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Huawei / Magnum Photos – Compte Rendu de la Conférence du 14 mars

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Intervenants
Stéphane Curtelin – Huawei
Pauline Sain – Magnum Photos
Michel Poivert – modérateur
Diana Markosian – photographe
Son interprète
Pierre-François Le Louët – NellyRodi
Antoine D’Agata – photographe
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STEPHANE CURTELIN : Bonsoir à toutes, bonsoir à tous, laissons les derniers arrivants s’installer tranquillement. Nous sommes ravis de vous retrouver dans ce lieu prestigieux du Jeu de Paume et de voir que la salle est comble. En plus, nous sommes presque à l’heure. Pour des Français, en majorité, j’imagine que c’est plutôt une bonne performance ! Je suis Stéphane Curtelin, Directeur marketing de Huawei en France. Je vais prendre votre attention pendant quelques minutes avant de laisser la parole à nos brillants invités.

Pour commencer, pourquoi cette photo ? Nous avons la chance d’avoir un vidéoprojecteur qui tient à peu près la route pour apprécier la qualité des photos. Pourquoi cette photo donc ? Parce que c’est le vainqueur des Trophées Huawei Next-Image 2018. En quelques mots, c’est une idée qu’a eue l’entreprise pour mettre en lumière la photographie d’aujourd’hui et de demain. Pour faire simple, pour nous inscrire modestement dans l’histoire de la photographie. Il y avait les photographes dans les 1900 et même à la fin des années 1800 qui prenaient la photo avec le trépied, le flash chimique à la main, sous un voile. Et puis après, il y a eu la fameuse image de Robert Capa en 1936 où, enfin, on pouvait saisir le vif et, avec Magnum qui nous accompagne ce soir, cette photographie justement prise sur le vif a fait évoluer de façon très nette l’histoire de la photographie. Et puis là, il nous semble qu’il y a une nouvelle révolution en cours depuis plusieurs années et, modestement, nous voulons y participer chez Huawei en stimulant la créativité autour de la photographie moderne, d’aujourd’hui et de demain. Or, il fallait créer un cadre qui permette de stimuler cette créativité : c’est le programme Huawei Next-Image, qui se décline en plusieurs volets. Il y a notamment ce Prix mondial. Il fallait aussi donner des outils aux grands et petits photographes que nous sommes en innovant, en produisant des smartphones qui repoussent sans arrêt les limites de la photographie pour ce superbe petit produit qu’on a maintenant tous dans la main et dont on attend toujours plus chaque jour. Huawei Next-Image, c’est un trophée annuel. Nous allons présenter les jurys de la prochaine édition 2019. Comme vous le voyez, nous essayons de nous entourer de gens brillants, qui ont un regard autorisé sur l’histoire de la photographie. On y retrouve des personnes de chez Magnum, de chez Huawei, des artistes, de vrais photographes connus et reconnus pour que ce grand prix soit ouvert sur le monde entier. Nous avons des participants du monde entier. L’an dernier, le gagnant était un Polonais. L’année précédente, il y a eu une maman chilienne. Nous espérons qu’il y aura des lauréats français cette année. Il y a plusieurs catégories. Là, il s’agissait du 2e Prix, dans la catégorie Portrait. Cela me permet de terminer en expliquant que Huawei Next-Image, c’est un Prix mondial mais ce sont aussi les Next Image Colleges, online et offline. Je vous invite à y aller. Il y a des cours de photographie, à travers le site, ainsi que des rencontres et, enfin, les Next-Image Masterclass. C’est ce qui a lieu aujourd’hui, en partenariat avec Magnum, la Galerie Leica, le Centre de la photographie de Shanghaï et aussi National Geographic. Et je passe la main à Pauline Sain, Directrice Générale de Magnum, que je remercie au passage pour avoir organisé avec nous ce bel événement.

PAULINE SAIN : Bonsoir à tous, je vous remercie d’être là. Je suis donc Pauline, la directrice du bureau parisien de Magnum Photos. Je voulais effectivement remercier Huawei pour cette opportunité. Ils nous ont fait confiance. Ils ont surtout laissé les photographes complètement libres de choisir leur sujet et de s’exprimer avec le téléphone donc merci pour cette opportunité. Je remercie aussi nos intervenants, Antoine D’Agata et Diana Markosian, photographes de l’agence, Pierre-François Le Louët de chez NellyRodi et Michel Poivert, Professeur à la Sorbonne, qui nous fait l’honneur d’animer ce débat ce soir et à qui je vais laisser la parole. Merci à tous.

MICHEL POIVERT : Merci, bonsoir à tous, je suis ravi de vous retrouver ici au Jeu de Paume pour parler avec deux photographes, mais aussi avec un collectionneur, ou plutôt je préfère dire, un amateur de photographie, qui aura tout loisir d’intervenir lorsque le cœur lui en dira. Notre rencontre a, elle aussi, je l’espère, un caractère spontané, sur le vif.

La soirée va se dérouler de la manière suivante : vous allez découvrir pour la première fois les travaux inédits d’Antoine et de Diana, qui ont été réalisés en un temps record comme une expérience photographique avec le matériel Huawei, mais ce sont surtout des travaux qui, nous allons le voir, s’inscrivent de plein droit dans la poursuite de leur œuvre singulière à l’un et à l’autre.

