Parallèlement a son livre, Arles Les Rencontres de la photographie 50 ans d’histoire publié aux editions de la Martiniere, Francoise de Noyelle en publie un second : Arles Les Rencontres de la photographie Une Histoire française, aux éditions Art Book Magazine-Arles Les Rencontres de la photographie. Celui ci est plus thématique et historique. Elle le présente ainsi :
Les Rencontres d’Arles
50 ans de photographie
50 ans de passion
Dans les années 1960, la photographie française est en berne. Les photographes humanistes ont tiré leurs dernières cartouches depuis longtemps. Du moins se plaît-on à le croire ici et là. Chez Magnum Photos, Henri Cartier-Bresson, après avoir menacé de quitter l’agence, s’en tient à un statut de contributeur (1966). George Rodger, autre fondateur de l’agence, en dénonce les dérives commerciales. La presse est en proie à la concurrence de la télévision de plus en plus présente dans les foyers. L’État qui avait offert la photographie au monde au XIXe siècle s’est adjoint un ministère de la Culture en 1959. Mais ni André Malraux, ni ses successeurs Edmond Michelet, André Bettencourt n’inscrivent la moindre ligne budgétaire en faveur de la photographie.
Photographes et gens de la profession se rencontrent, se regroupent pour rompre l’isolement et la morosité ambiante. L’élitiste club des 30 x 40, les confidentiels Groupe Libre expression et Cercle des XIII, rassemblent à Paris et à Toulouse des photographes amateurs et professionnels. Gens d’images et les Compagnons de Lure s’installent dans le Midi pendant les vacances pour échanger, confronter idées et réflexion à propos de leur métier. Des tentatives marginales dans un paysage partagé entre les reporters illustrateurs et les photo clubs au discours le plus souvent indigent, mais soutenus par une prospère industrie photographique grande distributrice de médailles et de prix.
Un photographe arlésien, Lucien Clergue, est sur une autre longueur d’onde. En 1961, à 27 ans, il a exposé au MoMa. En marge des cercles, des coteries parisiennes de la critique prompte à l’éreinter, Clergue développe une œuvre personnelle, soutenu par Picasso et Cocteau. En 1969, il ferraille avec le conservateur des musées de la ville, Jean-Maurice Rouquette, pour remettre sur pied le festival d’Arles dont le programme de théâtre, concert, danse folklorique… peine à faire recette. Les deux Arlésiens ont constitué une ébauche de collection de photographies au musée Réattu avec la bénédiction du maire, mais sans le moindre centime de crédits (1964). Une amitié s’est forgée, des aptitudes en débrouillardise ont parfait des compétences, un entregent, une volonté militante de promouvoir la photographie. Michel Tournier, animateur de l’émission télévisée Chambre noire se joint à eux. Ils inscrivent les Rencontres internationales de la photographie à l’affiche du festival d’Arles (1970). Les Rencontres sont nées. « C’était le temps des copains » écrira Jean-Claude Gautrand pour célébrer les trente ans des Rencontres. Amitié, convivialité respect. Retirés des affaires courantes du festival, Clergue et Rouquette en animeront l’esprit jusqu’à leur dernier souffle.
Maryse Cordesse, avocate, première présidente des Rencontres, femme de convictions et de réseaux, rédige les statuts de l’association des Rencontres internationales de la photographie (1977), suit activement l’évolution du festival pendant plus de 40 ans. Agnès de Gouvion Saint-Cyr, jeune bénévole recrutée par Clergue, prend du galon, fait carrière au ministère de la Culture, joue de son influence, sauve le festival in extremis d’une mort certaine, assure en quelques mois la programmation de la saison (1990). Jean-Claude Lemagny, grand serviteur de l’État, conservateur à la Bibliothèque nationale, officie à l’hôtel Arlatan, regarde chaque jour des portfolios, prodigue avec parcimonie remarques et conseils. Une nouvelle génération de journalistes, parfois acerbe, souvent enthousiaste, s’essaie à la critique, rend compte de la semaine d’ouverture, porte le festival au delà des frontières. L’industrie photographique, les sponsors divers, les mécènes apportent leur aide technique et leur contribution financière, permettent au festival de prendre son envol. Les maires d’Arles, quelle que soit leur couleur politique (PCF, PS, RPR), soutiennent les Rencontres dès leur origine leur assurant une aide financière et technique notoire, jamais remise en cause.
