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Editions Louis Vuitton : Entretien avec Patrick Rémy

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Synonyme d’art de voyager depuis 1854, Louis Vuitton continue d’ajouter des titres à sa collection « Fashion Eye ». Chaque livre évoque une ville, une région ou un pays, vu à travers les yeux d’un photographe. Editeur invité de la collection, le directeur artistique Patrick Rémy se penche sur son métier et la collection « Fashion Eye ».

 

Comment devenez-vous éditeur ?

J’ai commencé comme journaliste à Europe 1, où je suis resté 17 ans. J’ai terminé comme rédacteur-en-chef adjoint de la tranche du matin, la plus importante, avant d’en partir le 31 aout 2001, 11 jours avant le 11 septembre 2001. Je me suis bien amusé, mais c’était très stressant. Parallèlement, j’ai collaboré à de nombreux titres de presse, comme Vogue France, Le Journal des Arts, Beaux-Arts, Jalouse USA, Paradis… J’ai inauguré, en tant que directeur artistique, le festival Planches Contact de Deauville, en 2010, cinq ans durant. J’ai pu y exposer Paolo Roversi, Massimo Vittali, Sarah Moon, Lars Tunbjörk, David Armstrong, Kishin Shinoyama, Rinko Kawoshi ou Charles Fréger.  Des étudiants de toute l’Europe venaient en résidence. Certains d’entre eux ont alors commencé une belle carrière !

 

Pouvez-vous revenir sur la genèse de votre collaboration avec les éditions Louis Vuitton ?

Il y a une dizaine d’années, le directeur des éditions Louis Vuitton, Julien Guerrier, m’a invité à déjeuner pour discuter d’une édition limitée de Seydou Keita, autour d’un livre publié par Steidl, dont je me suis occupé pendant plus de quinze ans en France. Par ailleurs, je lui dis que je fais des recherches d’images pour des marques, des moodboards. La maison d’édition, intégrée à Louis Vuitton, travaillait sur un projet de livre sur les sacs de villes. Il m’a alors proposé sur l’iconographie mode du livre. Puis on a ensuite enchainé sur celle d’un ouvrage consacré à Louis Vuitton et la photographie de mode.

Julien Guerrier m’a ensuite consulté sur une idée qu’il trainait depuis longtemps : un livre, une destination, un photographe de mode. Il m’a présenté Frédéric Bortollotti, directeur artistique de Lords of Design avec lequel il travaillait déjà sur le City Guide et la collection de carnets de dessins Travel Book, qui avait alors très peu fait de livres de photographie.  La collection Fashion Eye était née. Nous avons débuté ensemble par California de Kourtney Roy, Paris de Jean-Loups Sieff et Shanghai de Wing Shya. D’autres directeurs d’ouvrage contribuent également à la collection, comme Sylvie Lécallier, Michel Mallard ou encore Damien Poulain.

 

Comment se passe le choix du photographe et du lieu ?

Dans le cadre de la collection Fashion Eye, mes propositions s’effectuent au gré de mes rencontres avec les photographes, avec leurs agents. Je soumets une sélection aux éditions Louis Vuitton qui prennent la décision de publier ou non tel ou tel photographe. De temps à autres, il y a des commandes spécifiques, si la maison souhaite par exemple mettre l’accent sur un endroit en particulier.

 

Vous vous êtes occupés du Fashion Eye New York de Saul Leiter. Fût-il compliqué à réaliser ?

La Saul Leiter Foundation m’a envoyé un grand nombre d’images. Contrairement au principe de la collection qui vise à offrir la vision d’un photographe de mode sur une destination – sans que ce ne soit une série de mode à proprement parler –, ma sélection s’est ici concentrée sur les images de mode prises à New York par Saul Leiter, car, dans son cas, on oublie qu’il a été longtemps photographe de mode. Je me souvenais qu’il avait réalisé des clichés en noir et blanc incroyables, publiés dans Apparences, le livre de Martin Harrison (Le Chêne pour l’édition française, 1991). Cette même série avait été publiée dans le magazine Six, une revue mythique éditée par Comme des garçons. Celle-ci étant impossible à retrouver parmi les archives de Leiter, j’ai scanné et photographié mes propres numéros de Six, avec l’autorisation de la marque. Cela a apporté une certaine modernité au projet !

