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Jean-Philippe Charbonnier : Entre deux mondes

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« J’ai séjourné 6 semaines dans les hôpitaux psychiatriques. L’agité qui casse tout et vit nu en cellule dans la paille souillée ; l’alcoolique en cure d’antabuse, dont les vomissements trouent la nuit et coulent matériellement sous sa porte ; les femmes en camisole, prostrées, desexuées et moustachues qui se jettent au cou des médecins. Quelle patience ! Regards sans fond, paroles sans suite. (…)

A l’hôpital psychiatrique de Maison Blanche, j’avais vu,  cour des Miracles en marche, une cohorte insensée de femmes gâteuses, de douze à soixante-dix ans, qui venaient au bain : terrible relent de cire, de suint. Les infirmières déshabillaient, baignaient, frottaient, rinçaient, donnaient des vêtements propres sortis de l’autoclave. Après cette salutaire cérémonie, les malheureuses repassaient devant moi, pomponnées, toutes fraîches, souriantes, déchirantes : « Bonjour Monsieur, Bonjour Monsieur, Bonjour Monsieur, etc… » Mais la même odeur subsistait. C’était en elles. Comme s’il ne leur suffisait pas d’être folles. (…)

Je me revois encore dans l’Oise, avec mon ami Michel Desjardins, encadré devant, derrière, et sur les côtés par des infirmiers judokas, tel Al Capone et ses lieutenants, déambulant dans le pavillon des fous criminels, antisociaux. Des gens qui avaient trucidés père, mère, femme ou voisin, et qui, la veille encore, avaient tué à cinq, et à coups de crayon dans les yeux, un gardien isolé. On m’enferma dans la cellule d’un malade que l’on ne pouvait même pas lâcher parmi les autres. Les murs étaient couverts de dessins au fusain et à la craie, répétition les uns des autres, visages copiés dans des magazines et, surtout, de grandes pendules marquant des heures différentes. Nous eûmes, tandis que je faisais des photos de lui dessinant, une conversation très simple et assez peu cohérente, mais ma présence dans sa cellule ne semblait pas l’étonner.

J’ai fait, là aussi, des photos impubliables. Les gosses pour toujours retardés, ficelés en permanence sur des tinettes qui, du pavillon des enfants, passeront à celui des adultes, puis à celui des vieillards, fermeture du cycle, puisqu’ils sont gâteux dès l’enfance et infantiles dans la vieillesse. Beaucoup plus tard, ils s’éteindront. Les fous meurent très vieux – sans avoir jamais pensé (de cogito ergo sum), ni pensé que la vie est autre chose. »

 

Jean-Philippe Charbonnier Un photographe vous parle, Grasset 1961

Reportage publié dans le numéro 108 de Janvier 1955 intitulé « Bons pour l’asile »

Jean-Philippe Charbonnier. Raconter l’autre et l’ailleurs (1944-1983)

 

Jean-Philippe Charbonnier – Raconter l’autre et l’ailleurs (1944-1983)

du 5 février au 19 avril 2020

Pavillon Populaire // Espace d’art photographique de la Ville de Montpellier

Esplanade Charles de Gaulle, 34000 Montpellier

www.montpellier.fr/pavillon-populaire

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