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Galerie Sit Down : Chantal Stoman : Mémoires effacées

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Loin des figures héroïques, des grands hommes et des grandes femmes, la mémoire du XXe siècle se communique à nos cœurs plus favorablement par les documents de la vie privée, les traces du souvenir intime ou familial qu’à travers les évocations de la grande Histoire. Dans Les Années, Annie Ernaux énumère ainsi les marques du temps qui passe, en commentant de vieilles photographies sur lesquelles sont projetées, entremêlées, les histoires personnelle et collective. C’est que ces photos jaunies du quotidien transportent jusqu’à nous un fragment de réalité passée et nous la rend perceptible comme par contact. Mais elles nous donnent aussi à sentir un rapport au passé qui, dans ses modalités propres, est lui-même révolu. On ne fait plus de photos comme avant, la matière des images a changé. Autrement dit : la façon d’inscrire telle ou telle personne dans le souvenir n’est plus le même aujourd’hui. Ce que nous disent les supports argentiques des images du quotidien, c’est avant tout leur appartenance à un siècle passé.

Chantal Stoman et Marco Lanza, chacun à sa façon, nous rendent visible ce processus de mémoire photographique. La première, Chantal Stoman, selon un procédé caractéristique du culte des défunts au XXe siècle : la photo-céramique. L’artiste rephotographie dans les cimetières des portraits funéraires qui, soumis à la lumière et aux intempéries, finissent eux- mêmes par se dégrader – la lumière est à la fois ce qui révèle et ce qui détruit nous dit-elle. La référence au « ça a été » de Roland Barthes dans le titre de cette série sonne ici comme une adresse au spectateur, un memento vivere : « souviens-toi que tu es vivant ! ». Un processus de solarisation spontanée affecte les images avec le temps et agit comme une mise en réserve des ombres, blanchies par la dégradation matérielle. Le temps fait son ouvrage en choisissant d’effacer des parties des visages ou des personnes, dans le cas des portraits de groupe. Et comme pour retourner l’effet de cet effacement, elle tire ces photos selon le même procédé, sur céramique, redonnant aux images leur matière originale.

Le second, Marco Lanza, traite cette mémoire selon un autre principe, plus joueur, avec le regard affuté du photographe à la recherche de motifs. Il découpe des carrés dans des portraits d’amateurs, comme pour les extraire de leur contexte et les agencer comme on transforme une matière pour parfaire sa qualité – en fonction d’un principe esthétique, il extrait une forme visuelle et donne une seconde vie à une image oubliée. Ce geste esthétique porte en lui le souvenir d’une époque, les années 1940 à 1960, dont l’artiste se sent proche : on projette dans l’image des détails de la vie quotidienne, on y lit des paysages rencontrés, des objets qui nous rappellent une anecdote, comme dans un roman de Georges Perec. Mais on peut aussi, à l’inverse, le considérer ce geste comme une élision. Ce qui reste sont des photos amputées de leurs sujets, où l’image devient un cadre évidé, le décor d’un portrait disparu. Chantal Stoman et Marco Lanza nous parlent tous deux d’un éloignement temporel, d’une altération tantôt fortuite, tantôt volontaire, du souvenir des années.

Christian Joschke
Professeur à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris

 

Chantal Stoman : Mémoires effacées
du 23 septembre au 29 octobre 2022
Galerie Sit Down
4, rue Sainte-Anastase
75003 Paris, France
https://sitdown.fr/

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