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Hervé Guibert –par Brigitte Ollier

Après Henri-Cartier Bresson et Robert Doisneau, Brigitte Ollier, critique photographique pour Libération et photographe elle-même, a consacré son dernier livre à Hervé Guibert (éditions Filigranes). Voici ce qu’elle écrit dans sa préface:

Mon petit vampire

J’ai toujours aimé la compagnie des morts, mais Hervé Guibert fut un fantôme si rebelle que je crus l’avoir importuné par mégarde. C’est pourtant lui qui s’était glissé dans mon sommeil, une nuit, sans avoir pris rendez-vous. Sa présence m’avait étonnée. Je ne l’avais jamais rencontré, il était déjà entré dans la légende. Je l’imaginais plutôt calme, et là, tel un boxeur déçu par le poids de son adversaire, il s’agitait. Il parlait avec de grands gestes mais je n’entendais pas ses paroles : c’était un rêve muet, dont il était le ventriloque. Au fur et à mesure, comme le personnage du film L’Homme qui rétrécit, il devenait minuscule et soudain disparaissait, absorbé par le noir.

Ce rêve est mon premier souvenir avec Hervé Guibert. J’ai repensé à cette apparition nocturne lorsque j’ai eu envie de faire un nouveau livre. Après Henri (Cartier-Bresson) et Robert (Doisneau), Hervé Guibert s’est alors imposé comme l’homme idéal. Il n’avait rien de plus que les autres prétendants, mais il m’attirait tel un petit vampire. Plus que sa beauté, sa jeunesse ; plus que sa jeunesse, son regard magnétique ; plus que son regard magnétique, son audace, son insolence fiévreuse à ne pas s’économiser, ni en passion ni en férocité.

Hervé Guibert, élu, fut difficile à approcher, curieusement. Ainsi, certains amis mimèrent les biches effarouchées sur le mode “ah non, pas moi, comment l’évoquer, trop de chagrin”. D’autres me grisèrent de vaines promesses, ah, les vaches !
Ce climat de fuite me déstabilisa. Grâce à l’intervention malicieuse de maître Yoda, le sage séculaire de Star Wars, enfin une solution je trouvai, en agrandissant le cercle de famille : si les proches n’avaient rien à dire, peut-être que d’autres seraient prêts à témoigner, chercheurs, historiens, comédiens… Leur enthousiasme fut une drogue douce, leur bienveillance un courant électrique. Je découvris les nobles héritiers d’Hervé Guibert, ceux qui le connaissaient par cœur.

Par vœu de proximité, j’apprécie le journaliste, le critique photo du Monde, le photographe*. Ses écrits sur la photographie ont une loyauté qui fait envie. Il a aussi la chance d’être quasiment seul sur la place : en 1977, lorsqu’il commence à écrire dans le quotidien du soir (il n’a pas vingt-trois ans), les talibans et leurs prétentions dogmatiques n’ont pas encore stérilisé le milieu. Hervé Guibert s’amourache des images, et nul ne s’en soucie. La Photo, inéluctablement, publié en 1999 par Gallimard, donne une idée de sa liberté.

Art de la chute : « Il est fort, de toute façon », à propos de Robert Frank. Refus des évidences : « Le superlatif a quelque chose d’indigent », à propos d’André Kertész qu’il n’ose appeler « le plus grand photographe du siècle ». Bonheur de questionner Jacques-Henri Lartigue, John Szarkowski, Gilles Ehrmann, Helen Levitt, Ilse Bing, Gisèle Freund, William Klein, Brassaï, Duane Michals, Mary Ellen Mark, Jean-Philippe Charbonnier et Agathe Gaillard, dont il suit les expositions avec constance. Agathe Gaillard, qui définit ainsi ses choix, en 1979, quatre ans et demi après l’ouverture de sa galerie : « J’ai envie qu’on se rende compte que la vie des photographes et la mienne sont complètement impliquées dans les photos qui sont accrochées. C’est plus un mode de vie que la fabrication d’un objet d’art. »
Avec ses propres photographies, Hervé Guibert a dévoilé ses pensées, fortes et puissantes. Espoirs, manèges, tourments, amants, tentations, ce sont des autoportraits en fragments… Il a su d’instinct la magie oublieuse de la photographie, sa sentimentalité, et ne songea pas à s’en plaindre. C’était là sa reconnaissance. Et, d’une certaine façon, son joker pour la vie éternelle.

Ce livre est un hommage à Hervé Guibert, mon petit vampire, à ceux qui l’ont aimé et m’ont fait la grâce de leur aveu. J’exprime ma gratitude à Claire Devarrieux, son silence est d’or, et à Vincent Godeau, chevaleresque.

Comme pour Henriet Robert, par superstition, j’ai gardé la chronologie des entrevues. Tout commence à Paris avec Yvonne Baby, chez elle, le 8 novembre 2005, et se termine (provisoirement) avec Christine Guibert, le 26 mai 2010, à la cafétéria de la Cité internationale. Deux dames face au roi.

Brigitte Ollier

Hervé, Brigitte Ollier, Hervé Guibert, éditions Filigranes, 2011, 15 euros

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