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Galerie XII : Entretien avec Mona Kuhn

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Après l’avoir présenté dans plusieurs institutions, la photographe franco-brésilienne montre une partie de sa série Kings Road à la Galerie XII. Née de la découverte d’une lettre de rupture écrite par l’architecte autrichien Rudolf Schindler, Kings Road est un voyage poétique et immersif entre fiction et réalité, dont Mona Kuhn nous parle à l’occasion de cet entretien.

 

Qu’est-ce qui a suscité votre intérêt pour Rudolf Schindler ?

Rudolf Schindler était un architecte moderniste qui a étudié avec Adolf Loos à Vienne avant de déménager aux États-Unis pour travailler avec Frank Lloyd Wright. Il s’est installé en Californie en 1914. J’habite très près de sa Kings Road House, qu’il a construite en 1922. Cette maison d’avant-guarde était un lieu central pour les artistes et intellectuels européens dans les années 1920 et 1930. Lorsque je l’ai visitée, elle m’a semblé très familière. Je voulais explorer son histoire. J’ai plongé dans ses archives et j’ai découvert une lettre signée de sa main, une lettre de rupture. Nous ne savons pas à qui elle était adressée. L’impossibilité de leur union m’a émue, m’inspirant à les réunir à travers mon travail.

 

Comment avez-vous procédé ?

Schindler incarnait cette maison. La lettre, ainsi que d’autres écrits de sa main, montrent ce qui reste de lui. Quant à son amante, j’ai photographié une femme donnant l’impression de traverser le temps et l’espace. Pour ce faire, j’ai utilisé la solarisation. Avec cette technique, certaines parties d’elle se sont dématérialisées. Cela créait cette idée d’un fantôme partiel, comme si elle entrait et sortait d’un autre domaine et n’accédait que partiellement à cette maison qu’elle n’était peut-être pas censée pénétrer. Sur une autre photo, on peut la voir à travers la fenêtre, mais le reflet sur le verre ne donne aucune certitude, on ne sait si elle est à l’intérieur ou à l’extérieur. J’ai apprécié ce balancier en photographie. La photographie en tant que médium peut être un enregistrement, une preuve, mais elle peut aussi être poussée au-delà et jouer avec l’imagination, accédant à des éléments qui ne peuvent pas vraiment être prouvés. Je me suis placée entre ces deux spectres. Je voulais apporter cette réflexion sur le médium. La solarisation était également un moyen d’établir un parallèle avec les années 1920, car cette technique a été développée à cette époque. J’ai été influencée par Man Ray et Lee Miller, mais aussi Erwin Blumenfeld.

 

L’exposition présente des artefacts des années 1920, donnant un contexte historique. Comment équilibrez-vous l’intimité et l’histoire dans cette série ?

Trouver cet équilibre était très intéressant, surtout parce que c’est la première série où j’ai pu plonger autant dans l’aspect historique. Les années 1920 étaient une époque fascinante, surtout ici à Los Angeles, où tout le monde venait d’Europe et d’Asie. C’était une période de nombreuses découvertes, et je voulais partager ce riche contexte culturel et historique. Ces artefacts sont devenus un personnage à part entière, très important pour l’histoire également.

 

L’exposition à la Galerie XII fait suite à plusieurs présentations de Kings Road dans des musées, notamment une exposition à grande échelle au Kunsthaus Göttingen.

Plus tôt cette année, j’ai exposé Kings Road au Kunsthaus Göttingen. L’exposition a été organisée par mon éditeur de longue date Gerhard Steidl, qui a également fondé ce centre d’art, ouvert en 2021. En investissant chacun des trois étages du lieu, j’ai également pu développer la série en trois parties principales. Tout d’abord, le visiteur pouvait déambuler à travers les archives, qui étaient imprimées sur de grands bannières. Ensuite, un étage était consacré aux images de la maison elle-même ainsi qu’à la fiction sur cette femme inconnue. Enfin, le visiteur pouvait plonger dans des projections 3D recréant l’échelle de la maison. Chaque étage était marqué par un univers sonore particulier, crée par le compositeur Boris Salchow. On pouvait entendre le son résonnant d’une machine à écrire, par exemple, ou au second étage, un morceau de piano. Au troisième étage, par lequel les visiteurs entraient dans le lieu, se déroulait un morceau de 12 minutes pensé comme un crescendo de 5 violons et 2 pianos.

 

Comment avez-vous adapté la série à l’espace de la Galerie XII ?

À la Galerie XII, nous l’avons adaptée à une échelle complètement différente, à la taille de la galerie. Je pense qu’il est important que l’exposition puisse être malléable. Avec Valérie-Anne [Valérie-Anne Giscard d’Estaing, la directrice et fondatrice de la galerie], nous avons décidé de nous concentrer sur les tirages originaux en argentique solarisés, que nous avons encadrés de manière à ce que les tirages soient l’objet lui-même. Nous avons également ajouté quelques artefacts des années 1920 pour ajouter des éléments factuels. J’ai ensuite rassemblé les différentes projections en une seule. L’histoire et la séquence restent les mêmes, mais compressées en un écran. Ce que j’ai aimé à la Galerie XII, c’est que la salle dans laquelle nous avons montré les projections était beaucoup plus petite que celle du Kunsthaus Göttingen. Cela a transformé l’expérience en quelque chose de très intime. Et parce que la salle est étroite et longue, j’avais l’impression d’entrer dans l’intimité de ce couple, d’être là avec eux.

 

Cette série a nécessité une recherche approfondie. Quel est le rôle de la recherche dans votre processus créatif ?

Avec tout ce que je photographie, j’aime connaître les personnes ou le sujet qui m’intéresse avant de sortir l’appareil photo. De plus, la photographie est quelque chose que n’importe qui peut faire. Par conséquent, la grande question est : comment le faites-vous différemment ? Pour moi, la différence a toujours été la profondeur des connaissances que vous avez sur votre sujet. Beaucoup d’idées créatives découlent de la recherche que je fais. Ce que j’apprends me guide et, dans mon esprit, cela se transforme en images. Cette partie est un terrain très important et fertile où je plante les graines pour l’œuvre en devenir.

 

Parlez-nous de cette volonté de dépasser la présentation traditionnelle de la photographie.

En utilisant la solarisation, j’ai fait en sorte que cet homme et cette femme traversent le temps pour se retrouver. Il y avait aussi une sensation de traversée de cet espace architectural. Je voulais utiliser cette idée pour aller au-delà de la présentation de la photographie en tant qu’image imprimée sur un mur. Dans mes lectures sur Rudolf Schindler, j’ai découvert la méthode Raumplan d’Adolf Loos, dont il était partisan. La méthode Raumplan consistait à penser l’espace spatial d’un bâtiment avant de penser à un plan. Je voulais appliquer cette méthode à la photographie et la penser d’une manière spatiale, en accord avec le matériau et avec l’intention de l’architecte. La façon dont j’ai utilisé les écrans dans la salle d’exposition était destinée à permettre aux visiteurs de marcher autour d’eux comme s’ils entraient dans la maison et dans l’histoire elle-même. Je voulais qu’ils aient une meilleure compréhension spatiale de l’histoire.

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