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François Fontaine – Icônes

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Une icône est une image, un objet de contemplation, un modèle inégalé. C’est l’archétype, le modèle primitif et idéal, approchant de la perfection dans les idées platoniciennes. C’est le symbole universel de l’inconscient collectif chez le philosophe Jung. Qu’elle soit religieuse ou profane, une icône obsède autant qu’elle fascine. À l’instar de ces icônes de cinéma omniprésentes dans nos sociétés contemporaines.

Les stars de cinéma, désirées et adulées, riches et puissantes, font rêver mais restent inaccessibles. Elles vivent le plus souvent recluses, victimes de leur notoriété, en évoluant dans un univers clos qui les fragilise et parfois les détruit. Leur présence virtuelle quotidienne est une illusion qui nous charme et nous hante, tout en nous éloignant du monde réel. Hier comme aujourd’hui, l’image esthétisée et idéalisée des stars, façonnée par le génie inégalé de l’industrie hollywoodienne, continue de nous captiver.

Parmi les innombrables stars qui jalonnent l’histoire du cinéma, mon regard s’est porté sur celles qui transmettent une émotion particulière, tant par leur plastique que par leur présence au monde. Celles que je considère comme des icônes sont des êtres à la beauté et à l’élégance rares, dont les choix de vie sont synonymes d’engagements et de combats : Jane Fonda, Marlon Brando, Elizabeth Taylor, Brigitte Bardot. Des êtres pour qui les mots émancipation, libération, rébellion, ont une résonance particulière dans leur vie comme dans leurs films. Des êtres qui se battent pour faire évoluer la société mais qui restent fragiles et vulnérables. Et dont le destin peut-être parfois tragique : Marilyn Monroe, James Dean, Romy Schneider…

Avec la série Icônes, j’ai souhaité poursuivre mon exploration du 7ème Art au moyen de la photographie. Cette série de portraits, en couleurs, des plus grandes stars féminines et masculines du cinéma a été réalisée à partir de films projetés sur écran. Chaque photographie est la réinterprétation picturale d’une scène dans laquelle évolue une star dont le regard, l’expression ou le geste m’ont ému. Le sfumato chromatique qui compose ces portraits rend ces êtres encore plus intemporels et mystérieux. Leurs visages pourtant célèbres, que l’on pourrait contempler indéfiniment, demeurent cependant une énigme que je laisse à chacun le soin de déchiffrer. Ce qui est le propre des mythes, des légendes et des icônes.

 

François Fontaine
série « Icônes » / Agence VU’
Éditions La pionnière, 2018

Vita nova

Tout commence avec la nature. Avec le vent dans les arbres et le bruit des branches qui plient sans rompre. Avec le soleil que l’on attend et que l’on craint quand il embrase l’horizon. Avec l’odeur de la terre sèche puis creusée par les pluies chaudes ou glacées. Avec les nuages, ces vaisseaux lancés à la conquête d’un monde invisible. Avec les champs rouges de coquelicots, sombres après le feu, vierges et enneigés avant que le printemps ne surgisse comme surgit la paix après une saison de combat. La nature me protège, je m’y reconnais : nul ne sait la dompter. Elle n’est ni décor ni espace, ni géographie ni territoire. Elle est le reflet de mes espérances. J’y trouve ma place en raison de la lumière que je compare à la matière. Il me suffit de tendre les mains pour la saisir, solide sous mes paumes, accrochée à mes poignets, liquide sur ma peau. La lumière me ligote. Je ne me sens pas prisonnière. Je suis libre -libre des hommes. Nous vivons près d’un lac dans l’état du Kentucky : lieu de mon histoire qui deviendra légende -le pays de l’herbe bleue. Je marche sur les rives entravées de ronces, de fougères et d’orties, les jambes et les pieds nus, en prise avec le ventre du sol. Le vent, mon unique appui, me guide. Là prend mon désir que je nomme le désir interne, rivé à mon corps. Je nage dans les eaux grises ou jaunes selon le courant ou l’heure de mes bains. Je gravis les falaises qui heurtent le ciel. Je fouille la glaise et la boue. Je lèche la résine et la sève. J’avance vers mon destin. Je sais l’or et le sang, la force et le vertige. Je tombe sans me blesser. Au centre de la nature je deviens la nature.

Tout s’achève avec la ville. Je perds mon enfance. J’apprends la foule, sa densité, sa vitesse : l’essaim. Tant de corps serrés. Tant de défaites et de victoires silencieuses. Tant de cœurs meurtris et de battements amoureux. Tant d’espoirs et de regrets. Tant de rendez-vous et de rendez-vous manqués. Nulle voix ne raconte, je raconterai. Les capitales absorbent les êtres et les êtres ne s’absorbent pas entre eux. Je m’égare dans le tourbillon, me retrouvant à chaque fois, seule et inchangée. J’apprends l’asphalte et le ciment. J’apprends le bruit des moteurs. J’apprends la solitude. Les arbres me manquent, les marguerites sauvages ont disparu ; verre, pont, acier, tours remplacent ma vallée. Je suis sans horizon. J’apprends la nuit. Ce n’est pas la nuit des forêts. Ce n’est pas la nuit des fleurs et des animaux. Ce n’est pas la nuit du lac et des montagnes. La nuit devient ma nuit. La lumière manque. Je vais la chercher. Je dois survivre. Je dois trouver ma place. Elle ne sera pas la meilleure des places, elle sera un abri sous les bombes. Ma beauté est un monstre. Je la porte comme un masque. Au centre des hommes, je deviens les hommes, démultipliant mon image à partir de leur image. Je suis une et les autres mêlés de moi. Je suis le rêve, l’idole et un jour la cible à atteindre -nous finissons toujours par brûler ses modèles comme nous brûlons les images d’un passé que l’on veut oublier, le récit d’une histoire que l’on veut effacer. Adorer et haïr se tiennent sur la même ligne.

C’est ma vie nouvelle qui m’emporte comme m’emportaient les eaux vives des sources de mon enfance. Je n’en connais pas la fin, mais je la pressens. Je n’ai pas peur. On me désire sans chercher à me connaître. J’accepte. Je donne ma chair, ma peau, mes yeux, mon souffle. Je donne ma voix, mon regard, mon sourire. Je donne ce que je sais et ce que ne sais pas. Je me livre, moi qui suis sans passé véritable : une poignée de poussière et quelques brins de blé sec. Je suis nue et vêtue, mon cœur est une cape, mon âme sa couronne. Je ne porte ni flèche ni épée. Je ne nourris ni violence, ni colère. Je renverse ma nuque quand il faut la renverser, je plie mon corps quand il faut le plier. Je rends des baisers sans vraiment les donner. Je me regarde marcher, m’allonger, sourire et me relever. Je me regarde jouer et cesser de jouer. Je me regarde me transformer puis revenir à moi, rentrant d’une expédition aux confins d’un continent qui n’existe pas. Je plonge dans une vague qui m’engloutira. Je sais. Je sais la comédie qui mène à la tragédie, je suis la comédie et la tragédie. Je sais le simulacre, je suis le simulacre. Je ne me perds pas. Ce sont les autres qui se perdent quand ils me regardent sans distinguer ni comprendre ce qui apparaît : je suis l’étoile et la terre, je suis le ciel et le vent quand il vient du versant de la montagne la plus haute annonçant le sacre de l’été. Je ne me tiens pas dans la lumière, je suis la lumière qui lave des peines et des péchés.

Je suis la pierre et le soleil sur la pierre.

Nina Bouraoui

 

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