 

Bon nombre d’ouvrages de la série donnent une vision différente, souvent atypique, brisant les stéréotypes, des lieux qu’ils représentent. Le Las Vegas de Jeff Burton par exemple.

Un des problèmes de Las Vegas, c’est l’interdiction de photographier à l’intérieur des casinos. Jeff Burton a donc proposé de suivre trois événements : un championnat de MMA, le spectacle du Cirque du Soleil, et un autre de transformistes, auxquels il a ajouté des photos prises depuis ses balcons d’hôtel. Quand tu reçois les clichés d’un photographe, tu as toujours le cœur qui palpite à l’idée de ce qu’il va bien pouvoir t’envoyer. Dans son cas, il y avait 250 images et aucun déchet ! Et immédiatement, cette pensée qui me vient en tête : des photos en pleine page, sur un papier très, très glossy.

Dans certains projets, je passe beaucoup de temps à trier. Je peux recevoir jusqu’à 2000 photos. Parallèlement, viennent des idées de maquettes, de rythme. Lords of Design fait alors des propositions qu’on affine et qu’on propose aux photographes.

 

La Grèce de François Halard ou encore le Royaume-Uni de Martin Parr à paraître prochainement, ce sont de vastes territoires.

C’est davantage un esprit. Je trouve que Martin Parr est le meilleur de lui-même en Grande-Bretagne. Mais la collection ne se veut pas exhaustive. Prenons Silk Road de Kishin Shinoyama, dont je suis un grand fan depuis toujours. Je dois avoir dans ma bibliothèque… je ne sais pas… une cinquantaine de ses livres, si ce n’est plus. J’avais acheté il y a 15 ou 20 ans, les huit volumes qu’il avait consacré à la route de la soie dans les années 1980 à un gars de Brooklyn via Ebay pour 150 $ le tout. À partir de ces huit volumes, j’ai fait une sélection resserrée, de Nara à Istanbul, pour obtenir un ouvrage de 304 pages imprimées sur un papier bible ! J’ai privilégié des endroits détruits depuis, comme les Bouddhas de Bâmiyân, Palmyre. Tout en conservant l’obsession de Shinoyama pour les marchés. Il est très, très gourmand. Il passait son temps à photographier des plats.

Malgré tout, il reste encore beaucoup de lieux à faire, de visions à révéler.

Ce qui est intéressant avec cette collection, c’est la liberté totale. La mode n’y est pas ou peu présente. C’est juste le regard d’un photographe de mode. Pour le titre consacré à Lagos, Daniel Obasi a travaillé avec des stylistes locaux, mais c’est une exception – avec d’autres volumes comme ceux de Henry Clarke, Saul Leiter ou Guy Bourdin par exemple. Son livre a été un prétexte pour délivrer un message très fort pour les droits de la communauté LGBT dans son pays.

 

La collection explore aussi les archives de certains photographes : New York de Saul Leiter évoqué plus haut, Normandie de Jean Moral, India de Henry Clarke ou Miami de Guy Bourdin (tous trois édités par Sylvie Lécallier), French Riviera et Italian Rivieras de Slim Aarons…

De manière générale, je préfère tout de même travailler avec de jeunes photographes et échanger avec eux. J’aime plus que tout penser aux futurs livres qui pourraient intégrer la collection.

 

Les prochains ouvrages de la collection Fashion Eye

  • Omar Victor Diop, Deauville, édité par Laura Serani, collection « Fashion Eye », éditions Louis Vuitton, 2023
  • Frank Horvat, Hong Kong, édité par Sylvie Lécallier, collection « Fashion Eye », éditions Louis Vuitton, 2023
  • Stefanie Moshammer, Vienna, édité par Patrick Remy, collection « Fashion Eye », éditions Louis Vuitton, 2023

 

Les ouvrages des éditions Patrick Remy Studio sortis cet automne.

  • Mocafico, Numéro 7, Patrick Remy Studio, 2023
  • Donna Trope, Polaroids, Patrick Remy Studio, 2023
  • Sean Thomas, Yearbook vol. 2, 2023, Patrick Remy Studio, 2023

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