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Frédérique Barraja : Charlotte et sa guerre intime

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C’est l’un des portfolios et textes les plus touchants que nous ayons reçu ces derniers jours ! Il est signé Frédérique Barraja et elle le présente comme suit:

Le viol ne tue pas, mais on en meurt … A petit feu. Suite à des viols subis à l’âge de 22 ans, la mémoire traumatique de Charlotte a explosé et les abus vécus dans son enfance se sont révélés au fur et à mesure du temps.
Elle vit encore, mais sa chair brûle, elle étouffe. La danse devient son refuge.
Sa résilience va croiser mon chemin. Je vais l’accompagner, à travers l’image, dans sa reconstruction.
Mes photographies témoignent de la lutte qu’elle mène contre la boulimie, l’anorexie, l’ostéoporose, les scarifications, la dissociation, les abus de médicaments, les tentatives de suicides, les tocs, alcool et autres addictions.
Ces souffrances dénoncent les conséquences de l’inceste et du viol. C’est pour ça que ce sujet est si important.
J’aime à dire que c’est souvent le photographe qui se dévoile dans son récit photographique. L’histoire de Charlotte m’a fait écho, elle m’a émue dans ma chair. Pourquoi elle ? Pourquoi cette histoire ? Ce n’est pas la mienne. Peut-être parce qu’elle touche à l’enfance et que j’aimerai réparer toutes les enfances brisées et sûrement un petit peu la mienne.
Trouver le beau dans cette horreur. Par le beau on va y arriver Charlotte, je te le promets…
Je suis sûre que le beau est comme la neige, il recouvre tout ce qui est laid.
Et parfois le beau se re-barre, pour laisser encore entrapercevoir le laid.
Mon travail de photographe est de révéler la beauté de cette fleur qui pousse sur ce tas de « fumiers ».
Je vais essayer de coller au plus près des émotions de Charlotte, pour les transformer en images, l’aider à se libérer de ses traumatismes, les accepter, à reprendre confiance en elle.
Par le beau on va y arriver, j’en suis sûre, mais le chemin de la résilience est long.
Alors je la guette, je l’épie, parfois je passe du temps avec elle sans sortir mon appareil-photo.
Je l’apprivoise.
Je la laisse me parler.
Elle se rappelle petit à petit. Des images reviennent comme des flashs : Un détail, une phrase me touche et je la mets en image :
« Je me sens coupée en mille morceaux »,
« L’innocence sort de mes plaies »,
« Je me dissocie, je ne suis plus là »,
« Me scarifier pour ne pas exploser »,
« Me laver, nettoyer leur sueur, leurs sécrétions, me nettoyer la bouche des fellations »,
« Mourir comme Elle »,
« Ma poitrine brûle d’angoisses »,
« Je suis ce trou béant »,
« J’ai peur de me transformer en l’aliment que je mange »,
« Je danserai jusqu’à me faire mal, mais je ne dirai rien car les gens ne doivent voir que la beauté de la danse »
Ce n’est pas un documentaire comme les autres, il y a la vie, où je peux suivre Charlotte et la prendre en photo dans son quotidien, il y a les photos qu’on prépare, qu’on met en scène, ce qui permet de prendre un peu de distance par rapport au sujet, trop douloureux. Et aussi d’offrir une approche plus subtil. Je n’ai pas voulu des photos agressives pour dénoncer, je voulais prendre le spectateur par la main comme Charlotte l’a fait avec moi. Informer par la douceur et l’esthétisme.
Puis il y a les imprévus, les moments où je l’attends, elle ne viendra pas. Les veilles de shooting où elle m’appelle à minuit pour me prévenir qu’elle a pris 25 lexomils, qu’elle ne pourra pas venir. Elle rit: « Ne t’inquiète pas ma Freddy, je ne veux pas mourir ! »
Je sais, je le ressens tellement, tu veux juste arrêter de souffrir un petit moment.
Mes images l’accompagnent à quitter son armure de côte de maille, avant que la mort ne s’immisce.
Tout commence dans l’enfance.

Frédérique Barraja 

http://www.frederiquebarraja.com

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