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Ibiza et son architecture classique, vue par Raoul Hausmann

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Après le Point du Jour, le Jeu de Paume présente à Paris la superbe rétrospective consacrée à Raoul Hausmann. Conçue par la commissaire d’exposition et historienne de l’art Cécile Bargues, l’exposition retrace notamment les recherches étonnantes du photographe austro-tchécoslovaque sur les architectures et intérieurs ruraux d’Ibiza.

En 1933, l’Allemagne nazie publie une liste des artistes « dégénérés ». Raoul Hausmann est le treizième de cette liste. Il part avec sa compagne Vera Broïdo à Ibiza. L’île des Baléares n’est pas encore devenue ce lieu de fête perpétuelle, marquant l’industrialisation des plaisirs (Yves Michaud). Hausmann arrive bien avant les « Suédoises » en 1950 et précède de vingt ans les communautés hippies venues chercher sur l’île des idylles dorées. Des touristes allemands, parmi lesquels certains sympathisants nazis, comptent parmi les occupants de l’unique hôtel de la ville. Le philosophe Walter Benjamin cherche comme lui une retraite. De cette très légère frénésie, Hausmann s’éloigne. Il ne fréquente presque que les habitants d’Ibiza, majoritairement paysans.

Le territoire et les contacts amicaux avec ses habitants lui offrent une fenêtre d’observation sur l’architecture et les usages de l’île. Une intuition nait : les fincas et leurs intérieurs représentent une perfection classique plastique, un ensemble d’architectures européennes. Il trouve sur place une « architecture sans architecte ». À Ibiza, les maisons traditionnelles de chaux blanche se transmettent à l’oral. Lorsque l’on veut construire une nouvelle finca, on copie sur son voisin.

En étudiant et dessinant avec précision les plans, Hausmann relève les similitudes entre les différentes maisons. Très souvent, le salon central jouxte directement plusieurs chambres. Les maisons larges s’ouvrent sur de grandes terrasses donnant sur les champs en contrebas. Il y a peu d’ouverture aux murs pour garder l’habitat frais.

Son étude lui permet également de comprendre combien la finca, ses décorations extérieures, son mobilier intérieur résultent de plusieurs vagues migratoires. Dans la finca, on retrouve l’architecture méditerranéenne, notamment ses arrondis grecs, mais également les arborescences minimalistes arabes.

Tandis que Walker Evans s’arrête aux façades, que la photographie de rue ne pénètre pas à son époque dans les habitations, Hausmann tourne autour des maisons, il entre dedans, discute et apprend des paysans. Le bâti ne fait pas tout. Il écrit sur ses découvertes, mais n’en tire aucune théorie. Il se contente d’observer. Dans ses écrits, il ne prend pas position, mais décrit les mœurs. En cela, il s’oppose à Le Corbusier qui « regardait vers Athènes et cherchait la maison méditerranéenne typique », comme l’explique Cécile Bargues.

En cela, les fincas sont des habitations « apatrides », elles sont le fruit de plusieurs migrations, d’une tradition rurale de la transmission orale et ne promeuvent rien, sinon la simplicité et l’utilitaire. En affirmant cela, Haussmann « démonte les idées de la propagande fasciste, récuse l’idée de la pureté de la race ; l’idée selon laquelle à telle race correspondrait telle architecture, tel art », précise Cécile Bargues. Il n’y a là aucune supériorité du peuple, aucune hauteur prétendue, simplement des croisements de civilisations. Sa pensée lui vaudra une dénonciation, une fois exposée en Suisse.

La période d’étude et d’accalmie à Ibiza prend brusquement fin avec le début de la guerre républicaine en Espagne. À Ibiza, les combats ne durent qu’un mois. L’île tombe, le franquisme s’impose. La malheureuse fortune de Raoul Hausmann ne fait que commencer.

Arthur Dayras

 

 

Raoul Hausmann, Un regard en mouvement
Du 06 février au 20 mai 2018
Jeu de Paume
1 Place de la Concorde
75008 Paris
France

www.jeudepaume.org

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