Les neiges éphémères de Douglas Mandry
L’artiste suisse expose ses recherches autour de la fonte des glaces et du réchauffement climatique à la Galerie Binome à Paris. Saisissantes captures photographiques et organiques qui s’inscrivent déjà dans notre histoire contemporaine.
Depuis son enfance, Douglas Mandry aime arpenter les sentiers alpins de son pays natal et contempler la magnificence des neiges éternelles. Naturellement, par l’observation du monde qui l’entoure, il est venu questionner la transformation du siècle, celle qui dissout les glaciers et s’est vue appelée l’ « ère de l’Anthropocène », c’est-à-dire la période géologique où l’être humain est désormais la première force de changement dans la vie de la planète.
Ce réchauffement climatique, souvent détaillé par une documentation photographique frontale, est ici très délicatement pointé, avec à la fois les traces évidentes de ce qui est en train de se passer et un témoignage visuel très beau d’une fonte des glaces au cœur même des montagnes.
Linceul
Pour créer sa série Monuments, Douglas Mandry a récupéré de vieilles couvertures posées sur les glaciers suisses l’été qui ont comme objectif d’éviter leur trop grande décomposition sous les rayons d’un soleil de plus en plus ardent. Il a alors fait imprimer dessus, via la technique de la lithographie, des images réalisées au début du siècle dernier – certaines même à la fin du XIXe siècle – où les premiers alpinistes vantaient les lieux comme le passage obligé du touriste de demain. La superposition de ces tableaux d’Épinal aux traces réelles de la fonte des glaces actuelles souligne avec acuité et une certaine forme de tragique ce que nous avons fait des montagnes. Comme le dit Valérie Cazin, directrice de la galerie Binome, ces couvertures de Douglas Mandry, parce qu’elles portent encore en elles les taches de la fonte des glaces, sont comme le « suaire » du changement climatique, une forme de linceul d’un monde menacé de disparition.
Résine fossile
Comme pour aller plus loin dans cette entreprise de captation d’un apparent éternel que nous découvrons éphémère, l’artiste vient de réaliser aussi une série de photogrammes au sténopé, l’une des toutes premières techniques photographiques de l’histoire, où il a plongé le papier photographique directement dans des blocs de glace en train de fondre. Pour cela, Douglas Mandry a construit une grande boîte en bois qu’il utilise dans la montagne, au contact même des lieux où il a récolté ce sujet photographique. Découvrant ensuite à la chambre noire le résultat de cette étrange captation, il parvient à faire des compositions colorées aux dimensions abstraites, mais qui évoquent en fait, à bien les regarder, comme de la résine fossile, ce qu’on appelle le « copal », et qui contient ici non pas un insecte préhistorique, mais les stigmates d’une terre en train de perdre sa neige éternelle, plus exactement les bris d’un glacier qui s’expriment parfois en de minuscules stalactites. Nous vient alors le sentiment d’une dimension historique évidente, comme s’il s’agissait d’une carotte glaciaire devenue photographie d’une disparition et qui rend l’acte créateur de Douglas Mandry durablement puissant par la cristallisation de l’extension de l’éphémère.
Jean-Baptiste Gauvin
Douglas Mandry : « A brief crack of light »
Jusqu’au 24 juillet 2021
Galerie Binome
19 rue Charlemagne 75004 Paris