C’est le troisième Dialogue de la Ettore Molinario Collection. En juxtaposition une nature morte de Zorro, le génie mystérieux de la photographie anonyme, et une image de la série Shoe Story de David LaChapelle. Je vous invite à découvrir le lien qui unit ces deux maîtres du fétichisme et à suivre nos nouveaux rendez-vous des prochains mois d’été.
Il avait choisi ces fleurs roses pour rendre l’hommage le plus délicat et le plus cruel à lui-même, à l’homme qu’il avait été et, à cause de son âge, il ne l’était plus. Et parmi toutes les couleurs possibles, il avait choisi le rose. Lui qui pendant des années s’était imaginé comme l’alter ego de Zorro, qui avait revêtu les mêmes bottes et fait claquer le même fouet, parce qu’il savait combien le rose, encore au XVIIIe et au début du XXe siècle, avait été la couleur de la virilité, le rouge poli et conscient de ceux qui connaissent la force, la passion, la justice.
Pendant au moins deux décennies, Zorro, un extraordinaire photographe anonyme, avait revêtu les vêtements de l’épéiste masqué. Chaque séance avait eu lieu à la maison, dans la chambre d’un ancien appartement parisien. Dans les années 1940, les autoportraits étaient en noir et blanc, nocturnes. La couleur et la lumière chaude du jour, en revanche, annonçaient sa maturité, et en 1968, le 68 de toutes les rébellions, prenant congé de ses fantasmes, Zorro avait inséré ses fouets bien-aimés dans un vase d’œillets. Ikebana d’adieu.
Trente ans plus tard, David LaChapelle voulait aussi chevauché dans les prairies domestiques du désir. Lui aussi est devenu Zorro et a laissé les jambières du bourreau envelopper son corps. Latex bleu, car le ciel d’aujourd’hui est chromatiquement destiné aux hommes. Si seulement c’était le cas, il faudrait protester, mais ce petit soulier poudré, posé sur la tête, équilibre le jeu des conventions et rappelle que la couleur de l’ancien pouvoir masculin est la même couleur qui appartient désormais aux femmes.
Ettore Molinario