Lorsqu’on m’a proposé de venir parler avec Diana et Antoine, il y avait une envie de parler d’un thème qui soit à la fois un grand thème et qui les concerne tous les deux. La question de la représentation de soi, la question peut-être un peu classique a priori de l’autoportrait mais aussi la question de l’intime sont apparues comme étant un connecteur assez évident entre leurs travaux et nous avons donc décidé d’articuler la présentation de leurs productions autour de ces grandes questions.

Diana Markosian, vous êtes entrée à Magnum en 2016. Vous êtes donc une nouvelle figure de cette grande agence. Votre travail photographique est publié dans les grands magazines depuis maintenant quelques années mais, surtout, votre œuvre est en train de creuser un profond sillon entre l’intime de votre histoire familiale et la grande Histoire du destin et de la société arménienne. Ce moment dans votre travail où l’histoire personnelle et l’Histoire avec un grand H se croisent fait complètement partie de la dynamique de votre œuvre. Nous allons interroger ces éléments, voir où vous en êtres dans cette œuvre et comment le Je s’y déploie. Nous allons en parler avec les images tout à l’heure.

Il est difficile de présenter Antoine D’Agata en quelques mots. Il réalise des ouvrages et des expositions depuis les années 80. Antoine, tu es entré à Magnum à 2004, si ma mémoire est bonne. Ton travail est largement diffusé, comme je le disais, à travers les livres et les expositions. Il approfondit peu à peu une tentative d’épuiser à la fois la photographie et toi-même sous des formes diverses et variées. De vraies formes variées puisque ceux qui suivent ta production ont pu voir tes propositions plastiques extraordinairement différentes et je pense que, ce soir, nous allons à la fois retrouver des travaux d’Antoine tels qu’on les connaît à travers certains process mais aussi des choses qui sont des manières de bousculer, de déranger un peu les lignes.

Je vous propose de commencer à regarder quelques images. Nous allons les découvrir ensemble. Voilà, cette image est de Diana. Une chose vous relie l’un et l’autre dans la conduite de votre œuvre : la pratique de la photographie et du film. Nous aurons peut-être l’occasion d’y revenir. Diana, quand vous avez produit ces images, vous les avez réalisées, me semble-t-il, dans un rapport très précis au projet du film. Pourriez-vous nous donner des éléments pour comprendre ces images que vous nous présentez ce soir ?

DIANA MARKOSIAN : Je crois être la seule à ne pas parler français ce soir. Ce projet de photos que vous voyez là a été pris sur une seule et même journée. Je travaillais depuis deux ans sur un projet qui consiste à reconstruire ma famille. Toutes les personnes que vous voyez là à l’écran sont des acteurs avec lesquels je collabore sur ce projet depuis deux ans. Ces deux-là, en particulier, jouent mon rôle et celui de ma mère. Cela montre la vie que nous avons laissée derrière nous en Arménie pour aller en Amérique, en s’inspirant du feuilleton « Santa Barbara » que nous regardions. Lorsqu’on m’a demandé de faire ces photos, l’idée était de disposer d’un peu de temps pour créer des images autour de différents décors et scènes que nous avions créés pour le film mais le téléphone est arrivé le dernier jour du tournage. Je dirigeais donc simultanément les acteurs et l’équipe, je photographiais pour mon livre et je créais ces images. Elles ne représentent donc pas le projet mais en donnent un aperçu. Comme vous l’avez dit, c’est un regard intime sur des acteurs qui ne sont plus des acteurs mais font partie intégrante de ma famille et marchent sur les traces de ma propre famille depuis deux ans. Je ne vois plus la relation comme une expérience lointaine.

MICHEL POIVERT : nous parlions tout à l’heure des possibilités d’enregistrer des éléments instantanés, la vie sur le vif. Là, justement, on a l’impression que la question de la spontanéité est mise en tension avec la question de la pose. Comment travaillez-vous cette tension ?

DIANA MARKOSIAN : Pour moi, tout est fondé sur confiance. Je fais confiance aux sujets de ces clichés. Je ne les considère pas comme des sujets, même pas comme des acteurs, mais vraiment comme des membres de ma famille. Ils connaissent leur rôle réellement sur le bout des doigts. Lorsque je tourne, l’actrice qui joue le rôle de ma mère, je l’appelle par le nom de ma mère et je l’appelle « chère maman » depuis maintenant deux ans que je la connais et pas par son nom à elle. Il y a une telle confiance. La spontanéité vient de là aussi. Mon travail consiste à préparer la scène, à donner suffisamment d’informations contextuelles pour qu’elle sache que, chaque matin, elle doit descendre neuf étages avec des seaux, prendre l’eau et remonter l’eau. Et cela lui suffit pour comprendre exactement quel doit être son état d’esprit. Mais cela n’est pas arrivé du jour au lendemain. Il m’a fallu un an et trois mois pour trouver ces acteurs. Pour moi, il ne s’agissait pas seulement de choisir un corps, mais bien de choisir la bonne femme, les bons enfants et le bon père pour entreprendre ce voyage avec moi car il y a une responsabilité des deux côtés.

MICHEL POIVERT : On comprend que ces images sont le résultat d’une longue projection de votre imagination. La question que je me pose en les voyant est celle de la réciprocité des sentiments. Vous vous projetez dans cette famille mais comment répondent-ils à cet affect ? Sont-ils aussi devenus votre famille ?

