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ICP, 94e rue et Russes, un conte vintage

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En 1985, l’ICP (International Center of Photography) présentait une exposition de photographes russes intitulée The Russian War: 1941-1945, en commémoration de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le travail de Dimitri Balternants y était mis en avant et il était présent pour le vernissage. Né à Saint Pétersbourg en 1912 au sein d’une famille d’universitaires, il était doué d’un tempérament chaleureux et extraverti qui résonnait à travers tout le bâtiment de la 94e rue. Certains le surnommaient le Robert Capa Russe – ce qui le réjouissait infiniment.

Oleg Troyanovsky, ambassadeur soviétique auprès des Nations Unies, était lui aussi présent pour l’inauguration. C’était un homme très élégant et son sourire me reste en mémoire. Les visiteurs s’étaient mis en file d’attente pour accéder à l’exposition et il les accueillait tous avec une poignée de main et quelques mots bienveillants. J’étais certaine qu’il devait s’ennuyer à mourir – il ne connaissait personne et ne nous reverrait certainement plus jamais. C’est avec cette pensée que je suis sortie me poster devant l’ICP. C’était par une belle soirée de printemps et j’ai soudain aperçu Vladimir Horowitz, assis sur un banc. Ravie, je me suis dit que j’allais m’arranger pour qu’il aille saluer l’ambassadeur. Au début, il m’a dit qu’il ne pouvait pas, qu’il se rendait à un ballet. Je l’ai rassuré en lui disant que cela ne lui prendrait que quelques minutes et il a finalement accepté – il n’était pas question pour moi d’accepter un refus. Alors que nous grimpions les marches menant à la réception, il a agité le doigt devant mon nez. « Pas de photographies ! », m’a-t-il intimé. J’ai promis. Puis il m’a demandé si l’ambassadeur parlait le Russe. « Naturellement, et vous ? » lui ai-je répondu en me disant que c’était une question bien étrange. « Bien-sûr que oui ! » s’est-il exclamé.

Quand ils se sont rencontrés, les deux hommes se sont aussitôt exprimés en russe avec enthousiasme. Cornell a accouru en réclamant un photographe et je m’y suis opposée immédiatement : « pas question, j’ai promis ! » En tout état de cause, il n’y en avait pas de disponible. Et voilà la scène : Cornell et moi-même en train de nous disputer sans grande discrétion, tandis que l’ambassadeur et Vladimir Horowitz s’égosillaient en russe. Par la suite, j’ai compris qu’Horowitz pensait certainement rencontrer l’ambassadeur américain auprès de la Russie, et non l’ambassadeur de la Russie auprès des Nations Unies.

Toujours est-il que Vladimir Horowitz fit son retour à Moscou en 1986, après soixante-et-un ans d’absence, pour donner un concert. Il joua des morceaux de Rachmaninov et Scriabine, deux compositeurs russes, sur son propre Steinway, expédié depuis son appartement de la 94e rue, situé en face de l’ICP. Pendant le concert, le public pleurait ouvertement et il y eut six rappels – le visage du pianiste ruisselait de transpiration. Sur son passage lorsqu’il sortit, les gens restèrent postés debout sous la pluie. Il avait quatre-vingt-un ans. Cornell Capa a toujours dit que c’était mon intervention qui avait mené à ce retour. Pour sa part, Ben Fernandez déclarait que tout était dû à Lisette Model, décédée en 1983.

 

Anna Winand

Anna Winand était l’assistante de Cornell Capa à l’ICP, à New York. Les photographies signées Dimitri Baltermants sont publiées avec l’aimable autorisation de la Glaz Gallery de Moscou. La photo de Vladimir Horowitz devant l’ICP a été prise en 1988 par Ruth Silverman. 

www.icp.org

 

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