Londres a sa Photographers Gallery et le Victoria & Albert Museum, Paris la MEP (Maison Européenne de la Photographie), Amsterdam le Foam et la Huis Marseille (et parce qu’on ne mentionne ici que les capitales et que les Pays-Bas sont un peu particuliers : La Haye a aussi son Fotomuseum) et nous pourrions continuer encore et encore. Bruxelles n’avait pas d’institution dédiée à la photographie – un certain nombre de galeries (par exemple la Fondation A Stichting) oui, une collection historique cachée du MRAH au Cinquantenaire, oui, le centre militant Recyclart, oui, mais c’est là que ça s’est arrêté.
Cette année la situation a changé: Hangar (fondé en 2014 comme centre dédié à l’art belge) se transforme en Photo Art Center, et comment ! Il y a d’abord eu le succès de l’exposition « The World Within », ou la cinquième édition du PhotoBrussels Festival suivi maintenant par une deuxième exposition collective « Regarde mon histoire/ Look at my story ». « The World Within » a parlé de la façon dont les artistes, en particulier les photographes, réagissent à la pandémie et au (dé)confinement, avec « Regarde mon histoire/ Look at my Story » on revient à la réalité quotidienne, au business as usual.
Figure centrale de Regarde mon histoire/ Look at my story est la photographe française Véronique Ellena (1966). Après une formation de base à Nancy et Dijon, elle découvre l’enseignement de la photographie à La Cambre à Bruxelles auprès de Gilbert Fastenaekens (1955) en 1986. Ce dernier, ancien élève de l’Inraci-Narafi à Bruxelles, met l’accent sur une combinaison de formation pratique, de connaissances techniques approfondies et d’expression personnelle, et ce sera une révélation pour Ellena.
L’exposition présente un total de 10 séries couvrant la période 1992-aujourd’hui, dont au moins une n’a jamais été exposée auparavant. Elle donne un aperçu de l’évolution de l’œuvre, mais nous montre aussi une série de constantes : l’utilisation de la chambre technique de grand format , l’éloignement contemplatif, la mise en scène, le travail en couleur, et finalement aussi l’importance de la recherche.
Dans son travail, nous voyons des phases successives, chacune avec son propre caractère. Dans la première période entre 1992-2000, l’accent est mis sur la vie quotidienne : Elle observe l’existence quotidienne, le petit théâtre, et le transforme en grands tableaux au moyen de la mise en scène et de l’utilisation de la chambre photographique – elle ritualise l’instant, comparable aux scènes de genre des artistes hollandais de l’âge d’or. Son approche, mais aussi l’instant (les années 90) rappellent involontairement une influence de, par exemple, Jeff Wall (1946) qui est aussi très nette avec son contemporain Tom Hunter (1965).
Les séries se succèdent rapidement : Les supermarchés (1992-1993) Les recettes de cuisine (1993-1994), Les dimanches (1993-1994), Les grands moments de la vie (1997-1999), Le plus bel âge (1997-1999), Les cyclistes (1998), Les habitants de Bruxelles (2000)). Dans chaque série elle opte pour une approche tout à fait personnelle : pour la série Les Recettes p.e., elle s’inspire du roman-photo, phénomène de l’après-guerre et distribué presque exclusivement en Italie et dans le monde francophone.
Et puis la production s’arrête : d’une part elle doit faire ses adieux à des gens de son environnement, et la question du sens de son travail photographique d’autre part la force à l’introspection. De cette position, elle regarde ceux qui sont convaincus, qui s’engagent au sens le plus large du terme. La série Ceux qui ont la foi (2003) devient une catharsis et marque également un tournant dans l’œuvre.
Dans la troisième phase de son travail, elle se détourne de la vie quotidienne et part de son affinité avec l’histoire de l’art et les techniques photographiques. Dans Les Paysages (2005-2006), elle renoue avec la tradition romantique de l’introspection à travers la confrontation avec la nature environnante. Dans Les Clairs-Obscurs (2017-2018), elle expérimente la plaque de verre, prend comme point de départ l’agrandissement d’un négatif couleur et commence à expérimenter. Du coup, elle se retrouve « de l’autre côté du miroir ». Dans Les Choses Mêmes (2012) et Zia Maggiore (2017) elle renoue avec la vie quotidienne : mais elle ne l’imagine plus mais aborde son domicile parental et la maison de sa tante de manière contemplative pleine de symbolisme.
Les derniers développements du travail de Veronique Ellena représentent également un point culminant. Entre 2015 et aujourd’hui, elle travaille sur la création de vitraux pour la cathédrale de Strasbourg et pour des installations dans l’espace public ailleurs en France. Les œuvres pour les vitraux unissent son affinité avec l’histoire de l’art, l’utilisation de la technique photographique classique et des recherches approfondies.
Pour Delphine Dumont commissaire de l’exposition la Belgique, la culture belge, l’éducation, les gens ont eu une influence fondamentale sur Ellena et son travail. Il est donc logique que Hangar complète l’exposition avec 8 projets de 9 artistes belges dont Vincen Beeckman, Téo Becher & Solal Israel, Elise Corten, Anne De Gelas, France Dubois, Antoine Grenez, Katherine Longly & Hanne Van Assche. Les parallèles se prolongent également dans les thèmes le quotidien, mais aussi la maladie ; être jeune, et les liens humains comme la maternité ; la façon dont nous traitons la nourriture, mais aussi l’amour – la vie quoi…
Nous reviendrons plus en détail sur les images d’Elise Corten, Hannah Van Assche, Anne De Gelas, Katherine Longly et Antoine Grenez dans une contribution ultérieure.
Vous visitez Bruxelles ? Alors ne manquez pas de visiter l’exposition, un régal pour les yeux et l’esprit !
Naturellement, l’Œil de la Photographie a déjà portée attention à Véronique Ellena :
https://loeildelaphotographie.com/en/florence-and-damien-bachelot-contemporary-french-photography/
https://loeildelaphotographie.com/en/event/veronique-ellena-la-vie-quotidienne/
https://loeildelaphotographie.com/en/veronique-ellenas-daily-life/
https://loeildelaphotographie.com/en/le-havre-local-history-through-photography/
https://loeildelaphotographie.com/en/paris-photo-2012-galerie-alain-gutharc/
https://loeildelaphotographie.com/en/reims-2012-veronique-ellena/
https://loeildelaphotographie.com/en/la-fondation-des-treilles-veronique-ellena/
A propos de la cinquième édition du Hangar PhotoBrussels Festival (PBF05) :
https://loeildelaphotographie.com/fr/photobrussels-festival-05-the-world-within/
À propos des expositions précédentes au Hangar :
Karel Fonteyne https://loeildelaphotographie.com/fr/hangar-karel-fonteyne-the-circle/
Patrick Willocq https://loeildelaphotographie.com/fr/patrick-willocq-songs-of-the-wales/
Anne-Catherine Chevalier https://loeildelaphotographie.com/fr/evenement/turning18-nouvel-ouvrage-et-exposition-danne-catherine-chevalier/
Olivier Papegnies https://loeildelaphotographie.com/fr/olivier-papegnies-koglweogo-miroir-dune-faillite-detat/
Ruud van Empel https://loeildelaphotographie.com/fr/evenement/ruud-van-empel-au-hangar-art-center/
Namsa Leuba https://loeildelaphotographie.com/fr/namsa-leuba-weke/
Photofestival 2 https://loeildelaphotographie.com/fr/ce-vendredi-debute-le-photobrussels-festival/