DIANA MARKOSIAN : Je pense avoir normalisé tout ce qui peut sembler très étrange dans ce projet. Ainsi, lorsque je l’explique, cela ne me semble pas étrange mais je pense que, lorsque je regarde de l’extérieur ou que je l’explique, par exemple, à ma grand-mère, elle trouve que c’est un peu bizarre. Lorsque je lui racontais l’histoire de cette reconstitution, elle m’a dit « C’était si difficile à vivre à l’époque, pourquoi voudrais-tu le recréer ? ». L’histoire complète est que nous sommes venus en Amérique lorsque j’avais sept ans. Ma mère était une épouse par correspondance. Un homme l’a donc choisie dans un catalogue, dans une publicité. Ils ont correspondu pendant six mois puis elle a pris l’avion, en nous emmenant, mon frère et moi. Nous sommes arrivés en Amérique où elle a rencontré ce très vieil homme à l’aéroport. Et cet homme vivait à Santa Barbara. Il est devenu mon beau-père. Je n’ai pas vu mon père pendant quinze ans et j’ai fini par grandir dans cette ville que regardions à la télévision. Je pense donc que les acteurs répondent en quelque sorte avec la même énergie que celle que j’ai donnée. Ainsi, nous conduisions en Californie et l’acteur qui jouait mon beau-père n’arrêtait pas de parler. Je n’arrivais pas à me concentrer. J’ai simplement dit « Papa, arrête » et, à la minute où j’ai dit ça, je me suis dit « oh mon Dieu, ce n’est pas ton père, c’est un acteur ». J’ai donc repris « Gene, je suis vraiment désolée ». Lui m’a répondu « Petite, je n’avais pas fini de parler » ! Je pense que nous sentons vraiment l’énergie les uns des autres à ce stade. Cela fait deux ans que nous sommes ensemble.

MICHEL POIVERT : Lorsque j’ai découvert votre travail, Diana, j’ai été particulièrement sensible à l’œuvre intitulée « Inventing my father » dans laquelle vous travaillez précisément sur un album de famille. Je n’ai pu m’empêcher de faire le lien entre ce travail de reconstruction autobiographique et la question de l’album de famille. Même avant de faire le film, n’avez-vous pas toujours eu en tête de faire un album de famille ? Ne s’agit-il pas des images d’un album de famille, même idéal ?

DIANA MARKOSIAN : Je pense que quand on regarde les images que j’ai créées, on a vraiment l’impression qu’elles ont été faites en Arménie en 1996. J’ai l’impression d’avoir eu le privilège de créer une machine à remonter le temps. J’ai appuyé sur le bouton et je suis remontée vingt ans en arrière. J’ai vraiment marché sur les traces de ma mère. Avec ce projet, il n’y avait jamais eu l’intention de créer un travail sur ma famille. C’était vraiment pour essayer de comprendre les zones grises. Quand j’ai commencé en tant que photographe, je voulais juste voir le monde, vivre une vie intéressante. La Californie dans laquelle je grandissais me semblait étriquée. Vous avez envie de voir le monde et j’ai eu la chance de le faire avec mon appareil photo. Ma rencontre avec mon père a tout a changé dans mon travail. Il ne s’agissait plus de voir le monde, mais d’apprendre à être seule. L’essentiel avec ce travail est simplement d’essayer de comprendre réellement quelque chose qui a affecté mon éducation et de le traduire ensuite, si possible, à un public plus large. Je ne pense pas que mon intention était de créer un album de famille, je n’ai pas réfléchi aux façons de conceptualiser cela. Je ne pense pas au résultat de mon travail, je veux juste le faire.

MICHEL POIVERT : Pierre-François Le Louët, êtes-vous sensible comme moi à l’indistinction parfois entre le souvenir, la réalité et sa reconstruction dans les images de Diana ? Comment les percevez-vous ? Que ressentez-vous ?

PIERRE-FRANÇOIS LE LOUET : La position dans laquelle je suis ce soir est évidemment un peu inconfortable et en même temps absolument délicieuse. Evidemment, le projet est absolument fascinant. Ce travail à la fois extrêmement personnel, mais sur une communauté qu’est la famille, et la volonté de le partager effectivement avec une audience beaucoup plus large est extrêmement singulier, intime. Et, en même temps, il a des résonances chez chacun d’entre nous parce que cela touche à l’enfance, à la famille. J’ai aussi une question pour Diana. Sur cette volonté de partage de cette histoire que vous nous racontez sous différentes formes et avec différents médiums. Cela me permet de revenir aussi au sujet qui me fascine beaucoup et qui nous occupe aujourd’hui : le téléphone portable. Beaucoup d’entre nous utilisons justement ce téléphone portable et particulièrement l’image sur le téléphone portable comme la manière de partager avec le plus grand nombre des projets très personnels. Pour utiliser encore un poncif, il y a un milliard d’utilisateurs d’Instagram aujourd’hui, 95 millions de posts chaque jour, des populations extrêmement jeunes (40% des utilisateurs d’Instagram ont entre 16 et 24 ans). L’impact de ces réseaux sociaux, notamment sur la qualité des images transmises et parfois le succès des artistes et des images elles-mêmes. Pour vous, le réseau social est-il une dimension du partage ? Avez-vous envie de partager vos images sur ces réseaux ou pas ?

