient sa démarche artistique. Les poses étaient osées sans jamais une once de vulgarité.

Mais Sackman pouvait surprendre en toutes circonstances.

Je me souviens de sa collaboration très étroite avec le coiffeur Daniel Harlow, un de ses amis proches, pour lequel il avait imaginé un visuel très fort. Harlow devait réunir ses collaborateurs et ses amis autour d’une grande table pour réaliser une « cène » inspirée des grands classiques de la peinture. Remi, la femme de Laurence, s’occupait du stylisme et avait trouvé une immense table, si grande qu’on a eu du mal à la faire entrer dans le studio. Malgré les dimensions et la complexité de la scène, Sackman avait encore une fois déployé son éclairage emblématique : une seule ampoule nue dans un cyclorama blanc. Obtenir des quinze personnages la bonne expression sur une seule photo démontrait la parfaite maîtrise de Laurence sur les prises de vues les plus délicates. Aujourd’hui encore, l’image est percutante.

Lors d’une autre séance avec Daniel Harlow, le cadrage de son portrait ne l’est pas moins. On ne voit que ses cheveux hérissés et son regard perçant. Tout dans cette photo démontre la force imaginative et la quête de simplicité absolue du photographe. Il ne s’attache qu’à l’essentiel pour produire un impact maximal.

Les pages de mode et les campagnes publicitaires se succédaient et Laurence pouvait devenir facétieux quand il n’approuvait pas ce qu’on lui imposait. Il avait un sens de l’humour ravageur et savait surprendre tout le monde par des décisions radicales.

Il y a eu des séances pour lesquelles Laurence, peut-être emporté par son succès, dévoilait toute son excentricité. Les troubles psychiatriques s’accentuaient, la maladie le gagnait rapidement, et les généreuses facilitées qu’on lui prodiguait n’arrangeaient rien. Toujours est-il que ce furent des années extraordinaires. L’évidence de son talent a été pour moi un perpétuel émerveillement.

Laurence Sackman est un photographe fugitif. Il devrait être aussi connu que les photographes de mode les plus renommés ayant travaillé à la même époque pour les meilleurs magazines mondiaux tels, entre autres, Guy Bourdin, Helmut Newton, Steve Hiett, Peter Lindbergh, Paolo Roversi. Tous ils l’ont admiré. Il mérite de figurer au Panthéon de cette profession, qui a beaucoup contribué à faire avancer l’art photographique.

Il fait aussi partie des photographes de mode qui ont magnifié l’érotisme sans jamais sortir du sujet de la mode. Avec Guy Bourdin et Helmut Newton, il n’a jamais cessé d’introduire dans son travail une importante part d’érotisme.

Il pourrait s’avérer le « Troisième Homme » du trio des photographes de mode érotiques avec Guy Bourdin et Helmut Newton.

Derrière les facéties d’une véritable star, Laurence Sackman reste un maître incontesté de tous les aspects de la photographie. Rien ne lui échappait. Mais ce qui est remarquable, c’est surtout sa quête perpétuelle de simplicité, une des choses les plus difficiles à obtenir. Pour citer Saint Exupéry “ La perfection est atteinte, non pas quand il n’y a plus rien à ajouter, mais quand il n’y a plus rien à retirer “. Parfaite définition du travail de Laurence. Il épurait la photographie à l’extrême et c’est ce qui faisait que ses confrères l’admiraient, impressionnés par sa rigueur technique et son audace créatrice.

En matière de maîtrise totale du processus photographique, Sackman est un cas d’école.

Alain Le Kim

 

in camera galerie
21 rue Las Cases
75007 Paris
mardi – samedi 14 – 19h
T: +33 (0)1 47 05 51 77
[email protected]
www.incamera.fr

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