L’attribution des locaux, plus complexe, fut, à l’origine, l’une des raisons du départ de François Hébel et du président Jean-Noël Jeanneney (2015). La Mairie offre la cour de l’archevêché, la scène du théâtre antique. Eglises, chapelles, grenier à sel, cloître, palais, commanderie… le patrimoine architectural semble inépuisable. Ateliers SNCF, papeteries Etienne, ancien garage du site Croisière, Ground Control (ancien SERNAM) d’autres partenaires, avec la Mairie, proposent des sites industriels. Les directeurs des Rencontres les transforment en lieux d’exposition. Nouveau pont de Trinquetaille, salle de stockage de Monoprix. Arles est généreuse. François Hébel, Sam Stourdzé, inventifs relèvent le gant, installent l’image au plus près des Arlésiens. La Nuit de l’année, avec ses projections de reportages de l’année, propulse le festival au cœur des quartiers populaires.
Après Clergue (1970-1976, 1983-1985, 1994), d’autres reprennent le flambeau de la direction artistique. Suivront 50 années d’aventure photographique scandées par des découvertes, des trous d’air, des révélations de jeunes talents, des broncas, des expositions ratées, des rétrospectives exceptionnelles, des fêtes jusqu’à la fin de la nuit, des polémiques naissant sous le micocoulier, enflant dans la cour de l’Arlatan, pour s’éteindre aux terrasses des cafés. Sismographe de la photographie, Arles enregistre, précède, suit l’évolution de la photographie, des diapositives projetées aux images numériques, du reportage à la photographie vernaculaire.
Plusieurs directeurs artistiques ont marqué de leur sceau un festival parfois en grande difficulté. Bernard Perrine assure la première direction après la création de l’association des Rencontres (1977), Alain Desvergnes institutionnalise les workshops de Clergue (1979-1982) avant de prendre en charge la direction de l’Ecole nationale de la photographie. François Hébel impulse une nouvelle jeunesse (1986-1987) puis assure la pérennité du festival pendant douze ans (2002-2014). D’autres comme Claude Hudelot (1988-1989), Louis Mesplé (1991-1993), Michel Nuridsany (1995), John Fontcuberta (1996), Christian Caujolle ((1997), Gilles Mora (1999-2001), Martin Paar (2004), Raymond Depardon (2006), Nan Golding (2009) conçoivent des programmes riches en découvertes irrigués par leur réseau, leurs centres d’intérêt. Depuis 2014 Sam Stourdzé assure la relève, ouvrant davantage la programmation aux femmes, développant le festival dans des capitales étrangères et en Chine. Plébiscités, contestés, souvent les deux en même temps, les directeurs ont mené la barque de port en port avec enthousiasme, intelligence et parfois avec panache. Tous fins connaisseurs de la photographie, bien peu armés d’une formation d’entrepreneur culturel. Des naufrages furent évités de peu.
Leurs propositions, leur regard, leur discours sur la photographie nourrirent des soirées de grande émotion, des débats houleux, dans un climat de passion communicative.Des photographes les plus célèbres (Ansel Adams, Manuel Álvarez Bravo, Henri Cartier-Bresson, Robert Doisneau, Don McCullin, Gisèle Freund, André Kertész, Josef Koudelka, Sergio Larrain, Jacques-Henri Lartigue, Willy Ronis…), aux moins connus d’alors (Gao Bo, Sophie Calle, Thibaut Cuisset, Alain Fleischer, Gilbert Garcin, Nan Goldin, Françoise Huguier, Annette Messager, Martin Parr, Sophie Ristelhueber, Valérie Jouve…) qui rejoindraient ensuite les cimaises des musées, les Rencontres de la photographie ont accompagné bien des parcours, (Vasco Ascolini, Antoine D’Agata, Mathieu Asselin, Roger Ballen, Alberto Garcia-Alix, Erik Kessels, Guy Le Querrec, Joel Meyrowitz, Paolo Rovesi…), ouvert leur programme à d’autres continents, essaimé leurs expositions et leur savoir-faire au delà des frontières.