DIANA MARKOSIAN : Vous me posez cette question au moment précis où je me dis depuis un mois que je dois quitter Instagram. J’ai déjà quitté Facebook mais je dois encore le faire pour Instagram. Pour être honnête, je pense que ce n’est pas la meilleure influence. Vous pouvez y trouver l’inspiration mais vous pouvez aussi simplement être influencé de manière à oublier pourquoi vous le faites, pourquoi vous créez ce travail. Je ne pense pas que vous créez pour obtenir un like. Vous créez pour laisser un héritage, pour créer quelque chose qui dure. Lorsque vous n’obtenez pas assez de likes ou que vous publiez pour un résultat immédiat, vous passez à côté de ce que signifie vraiment faire ce travail. Pour moi, cela peut être un outil très amusant, mais je pense que la version de moi sur Instagram est très différente de celle que je suis en personne. Tant que ces deux personnes ne sont pas les mêmes, je préfère me tenir à distance.

MICHEL POIVERT : Merci de cette échange. Nous allons regarder la deuxième partie du corpus de projection avec le travail d’Antoine. J’avais relevé dans un des nombreux entretiens qu’Antoine D’Agata a pu produire une phrase qui m’a semblé être en résonance assez forte avec ce qui se passe ce soir et notamment le rapport aux machines : « La photographie est le langage de l’action parce qu’elle est immédiate, conçue et aboutie dans l’instant, au sein même du geste qui la génère. Et parce qu’elle ne requiert plus, de par les perfectionnements techniques contemporains, d’autres aptitudes que celles à vivre, la photographie se révèle être la négation d’une idée convenue que les artistes se font aujourd’hui de leur propre parole, passive, inoffensive et parasite. »  Je relève la question des perfectionnements techniques qui poussent encore plus la photographie à dire ce qu’elle est, en tout cas dans ta pratique. Peux-tu nous dire où ces images ont été faites en quelques jours, il y a quelques semaines ?

ANTOINE D’AGATA : Elles ont été faites en six jours au mois de janvier. J’étais parti en commande à Gaza pour une ONG et j’ai été viré de Gaza par le Hamas parce qu’ils sont allés voir mon travail sur Google. Je me suis donc retrouvé en Israël sans grand-chose à faire. J’étais allé trois fois en Israël, à chaque fois en situation de conflit. Là, il n’y avait rien à photographier. Ce vide me convient, il correspond à beaucoup de choses.

MICHEL POIVERT : Il y a une profusion d’images. Nous sommes en train de le découvrir dans des grilles. Nous savons que ton travail peut prendre cette forme, dans le livre, dans l’exposition. Là, on atteint une tentative d’épuisement, même pour le spectateur de pouvoir les lire. Nous sommes dans des allégories du multiple, qui parlent tellement bien du sujet dont il est question. Le mur, en l’occurrence, ou d’autres éléments propres de notre histoire contemporaine. Ce qui est le plus en phase avec ce questionnement qui est le nôtre aujourd’hui sur le Je dans la pratique photographique, c’est qu’on imagine que celui s’est exténué, c’est celui qui a été obligé de concevoir ce banquet d’images, ces grilles, ces multiples. On ne peut pas parler d’un editing classique. On est dans une construction. Comment peut-on imaginer le travail une fois que toutes les prises de vues ont été faites ? Je crois que le travail peut être connaît sa phase la plus excitante dans cette combinatoire.

ANTOINE D’AGATA : Il y a plein de choses. Avant, en deux mots, ce que je photographie-là, c’est la violence du jour. J’appelle ainsi la violence qui me fait violence, économique et politique. Je photographie cette violence de la façon la plus froide, neutre, distante possible d’une certaine façon. C’est ce que je fais là. Se confronter à une chose à laquelle on n’appartient pas et aller au bout de ce rapport de violence. C’est très différent de ce que je fais la nuit, pour simplifier, où là il s’agit d’une violence qui m’appartient, où les images, les personnages, les situations sont uniques. Ici, nous sommes dans un inventaire monstrueux d’une certain réalité, religieuse, politique et c’est ce sur quoi je travaille depuis l’année dernière. Un autre point important aussi pour donner un contexte : depuis le début, dès l’adolescence, j’ai toujours été influencé par l’idéologie situationniste. Une des leçons que j’ai retenues est celle des deux responsabilités. La première, ce que font beaucoup les photographes d’une façon générale, c’est regarder le monde, le critiquer, le comprendre, l’analyser, le décortiquer. Je m’évertue à le faire en tant que photographe, là en particulier. Mais il y a une autre responsabilité au moins aussi importante qui est celle de générer une position propre dans ce contexte. C’est là où je tente désespérément de générer cette position d’épuisement. Cet épuisement n’est pas gratuit. Il est pour aller au bout de cette position qui est la mienne.

MICHEL POIVERT : L’énergie de soi, là, elle n’est pas nécessairement dans l’iconographie mais dans la pratique. Je pense que nous sommes tous assez ébahis de voir, en tout cas dans les grandes grilles, cette sorte de puissance dans la coordination des images. Tu es plus proche des situationnistes que des oulipiens donc on ne t’imagine pas prendre ta règle de trois et poser tes images à la queue leu leu comme le ferait un art de la contrainte à la Perec.

ANTOINE D’AGATA : Là, je ne travaille pas seul. Il y a Gabriel qui est d’ailleurs dans la salle. Moi, je suis incapable de manipuler un ordinateur. Il y a effectivement un travail de composition, de recadrage. La fonction du langage est incontournable. Il est nécessaire d’amener le travail vers cette rigueur, froideur. Tu parles d’épuisement. L’abstraction, c’est aller au bout de cette possibilité de rendre compte, de dire, de montrer.

