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Fotografika Berlin : Nude

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Le lieu récemment inauguré présente les travaux de trente femmes réunies autour du nu. D’horizons et de cultures différentes, les artistes s’emparent de la nudité pour transmettre leurs visions sociétales dans des photographies engagées.

Si le nu suscite tant d’émotions contradictoires, c’est parce qu’il est à la fois ce qui entretient l’hypersexualisation de la femme tout en étant un outil de protestation pour les femmes elles-mêmes. Dans l’histoire des arts visuels, le corps féminin, exploité au profit du désir masculin, s’est contenté d’une beauté uniforme, bien que décriée, toujours ancrée dans nos sociétés. Ce corps standard né du fantasme n’avait au siècle dernier déjà rien à voir avec les aspirations des femmes. Dans les années 70, une avant-garde féministe se dessine et de nombreuses photographes s’emparent du corps à des fins politiques. À partir de ce moment précis, la nudité n’est plus une fin en soi mais un moyen d’émancipation et de réappropriation identitaire.

Nude offre un tour d’horizon des multiples facettes de ce genre photographique essentiel et controversé à travers près de 200 photographies, miroirs des enjeux de notre époque.

Parmi les travaux présentés, My Tinder Boy de la photographe chinoise Yushi Li interroge le regard porté sur l’autre selon notre genre en inversant, non seulement les paradigmes homme/femme mais également les codes. Après avoir sélectionné des hommes qui lui plaisaient via l’application de rencontre Tinder, elle les rejoint chez eux et les photographie nus dans leur cuisine. Elle aborde alors ses sujets comme de purs objets de désirs dont elle se serait accaparé l’espace personnel et intime.

La photographe japonaise Momo Okabe parle d’un autre thème d’actualité : la transition de genre, avec des images particulièrement puissantes. Avec Dildo, l’artiste qui a confié être asexuée évoque un monde au-delà de la binarité qu’elle capture dans des couleurs unies et affirmées, comme pour contrecarrer le trouble qui règne autour des questions du changement de genre.

Dans certains travaux, les autrices se font également actrices. C’est le cas de Diary de Lina Scheynius : des photographies de sa vie où le nu prend des airs de poème. Des bouches qui s’embrassent, des corps qui s’enlacent, un fin morceau de plastique délicatement tenu au bout du doigt, un sexe masculin entourée de feuillage, un autoportrait au saut du lit…Fascinée par le pouvoir du corps, la photographe suédoise capture son indicible beauté avec des images sensibles et suggestives, intimement dédiées à leur sujet.

Si dans les sociétés occidentales le nu est largement usé et démocratisé, restent de nombreux pays où le corps demeure un terrain sensible. La Chine, par exemple, dont la photographe Luo Yang, née sous la loi de l’enfant unique, cristallise une jeunesse qui tente de s’affirmer dans ce pays en proie à de vents contraires, entre tradition et capitalisme. À travers la nudité de ces jeunes femmes, Girls aborde un âge de la vie entre fragilité et féminité tout en incarnant une certaine transgression de pensée.

Certaines artistes s’intéressent en particulier au nu masculin : l’artiste américaine Dana Scruggs capture de belles images d’hommes noirs pour dénoncer les injustices et les violences qui leur sont infligées aux États-Unis. La photographe suédoise Monika Macdonald s’empare, quant à elle, de la fragilité masculine pour délivrer des portraits doux et intimes.

D’autres usent la nudité afin de dénoncer les injonctions physiques faites aux femmes, c’est le cas de la photographe danoise Marie Hald qui aborde le sujet des personnes en surpoids à travers les portraits de Marte, une activiste déterminée à changer le regard pesant et oppressant de la société à leur encontre. L’artiste ivoirienne Joana Choumali superpose et mêle les corps féminins réels aux corps lisses et plastiques de poupées, en rejet du regard hétéronormé masculin.

Enfin, la photographie demeure toujours un incroyable vecteur de diversité. Comme au cœur des prises cinématographiques de la photographe franco-uruguayenne Bettina Pittaluga qui célèbre la peau, sa forme, sa teinte, son grain et son reflet dans des portraits révélant toute la puissance de ses sujets féminins et masculins. Ou encore comme la photographe néerlandaise Lotte van Raalte qui immortalise les corps de 46 femmes âgées de 13 à 94 ans dont découle une cartographie du corps féminin nuancée, réelle et pleine de vie.

Noémie de Bellaigue

 

Nude à Fotografiska Berlin jusqu’au 21 janvier 2024.

Fotografiska Berlin
Oranienburger Str. 54,
10117 Berlin

www.fotografiska.com

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