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François Halard : Greece : Louis Vuitton Éditions

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Synonyme d’art de voyager depuis 1854, Louis Vuitton continue d’ajouter des titres à sa collection « Fashion Eye ». Chaque livre évoque une ville, une région ou un pays, vu à travers les yeux d’un photographe de mode.

Et chaque année, la collection Fashion Eye promet aux voyageurs vertueux, aux baroudeurs intrépides, aux derniers dandys que l’on peut aussi bien connaître une contrée sans y mettre les pieds. Le livre appelle l’imaginaire, l’ouvre tout entier sous un regard nourrisson. Pour les mélancoliques, ceux qui auraient tout vu, il remémore des rivages d’autrefois, des parfums amoureux, endormis. « Comme tout voyage, il est intime, voire imaginé » susurre François Halard. C’est tout le charme, année après année, des nouvelles parutions de cette collection. Les années passent et l’appétit des découvertes creuse autant la faim des lectures.

Outre les grandes villes (Paris, New York, Shanghai, Berlin, Genève…), les pages s’ouvrent aux chemins de traverse, de la soie aux paysages détricotés iraniens. Comme une rengaine, l’œil vient souvent chatouiller le soleil de plomb méditerranéen, ses reflets, ses ombres, ses silhouettes. Ce fut la Côte d’Azur de Slim Aarons, le Monte-Carlo d’Helmut Newton, le Saint-Tropez d’Osma Harvilahti. Parfois, mistral, tramontane et marin gonflent leurs voiles et jusqu’aux ports d’Égée et de Crète, souffle un vent silencieux.

De la Grèce, la photographie retient les ruines de Koudelka, les déambulations de Cartier-Bresson, la frivolité de Dimitris Yeros. Dans son histoire toute récente, l’étau s’est resserré dans la tragédie. Alkis Konstantinidis et Yannis Berhakis parmi d’autres racontent les périples douloureux des nouvelles migrations. Ces périples photographiques se mêlent aux injonctions du réel. À ses traversées des tempêtes, sans destin du lendemain, le voyage grec est à l’Europe le moment d’une semaine avec ses îles à cocher, ses rivages à longer. Pour crever son mystère, les mythes s’effacent ou s’étudient sans se vivre. Les carnets de voyage ressemblent à des accroches publicitaires. Quelques visions subsistent aux clichés lavés des mêmes regards. À rebours il reste des capitaines aux chemins perdus. François Halard compte parmi ces phares.

Faut-il voir la Grèce de François Halard comme la bourlingue la plus périlleuse ? Surtout pas. Son papier satiné et grumeleux, du dessin avisé de Patrick Rémy, s’éloigne des Odyssées. C’est avant tout le choix de superpositions, de recompositions entre souvenirs, fascinations, figures silencieuses et évocations d’imaginaires féconds. Si sa Grèce a cette couleur indélébile, son « bleu des bateaux, du drapeau, et bien sûr de la mer et du ciel ! », elle a surtout la teinte d’une intimité apaisée, empreinte d’invitations lascives et de références en tous genres. Cy Twonbly écrivait en grandes lettres capitales le spectre des dieux olympiens. Athéna, Apollon surgissaient et frappaient la rétine dans le mystère de la peinture. François Halard reprend à son compte cette réapparence du passé. Il bondit du livre des courbes parfaites, des visages graves et beaux, des torses parfaits et violents, des tragédies et des dieux. La sculpture vient comme la mémoire des civilisations, elle s’inscrit aux atmosphères de sa hantise, de sa perfection.

Pensés comme des fulgurances, ces bustes droits et figures de marbre forment une contemplation de l’intime, et rappelle dans la même démarche, les intérieurs de Marc Camille Chaimowicz. L’installation Four Rooms (1984) de Chaimowicz a été construite, parmi d’autres références, sur la mémoire des Villas de Pline. Pour ses amis, Pline décrivait avec vigueur, en forçant le trait, des villas imaginaires. Il se dégageait de ses mots une fascination, pour les images qu’elles suscitent. Chaimowicz à son tour a utilisé cette méthode, en construisant ses intérieurs de papiers peints, de tableaux vifs, des reproductions des Nabis ou Matisse. Il naît de ce pouvoir d’évocation une juxtaposition des époques, des couleurs, des lumières. L’intime y est enrichi. Greece de François Halard reprend ce même principe. Un fil cousu y embobine les civilisations, les champs de ruines (le sanctuaire de Delphes, le théâtre d’Épidaure, l’acropole d’Athènes…) et les vues d’intérieurs et les natures mortes.

Sur ces dernières se retrouvent les lectures grecques de Halard. Sur l’assise d’une chaise d’église Naissance de la civilisation en Grèce de Christian Zervos. Sur une pile de livres, comme l’écume de tous ces faisceaux, de toute cette mémoire réunie, un catalogue Cy Twombly épouse Greece Gods and Art d’Alexander Liberman. Ces références décorent l’ouvrage et approfondissent le seul métier bon à faire aux yeux du photographe : esthète. Pour autant, elles sont suffisamment diffuses et discrètes pour ne pas devenir pédantes. Elles tiennent de l’empreinte, du point de repère sans masquer l’oriflamme de l’ouvrage. Sa qualité première, sa plus grande beauté, sa simplicité : « la lumière, c’est tout ! ».

Forts de ces appels aux larges, du soleil marin, des minuscules vibrations d’une chambre à coucher, des vestiges d’un cœur noyé de souvenirs, Greece de François Halard forme l’un des ouvrages les plus réussis de la collection « Fashion Eye ». Il vient à le feuilleter cette forte impression du regard, cette joie à saisir de minuscules choses : la musique d’une lumière, la danse d’un reflet, toute l’évanescence d’un pays. Et sa beauté frappe, demeure et se fane. En pleine page, perdues dans l’immensité des bleus, les photographies vibrent et s’éteignent. C’est ce charme, la Grèce, revenir aux ruines, à une vie antérieure, aux imaginaires.

 

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