MICHEL POIVERT : Pour que cette violence du jour s’exprime dans l’œuvre, il faut qu’il y ait d’autres jours, c’est-à-dire le temps du travail. Il y a le temps de la prise de vue puis le temps du travail. La violence de nuit, elle, ne s’exprime-t-elle pas, ne se consume-t-elle pas dans l’acte-même, comme on le voit avec tout ce travail ?

ANTOINE D’AGATA : C’est pour cela que j’ai fait le choix de ne montrer que des images du jour. Mon problème, ces dernières années, est que ma pratique s’est radicalisée. La nuit, je fais de moins en moins d’images. Je suis de moins en moins capable de faire des images. Aujourd’hui, toutes les images de nuit, ce sont d’autres qui les font de moi quand je ne suis plus en état de faire des images. Quand on est au bout du bout, au-delà de la conscience, du contrôle. Je m’évertue à continuer à vivre de façon aussi excessive, intense et insensée que possible. Les images sont faites par des gens qui sont là, qui m’accompagnent, qui, eux, ont la force et la lucidité de faire des images.

PIERRE-FRANÇOIS LE LOUET : Dans ce que nous sommes train de voir, cette question du contrôle est très présente. A la fois dans le sujet, avec des questions du maintien des espaces, des territoires, du passage des corps, de l’autorité des circulations, mais aussi dans la mise en forme où il y a une forme de géométrie.

ANTOINE D’AGATA : J’ai beaucoup travaillé cette année. Je fais tellement d’images qu’il me faut du temps pour les mettre en forme. Je suis encore en train de travailler sur des images faites l’année dernière dans les camps de réfugiés, avec des migrants, beaucoup de choses sur la religion. Dans ce travail-là, tout ce qui relève de ma subjectivité d’interprétation, d’une quelconque poésie, d’un quelconque style, me gêne. Il n’y a pas d’objectivité, bien sûr, mais je cherche la chose la plus neutre et froide possible. J’essaie de neutraliser au maximum tout ce qui humaniserait d’une façon ou d’une autre le travail pour rendre compte d’une façon qui est la mienne de toute cette violence qui écrase. Ce sur quoi je travaille aujourd’hui, c’est vraiment cette violence économique, politique, religieuse qui est monstrueuse. J’ai besoin, pour en rendre compte à ma façon, d’éliminer tout ce qui pourrait venir altérer, nuancer.

MICHEL POIVERT : Pierre-François, gardez la parole. Vous connaissez l’œuvre d’Antoine et probablement aussi les parties où il dialogue avec les images multiples. Que ressentez-vous ?

PIERRE-FRANÇOIS LE LOUET : Premièrement, je pense que votre message passe très bien. Ce qui est surtout très intéressant dans vos propos et dans votre travail, c’est que, dans un monde extrêmement esthétisant, vous prenez un contre-pied à tout prix, que ce soit le jour ou la nuit comme vous l’expliquiez, avec des formes extrêmement différentes. Votre position très radicale est finalement très rare dans le monde que nous connaissons. C’est une extrême singularité. Vous avez exprimé cette volonté d’aller jusqu’au bout des choses. Le bout, c’est quoi ? Ça s’arrête quand ? Vos images ne s’arrêtent pas, vous le dites vous-même. Vous travaillez sur les images de l’année dernière, vous n’avez pas encore eu le temps. Cette recherche extrême, quel en est le bout ?

ANTOINE D’AGATA : Le bout, nous y sommes tous. La photographie ne m’intéresse que dans le sens où elle m’aide à confronter cette position qui est politique mais aussi existentielle, ces questionnements que nous partageons tous. Cet épuisement, ce vide. Ma photographie est probablement basée sur un athéisme profond qui fait que ce vide n’est pas juste géographique ou topographique, il est lié à l’existence même. Cette volonté d’épuisement, d’aller au-delà de ses forces, c’est la seule façon de vivre pour moi et la photographie m’aide simplement à structurer ce processus. 

PIERRE-FRANÇOIS LE LOUET : Vous avez aussi différents moyens d’utiliser et de produire ces images. Nous avons parlé de film, d’appareil, de téléphone portable. Est-il important d’avoir des outils différents ?

ANTOINE D’AGATA : Par expérience, je n’ai jamais réussi à travailler en contrôlant les choses. Je ne peux travailler qu’en mettant en situation le péril quel qu’il soit et en devant réagir de la façon la plus instinctive, désespérée possible, pour inventer, générer une technique, un langage inédit. Ce n’est pas du tout en faisant ce que je sais faire. C’est vraiment en devant réagir physiquement à une situation, quel que soit le contexte. Téléphone ou pas, ce n’est pas le sujet. C’était l’urgence, le fait qu’il n’y avait pas grand-chose à photographier, cet épuisement, c’était long. Le langage vient de là. Il ne vient pas d’une idée ou d’un goût, d’une tendance ou d’un style. C’est ce qui m’intéresse parce que ça me force à vivre plus, à être plus, à sentir plus. Par rapport au téléphone, le fait de ne pas avoir d’appareil, cela me renvoyait à cette nudité, cette pauvreté. Cela m’éloignait de ce qui me fait très peur, à savoir ce côté professionnel ou ce côté esthétique/artistique.

