Synonyme d’art de voyager depuis 1854, Les Éditions Louis Vuitton continuent d’ajouter des titres à sa collection « Fashion Eye ». Chaque livre évoque une ville, une région ou un pays, vu à travers les yeux d’un photographe. Le Deauville d’Omar Victor Diop superpose à la Manche le décor et les souvenirs des rives sénégalaises de l’Atlantique
Depuis sa création, la collection « Fashion Eye » des éditions Louis Vuitton s’arrime aux grandes traversées (La Route de la soie de Kishin Shinoyama, La Colombie britannique de Sølve Sundsbø), rappelant la dimension d’aventure et d’épopée dans l’acte de voyager, comme aux épicentres mondains ou glamours de notre planète. Des lieux de villégiatures, aurait dit la sociologie, villes ravivant les carnavals du XIXe siècle (Venise de Cecile Beaton), atmosphères d’été éternels sinon le long des Côte d’Azur et côtes amalfitaines de Slim Aarons.
Il paraissait obligé, sinon prévisible que la collection se pose à Deauville, qui, pour le lecteur étranger, demeure l’horizon de la mer le plus accessible depuis Paris. Ville de joueurs, de fortune et de ruines, côtes longilignes aux plages plates, pavés de villas normandes faites de briques et balcons de bois. Ville aux ciels grisailleux, et qui dans les souvenirs, rappelle l’épopée d’Un homme et une femme de Claude Lelouch, ou plus chère à mon cœur, la scène d’ouverture de L’amour à la mer de Guy Gilles.
« C’est drôle, quand on est venu dans un endroit à la mode, on s’en rend pas compte. Nous on allait pas à Deauville parce que c’était chic, on y allait en famille parce que c’était à 10 km de chez nous. C’était le plus pratique. On s’en foutait des snobs, on les voyait même pas. Et puis l’an dernier en allant passer un mois de vacances chez mes parents, c’est là que j’ai rencontré Daniel. Alors quand j’entends une chanson qui parle de l’amour, ça me fait penser à Deauville et à Daniel parce qu’il est marin », annonce Geneviève Thénier dans sa première réplique.
Il existe sans doute une chanson douce qui rappelle à Omar Victor Diop le souvenir des plages dakaroises. Sans doute est-ce la même mélancolie qui Geneviève Thénier et Omar Victor Diop, le souvenir d’un horizon, de ses parfums, la musique des flots se brisant, remous encore et lenteurs de la vie. « À Deauville, j’ai parfois entendu dans le bruissement d’un trench-coat la chanson de la brise dans le caftan amidonné de mon père, lors de promenades élégantes les jours de fête, sur la corniche de Dakar », semble-t-il abonder dans un entretien avec Laura Serani, directrice du festival Planches Contact.
Sa série « Odysseia » montrée dans l’édition actuelle du festival deauvillais, donnant corps à cet ouvrage, joue sur la nostalgie de la terre, ce sentiment permanent de l’exil permanent cher à Joachim du Bellay. « Chaque rue du monde que j’arpente est peuplée par mon mal du pays ». Les paysages côtiers de Deauville lui renvoient en miroir les plages de Dakar.
Ses vues de plain-pied des villas normandes, de ses édifices grandiloquents de la gare aux casinos rappellent dans leur méthode la photographie objective de Bernd & Hilla Becher. Mais ces mêmes vues se mâtinent de ciels fantaisistes aux teintes rosées, et se ponctuent ici et là de personnages en boubous, posant fiers devant les édifices ou marchant. Le paysage devient un décor kitsch, lui-même transmué en carte postale fantasque.
Avec cette série, Omar Victor Diop a cherché à réconcilier « l’utile et le futile ». Deauville n’est plus une ville, ni un souvenir ni une mondanité, mais un monde irréel où cohabiterait l’architecture ornementale des stations balnéaires du XIXe siècle français avec un glossaire de personnages sénégalais. Une sorte de dichotomie amusée, où la ville devient un tableau-décor personnel.
Il ressort de ce Deauville d’Omar Victor Diop une ambivalence entre un paysage inconnu et d’un autre devenu mémoire, celui d’une ville explorée par l’artiste pendant sa résidence et celui du cœur, ancré si profond. Si la répétition de cette superposition tout au long du livre tend parfois à lasser, et si le décorum empreint de kitsch peut plaire ou déplaire, c’est selon, sa série demeure un habile renversement des imaginaires dévolus à la ville normande. Elle figure les entrelacs personnels d’une identité tiraillée par deux mers, par deux horizons, par toute une somme de paysages et atmosphères.
Omar Victor Diop — Deauville
Éditions Louis Vuitton, collection « Fashion Eye », 2023
Dans le cadre du festival Planches Contact
23,5 x 30,5 cm, 120 pages
Revu et corrigé par Laura Serani
Direction d’ouvrage : Axelle Thomas
Editeur : Anthony Vessot
Graphisme : Lords of Design
50 €
Disponible dans les bonnes librairies et en ligne