Pour retrouver le fil conducteur de cinquante ans d’histoire à travers une multitude d’expositions, de projections, de colloques, de prix, d’ateliers… j’ai consulté les archives des Rencontres, celles de fondateurs et de témoins, sondé les catalogues du festival, exploré les dossiers de presse et les articles publiés, regardé les œuvres de la collection des Rencontres, écouté le récit d’une trentaine d’acteurs. 2 311 photographes ont exposé à Arles (hors expositions collectives dont les noms des photographes ne sont pas inscrits au programme), 398 personnalités sont venues partager leurs connaissances, leurs compétences, 36 prix différents ont été attribués, 24 directeurs et commissaires invités ont pris les rênes du festival, 6 maires d’Arles ont apporté leur soutien particulièrement aux heures les plus difficiles. 14 ministres de la Culture d’abord simples visiteurs ont, avec l’arrivée de Jack Lang, compris l’importance des Rencontres pour annoncer leurs projets, leurs réalisations devant les professionnels, la presse nationale et internationale. Trois présidents de la République ont rendu visite aux expositions.
Les fondateurs avaient choisi le festival pour promouvoir la photographie, choix surprenant, mais validé par les années. Généraliste, le festival reste incontournable, draine de nouvelles générations, celle du numérique, de l’imprimante puis du smartphone. La convivialité, la fête, les rencontres autour d’une exposition à monter, d’un livre à éditer, d’un conservateur à convaincre, sont toujours au rendez-vous de la semaine d’ouverture. Vient l’été avec ses vacanciers. Pour beaucoup ce seront les seules expositions de photographie de l’année. Privilégiés, les écoliers arlésiens, mais aussi près de 10 000 jeunes, feront leur Rentrée en images en septembre.
Deux livres, coédités par les Rencontres, se complètent, reviennent sur une histoire des Rencontres liée à l’histoire de la photographie, à l’histoire culturelle. Ils retracent l’émergence de nouvelles approches, de nouveaux regards, de nouvelles pratiques, de nouveaux rapports à la production d’images. L’un[1] présente 300 photographies de la collection des Rencontres riche de 3 300 œuvres choisies par Sam Stourdzé. Cinq longs entretiens avec Jean-Claude Gautrand, Maryse Cordesse, Jean Claude Lemagny, François Hébel, Sam Stourdzé, sont accompagnés de photographies historiques, de textes de présentation, de chronologies. L’autre ouvrage[2] met en perspective la naissance des Rencontres, propose une présentation thématique, suivie d’une histoire chronologique. Cinq focus permettent à Jean Maurice Rouquette, Christian Caujolle, Jane Evelyn Atwood, Clément Chéroux et Sam Stourdzé de revenir sur un aspect particulier : un souvenir, un prix, une exposition, une évolution… Regard tendre et taquin sur les Arlésiens, treize photographies inédites de Bernard Plossu saluent la ville camarguaise. Des annexes fournies complètent l’ensemble.
Françoise Denoyelle
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[1] Arles Les Rencontres de la photographie 50 ans d’histoire, Françoise Denoyelle, corpus d’œuvres établi par Sam Stourdzé, éditions La Martinière-Arles Les Rencontres de la photographie, 285 pages, 35 euros.
[2] Arles Les Rencontres de la photographie Une Histoire française, Françoise Denoyelle, photographies de Bernard Plossu, éditions Art Book Magazine-Arles Les Rencontres de la photographie, 255 pages, 11 euros.