MICHEL POIVERT : Je rebondis sur la question film. Le matériau film, film photographique mais surtout numérique aujourd’hui, le film au sens de l’image mouvante. En regardant ces grilles, il y a des effets de séquences qui se créent dans l’œil du spectateur. Elles ne sont pas très éloignées d’une forme de chronophotographie ou de film à plat, elles peuvent même évoquer les antiques planches contact, cette manière de regarder les images accolées les unes aux autres avec des mouvements. Diana comme Antoine, vous filmez aussi. Et il se trouve que les machines aujourd’hui sont les mêmes : c’est-à-dire qu’on peut filmer avec un appareil photo, un téléphone, des tas d’instruments. Qu’est-ce qui vous incite, l’un et l’autre, à aller vers l’image enregistrée en mouvement, pour le dire d’une manière simple ? A quel moment le travail a-t-il besoin de ça, s’expanse dans la durée ?

ANTOINE D’AGATA : Pour moi, là, c’est à peine effleuré, vu le temps. Il y a une série qui est très importante mais elle est très peu visible parce que c’est tiré de Youtube, des images de CNN qui deviennent monstrueuses. Dans le trait photographique, les photos rouges sont aussi faites avec le téléphone… Cette déconstruction des situations permet de rendre compte de situations d’une façon plus complexe et différente, de réalités, de certaines aberrations. Le film ne m’intéresse que dans la mesure où il permet de rendre compte de la réalité d’une autre façon.

MICHEL POIVERT : Diana, comment ressentez-vous le besoin d’aller vers le film ou de revenir vers la photographie ?

DIANA MARKOSIAN : Cela dépend du projet et si vous avez l’impression d’avoir atteint votre propre version de la réalité. La raison pour laquelle j’ai voulu créer cela comme une image en mouvement, c’est parce que tout a été inspiré par un feuilleton. C’était donc pour que je sois aussi proche de cela. Nous avons eu un scénario, nous avons demandé aux scénaristes de « Santa Barbara » d’écrire l’histoire de ma famille venant en Amérique. L’idée de la vidéo me semblait très naturelle. Si vous supprimez cela, je pense que les images seront très unidimensionnelles, même sans script, sans feuilleton. Pour être plus proche de la réalité, vous devez la voir bouger et sentir le poids de ces scènes. En vidéo, ces scènes permettent quelque chose que mes propres images ne pourraient jamais tout à fait faire.

MICHEL POIVERT : Si je posais la question un peu à l’envers du rapport entre cinéma et photographie, c’est parce que le film nous plonge culturellement tout de suite et assez facilement dans la question de la fiction alors que la photographie va utiliser des méthodes plus complexes pour faire en sorte qu’on n’y croie pas mais que ce soit pourtant de la photographie. Cette relation à l’intime, à soi, à son histoire dans vos deux travaux mettent en jeu ce dialogue entre fiction et réalité. Pour Diana, je trouve fascinant la réalité du vécu, de la biographie et de l’histoire, et le besoin de fabriquer une fiction pour rejoindre cette réalité. Dans quel sens cela se passe-t-il ?

DIANA MARKOSIAN : Je ne vois pas la différence. Je ne le vois ni comme la réalité ni comme une fiction. C’est simplement mon interprétation de l’histoire. C’est très délicat car je comprends bien que si je mettais toute ma famille dans une pièce, nous aurions une réalité complètement différente de ce qui s’est passé cette nuit-là. Je m’intéresse personnellement à ma mère et à sa version. Si j’interviewe mon père, mon frère, ou quelqu’un d’autre, ce sera une histoire complètement différente. Pour moi, l’idée de fiction et de non-fiction n’a pas d’importance. Je veux que ce soit ce que c’est et ça ait son propre parcours parce que ces acteurs l’interprètent de manière totalement différente. À un moment donné, vous devez lâcher prise en tant que créateur et permettre aux personnes en qui vous avez confiance de l’absorber et d’en livrer leur propre version.

MICHEL POIVERT : Antoine, je me tourne vers toi. Faire un parallèle entre les travaux serait bien trop artificiel mais on essaie de tisser des échos. S’il y a bien une caractéristique de ton travail, c’est de refonder la valeur de l’expérience. Y a-t-il une part pour la question de la fiction dans ton monde, avec le nocturne et le diurne ? La part de fiction peut-elle être un levier ? Comment t’emmènerait-elle au-delà de l’expérience ?

ANTOINE D’AGATA : En ce qui concerne la nuit, il y a toujours eu un rôle fondamental de la fiction et, en particulier, de la littérature. Tout a été basé là-dessus. Je viens de finir un film qui dure quatre heures. Il montre et, surtout, fait entendre les voix de 23 femmes qui parlent de ce qu’elles ont vécu, de ce qu’on a vécu. Ce film est fait de différents films, de trois films en particulier qui ont été faits au fil des années. A chaque fois, j’ai travaillé avec un scénario de fiction, toujours le même : « Madame Edwarda » de Georges Bataille. Je me suis toujours évertué à vivre à la hauteur de la fiction. Ce qui m’intéressait dans la fiction, c’est qu’elle est plus déraisonnable que la réalité qu’on partage. Vivre à la hauteur de choses insensées, inacceptables, irréalisables permet de jouer avec sa propre vie comme un matériau. Sauf qu’il faut les vivre, ces choses-là. Ce qui m’intéresse est d’amener la réalité à la hauteur de la fiction.

MICHEL POIVERT : Pierre-François, vous qui êtes un spécialiste de la société telle qu’elle va ou telle qu’elle ira, vous observez beaucoup la part de fiction dans nos existences et le rapport à l’art. L’art peut-il nous sauver de la fameuse séparation de la société du spectacle en allant faire nous-mêmes une expérience avec les œuvres ?

PIERRE-FRANÇOIS LE LOUET : Avant de répondre à votre question, peut-être qu’Antoine peut nous éclairer : cette intensité vous soulage-t-elle ?

