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Ève Morcrette

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L’esprit se meut, l’âme s’émeut, l’esprit raisonne, l’âme résonne – François Cheng

La beauté et la singularité des photographies d’Eve Morcrette résident dans la manière dont ses images se réfèrent à l’histoire de l’art européen. Cette artiste rend constamment un hommage respectueux aux peintres qui l’ont émue. Si ces références à la peinture trahissent un goût prononcé pour la photographie pictorialiste, elles lui permettent surtout d’établir un jeu de va et vient mental entre passé, présent et futur, dans lequel elle se sent en harmonie avec la mouvance du monde. Ce goût immodéré pour la contemplation d’une œuvre historique en accord avec son être profond révèle une artiste romantique dont le désir est d’abolir l’idée même du temps.

Elle se saisit de la tradition, non pas pour la plagier ou s’y engluer, mais pour la régénérer ainsi que le prônait Gustave Mahler : « Nourrir les flammes, et non vénérer les cendres. » Elle le fait parfois avec humour, à travers la femme au catogan qui évoque Magritte, ou avec ce double portrait de Gabrielle d’Estrée, transposé au masculin/féminin. D’autre fois, sans détours, elle convoque l’Ophélie de Millais, murmure avec Ingres dans les vapeurs du Bain turc, révèle les nus voilés de Lucas Cranach, ou encore exalte ceux de Raphaël Collin, triomphants dans les printemps symbolistes et fleuris du 19ème siècle…

Rien ne ment moins que le corps. Pour rencontrer son âme et toucher la véritable source de ses sentiments, il faut simplement regarder les nus de cette photographe, car ils sont à la fois une méditation mélancolique sur le temps, une réflexion philosophique sur la création artistique et un hommage admiratif aux peintres défunts.

Dédoublés, décomposés, en couple, en groupe, démultipliés, hommes,
femmes… Eve Morcrette ne cherche pas un type idéal, elle n’a aucun critère de sélection pour ses modèles. Les corps nus sont essentiellement un prétexte à parler de matière et de forme, de lumière, de lignes géométriques, de courbes. Elle privilégie les carnations qui absorbent ou renvoient la lumière, les modèles motivés qui aiment poser, avec lesquels elle peut établir un dialogue. Les prises de vue durent environ deux ou trois heures. Dans cet espace/temps, tel un esprit, elle se projette indifféremment dans ses modèles masculins ou féminins. La douceur et la délicatesse de ses photographies attestent de sa tendresse pour l’humanité toute entière dans sa nudité universelle.

« Enfant » – dit-elle – « Je n’avais aucune conscience de la matérialité de mon corps, je ne l’ai découvert qu’à quatre ans, dans le miroir d’une armoire, de la chambre parentale. Le choc fut extrêmement violent… Ce que je cherche en photographiant des nus, c’est la sensation d’immatérialité. Cette oscillation entre apparition et disparition toujours présente dans tout mon travail, cette obsession dit quelque chose de moi et de mon rapport au monde ».

Dans des notes de Man Ray publiées en 1948, il est dit que la photographie doit désormais devenir un espace de liberté, un lieu où la fiction prend corps, où le fantasme devient réalité. Tout l’œuvre d’Eve Morcrette est imprégné de ce courant de pensée moderniste pour lequel la photographie n’est plus un morceau de réalité objective entouré d’un liseré noir, mais un espace où l’illusion triomphe et où la seule réalité est celle des images. Les siennes frappent l’imagination et s’imposent par l’évidence de leur contenu.

Point de bavardages, pas de discours, aucune glose ne vient justifier, légitimer ou cautionner son travail. Elle ne sacrifie pas à l’air du temps… Ses images s’imposent par leur justesse et leur rigueur. Le cadrage est serré, les effets de matière et le raffinement de ses clairs-obscurs nous montrent toute l’attention portée à la lumière, qu’elle voudrait aussi étincelante que celles des tableaux de Jean Van Eyck.

En digne héritière de Joseph Sudek, elle s’est imposée comme éthique de ne jamais trahir un négatif parce qu’il traduit l’exigence de l’artiste au moment de la prise de vue. Ses photographies ont été longuement pensées en amont, elles ne subiront aucune retouche, aucune reprise, aucune modification, afin de restituer l’émotion pure au moment du déclic. Cette quête d’authenticité, ce besoin d’honnêteté, se traduisent par le choix de la difficile discipline du noir et blanc – qui ne supporte aucun repentir – et de l’argentique qui magnifie les images. Aucune phrase ne peut mieux convenir à Eve Morcrette pour évoquer la maîtrise de son art de haute volée si ce n’est celle, concise et lapidaire, de Constantin Brancusi : « La Simplicité, c’est la complexité résolue ».

Brigitte Ducousso-Mao, Historienne de l’art.

Ève Morcrette

http://evemorcrette.wixsite.com/artiste-photographe/

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