ANTOINE D’AGATA : Non, ce n’est pas le soulagement que je cherche. Je cherche d’abord à vivre cette position comme je peux et ensuite à rendre compte. Ce qui m’intéresse est de rendre compte d’un processus. Je ne ferai jamais rien pour le soulager, l’améliorer ou en sortir. C’est simplement documenter le processus de détérioration, d’épuisement.

PIERRE-FRANÇOIS LE LOUET : C’est peut-être justement la différence entre des démarches aussi singulières que celles dont vous avez témoigné ce soir et ce qui fait l’essentiel de beaucoup de comportements sur la société. Cette consommation du réseau social, cette recherche de la mise en abyme d’une vie rêvé portée sur l’esthétique, le bonheur, le succès, qui sont des mots qu’on n’a évidemment pas entendus ce soir. Dans cette boulimie d’images, dans ces séries dont le flux d’Instagram nous abreuve quotidiennement, il y a évidemment une uniformisation du goût qui s’opère, extrêmement éloignée de démarches artistiques très personnelles comme celles dont on a témoigné ce soir. Nous nous interrogeons beaucoup sur l’utilisation par la société de ce réseau social dont on sait aujourd’hui que le like est devenu une nouvelle unité de valeur. Je dis des horreurs mais je le constate : le like est devenu une nouvelle unité de valeur, les marques choisissent les artistes en fonction du nombre de likes qu’ils ont, une image peut être jaugée au regard du nombre de likes qu’elle a pu susciter. On sait aujourd’hui qu’il y a un certain type d’image qui remporte plus de succès que d’autres. La photo d’un visage, par exemple, sur Instagram remportera 35% de likes en plus qu’un autre type d’image. Les images aux couleurs saturées remportent plus de succès. Il y a donc un goût qui ressort de l’existence et de la croissance de ces réseaux sociaux. Ce goût va de toute façon venir influencer dans une sphère beaucoup plus réelle d’autres expériences et auxquelles les consommateurs que beaucoup d’entre nous sommes seront confrontés. Après toutes les horreurs que je viens de vous dire, je suis finalement extrêmement rassuré de voir qu’il y a des combattants qui résistent d’une certaine façon à ces tendances de fond et qu’il y a encore des voix assez pures et des démarches très personnelles.

MICHEL POIVERT : Cela m’amuse d’entendre parler de la pureté mais, effectivement, peut-être que, comme souvent dans l’histoire de l’art, la pratique artistique fait un travail de purge et nettoie les yeux, les oreilles et les corps. Lorsqu’on avait préparé cette rencontre, je m’étais amusé à greffer la fameuse phrase, le « Je est un autre » de Rimbaud. Je est un autre photographique. C’est assez étonnant de voir qu’à travers les deux travaux observés rapidement ce soir, cette question de l’autobiographie, de l’égotisme, de l’intime se reconjugue en permanence et n’est pas un thème en soi mais plutôt une forme de pratique de soi qui peut être écartelée entre le biographique et l’Histoire, entre le jour et la nuit. Diana, ce projet de film va-t-il être un film expérimental ou allez-vous, comme « Santa Barbara » vers un projet commercial et une série ?

DIANA MARKOSIAN : Vous allez devoir attendre pour le voir ! Pour le dire brièvement, je pense que sera très expérimental. J’ai commencé avec un scénario puis, deux jours avant le début du tournage l’année dernière, j’ai rangé le scénario. Je me suis dit que je ne voulais pas qu’il y ait de son. Je voulais juste être dans l’expérience d’être là, de voir ce qui se passe, de laisser la possibilité au film d’être ce qu’il avait besoin d’être. Comme Antoine l’a dit, c’est le processus qui est intéressant. Dès que quelque chose est figé dans un scénario, vous passez à côté de l’art véritable. L’art véritable est quelque chose que vous ne connaissez pas. Je n’avais pensé à aucune de ces images l’année dernière. Elles sont l’aboutissement d’un processus d’erreurs et de beaucoup de temps passé avec le casting.

MICHEL POIVERT : Une dernière question et je donnerai ensuite la parole au public. Antoine, un film va sortir prochainement sur toi, ta pratique, ton travail, ton œuvre. Ce n’est pas un film de toi mais sur toi. Est-ce une expérience qui va au-delà de l’enregistrement d’un entretien ? Peut-on citer l’auteur de ce film et signaler sa prochaine sortie ?

ANTOINE D’AGATA : Je n’ai pas le détail. C’est toujours compliqué. Ce n’est pas la première fois. Différents projets documentaires ont été faits autour de moi. Chaque fois, c’était la même chose. Enfin, je suis mal placé pour parler. Ce n’est pas ma position de faire un commentaire ou de donner une perspective.

MICHEL POIVERT : On découvre finalement ce Je. Il va se retrouver projeté dans un long-métrage. Comment envisage-t-on cela dans le corps de son œuvre ? A moins que ce soit complètement à côté ?

ANTOINE D’AGATA : A chaque fois, je n’ai jamais autorisé à ce que les gens filment la partie qui m’appartient vraiment. Ce que les gens filment, c’est l’avant, l’après. Il y a une partie intouchable, pas regardable. Ce qui est contradictoire. Je n’ai pas vu la version finale de ce film-là mais j’ai vu la version intermédiaire et cela se passe autour. Ce sont beaucoup de gens qui me connaissent.

MICHEL POIVERT : Il y a quelques images dans le trailer où on te voit régler des lumières mais c’est peut-être tout. Donc nous n’aurons pas le making-of du travail complet d’Antoine ?

ANTOINE D’AGATA : Non. Vous parliez de cette intimité. Pour moi, l’intimité n’est pas une zone de confort. C’est une zone à investir, une zone de combat. Si on donne cette zone et ce moment en spectacle ou en pâture, quelle que soit la logique, on abîme les choses.

QUESTION DU PUBLIC #1 : Bonsoir, merci d’abord pour cet événement et cet échange très intéressant. J’avais une question pour Antoine. Vous parliez de recherche, de retranscription de la violence politique, religieuse. Peut-on retranscrire de manière objective cette violence ou est-elle forcément subjective ?

ANTOINE D’AGATA : Je crois que je ne me retrouve dans aucun des deux mots, en fait. Tout ce que je peux faire, c’est m’approcher le plus possible, ce n’est pas tenter d’illustrer une idée. Quand on parle du jour et de la nuit, ce sont des violences antagonistes qui se fondent dans une seule et même violence avec la violence du monde. Selon moi, on ne peut que vivre cette violence. J’ai toujours fait tout ce que j’ai pu pour n’être ni spectateur ni consommateur. Bien sûr que je la comprends. Il y a plein de choses à dire mais ce n’est pas dire que je veux. C’est la partager de différentes manières en fonction des situations et, après, en rendre compte. Je crois que c’est un mot dans une phrase, cela fait partie d’une logique plus vaste. L’essentiel pour moi est d’être là dans ces situations spécifiques avec ces êtres spécifiques, au plus près.

QUESTION DU PUBLIC #2 : Diana, le projet a-t-il été fait en Californie ou en Arménie ?

DIANA MARKOSIAN : Le projet s’est déroulé entre les deux pays. J’ai voyagé. Je vivais en Californie et c’est là que j’ai créé le travail puis je suis retournée en Arménie. Au départ, nous avons essayé de créer le décor de ma maison d’enfance en Californie mais cela ne ressemblait pas vraiment à l’ex-Union soviétique. Nous sommes donc retournés en ex-Union soviétique pour y faire le travail.

QUESTION DU PUBLIC #3 : Un photo reporter est là pour capturer le moment spontanément. Il y a l’accident qui survient dans le processus de vie. C’est d’ailleurs parfois l’accident qui donne des idées au photographe. Il y a une limite de réalité scénique que beaucoup de photographes franchissent lorsqu’ils mettent en scène une réalité puis, une fois qu’elle est mise en scène, ils lâchent prise et se mettent à photographier de manière compulsive. Y a-t-il ce processus dans votre méthode ou est-ce bien pensé et limité à un point de vue singulier parce qu’il y a un scénario ? Quelle est la part d’accident et la part de scénario ?

DIANA MARKOSIAN : Pour moi, tout est un peu un accident, même si je choisis la pièce, l’éclairage et tout le reste, ce n’est jamais ce que l’image va donner. Je viens de recevoir une pellicule aujourd’hui et je n’ai pas du tout filmé ce dont j’avais besoin. Et vous recommencez alors parce que vous travaillez maintenant avec un ensemble d’images complètement différent. Votre vision ne s’est pas réalisée mais quelque chose de complètement différent s’est produit. Durant les dix dernières années, cela n’a jamais été vraiment mis en scène, c’était une expérimentation. C’est la zone grise. J’aime cette zone grise, et j’essaie d’y adhérer. Si je ne le faisais pas, je serais dans l’échec permanent parce que le résultat est complètement différent de ce que j’avais en tête.

MICHEL POIVERT : Le pire est à venir. D’abord, je vais vous remercier, remercier les artistes qui ont accepté de jouer le jeu de venir parler de leurs travaux en cours, merci Diana, merci Antoine. Merci à tous ceux qui ont aidé à participer à cette soirée. Merci, Pierre-François, pour ce regard sur les travaux. Le pire est à venir, c’est-à-dire qu’il y a un cocktail et ça c’est toujours très difficile à vivre !

Il y a une signature de livres pour ceux qui souhaiteront se rapprocher des artistes. A 21h, nous avons le chance de pouvoir bénéficier de visites commentées des expositions du Jeu de Paume donc profitez-en. Merci pour l’accueil fait à toute l’équipe et merci au Jeu de Paume. Nous nous retrouvons maintenant d’une manière plus informelle. Je sais que c’est toujours dans ces cas-là que les questions naissent dans l’esprit de ceux qui ne les ont pas encore formulées. A tout à l’heure !

STEPHANE CURTELIN : Je vais rajouter quelques mots. J’ai été impressionné par ces échanges et cette production artistique. Nous sommes ravis d’avoir créé cet écrin de rencontre. J’espère que cela vous a plu. Si c’est le cas, nous en referons peut-être en septembre avec d’autres artistes. Encore merci à Antoine D’Agata et Diana Markosian de s’être prêtés au jeu avec nos smartphones qui, modestement, contribuent à cette révolution, à cette histoire de la photographie. L’histoire continue. Si vous voulez participer, que vous soyez de grands, petits ou moyens photographes, le concours Next-Image sera annoncé le 26 mars, en même temps que l’annonce de notre futur produit. J’espère que celui-ci servira encore la cause de la photographie puisque vous verrez que nous vous réservons encore de belles surprises avec le P30. Merci et retrouvons-nous autour d’une coupe. A tout de suite !

 

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