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Éditions Louis Vuitton : Mayumi Hosokura – Le chant bleu de Kyoto

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Synonyme d’art de voyager depuis 1854, Louis Vuitton continue d’ajouter des titres à sa collection « Fashion Eye ». Chaque livre évoque une ville, une région ou un pays, vu à travers les yeux d’un photographe. Avec Kyoto, la photographe Mayumi Hosokura définit l’intimité, d’une ville comme de soi, aux tons de la couleur bleue.

Depuis la création de la collection en 2016 et la parution des premiers opus, les Éditions Louis Vuitton et les graphistes Lords of Design ont dessiné une ligne chaleureuse. Chaque nouvelle sortie revêt fièrement une nouvelle couverture colorée. L’artiste et son auteur se titrent élégants en haut de page, dans un marquage texturé sombre accompagné d’une petite photographie. Cet encart annonce la suite, l’histoire qui vient, le voyage promis à la page tournée. Au toucher, la couverture revêt une texture satinée. Au dos, une immense photographie referme le voyage. Voilà la formule. Et cette carapace ici est belle, toujours belle — et quand un livre est beau, il faut le répéter, s’en extasier béatement, encore et encore. L’attente d’un nouvel opus nourrit le fantasme du pastel, de ce que sera la diapositive d’ouverture. On en devient un peu zinzin.

C’est le propre d’une collection, sitôt fixée elle ne bouge pas ou peu et attire l’œil par sa répétition. C’est l’osmose de trouver un livre qui fait, dans son toucher comme à sa vue, entièrement sens. Une synesthésie de la page, si l’on peut dire. Songeons… Les plus belles collections de livres se font aussi les plus classiques. Une fois les lignes fixées, ça ne bouge pas. Il y a la « Collection Blanche » de Gallimard qui fait saliver d’envie le scribouillard, « Photo Poche » dans son format passe-partout sérieux et intriguant ou, moins connu et plus fantasque, les lignes et lettres dansantes des Éditions Cent Pages. La surprise vient plutôt à l’ouverture.

Le Kyoto de Mayumi Hosokura est de ceux-là. Aux clichés suspendus, en lévitation, de la photographe japonaise, les papiers choisis répondent par une sorte de légèreté, scandés avec parcimonie. D’un côté, un papier avec de légers reflets scintillants où sont imprimées les œuvres d’Hosokura, de l’autre un papier occultant en vélin mince voilant certains doubles comme on découvrirait un panneau coulissant. L’association des deux papiers participe inconsciemment à l’intimité du livre. La plupart caresseront du doigt une page puis une autre et ne remarqueront rien. Ils noteront combien le livre est doux, harmonieux dans sa composition, sans voir que le toucher participer une forme d’intimité. D’autres comme moi s’attacheront à trouver la recette. Vaut-il mieux ne pas savoir ? Le détail technique serait-il de trop ? Savoir n’est pas toujours dévoiler, quand l’enchantement est là, dans l’air, à chaque page.

Cela ne tiendrait pas sans l’œuvre d’Hosokura. Le livre entier est construit sur une courte palette, allant du bleu nuit au vert impérial. Il se dégage de l’ensemble une forme d’aura, une ode à la nuit, aux silences immuables mais brefs (Candles and Foxes), à l’agitation d’une ville saisie à rebours de ses convulsions (View from Yasaka Shrine), le calme, partout, jusqu’aux gestes répétés, oubliés de notre corps (Pink, Higashimaya-ku). La photographie est un instant, elle se débat pour sortir du cadre et n’arrive à rien d’autre qu’un petit bout de seconde. « Elle fige à jamais un événement unique du monde » souligne Hosokura ; Sa puissance vient de son articulation, de sa mélodie. Une image peut produire un son, et bout à bout former une composition silencieuse. De tout ce bleu, il y’a une comme une symphonie.

D’autres avant Hosokura ont écrit par la couleur. Irma Blank a refusé les mots pour tracer des lignes dénuées de sens. Gillo Dorflès a appelé cela une écriture asémique, soit une écriture « dénuée de signification » se détournant de raison. Les motifs, lignes et griffonnages forment chez elle un langage en soi, une force visuelle épurée, un vocabulaire de l’intuition, des sentiments à vif. Il est curieux de noter que ses dessins (ou écrits, selon le point de vue) sont pour une grande majorité bleus. Dans ce registre, Yves Klein est une évidence. S’il peut être banal de l’évoquer, il faut se rappeler que Klein cherchait lui aussi par le prisme de la couleur, du monochrome, une élévation, une légèreté, permettant au regardeur de se fondre entièrement dans un tout. Triturant d’abord le rouge, l’orange, le jaune et le rose dans ses tableaux-monochromes, il adopta ensuite, lors de sa première exposition au Club des Solitaires (« Yves Peinture, octobre 1955) définitivement le bleu après avoir observé combien le regard pouvait être pollué par une trop grande présence de couleurs, et ce malgrés les monochromes. Son fameux bleu Klein aboutît après de nombreuses recherches, rappelant selon l’artiste, l’azur comme la nuit, une forme d’invitation à la contemplation, tantôt profonde tantôt légère, voire à la lévitation.

Hosokura parle de « l’acte photographique comme éminemment musical — on fixe tous les détails d’une photo qui, à l’esprit, constituent un seul et même moment », quand Irma Blank chante un vocabulaire sans mot ni parole, un alphabet de couleurs, ou qu’Yves Klein composait une Symphonie-monotone (1947). Il y a chez chacun d’eux la recherche d’un langage chromatique qui passe avant tout par l’émotion. Qu’importe que les photographies d’Hosokura soient identifiables, que l’image identifiable comme représentation — Ici un visage tendre perdu dans les pensées, là les flammes d’un feu agité. L’ensemble agît par petites touches sur l’humeur du regardeur.

Car au fond, l’histoire de ce Kyoto est bien simple à dire. C’est une déambulation dans « une ville très spirituelle », où les temples et rites se fondent aux avenues illuminées. Il y a de beaux visages, surpris après avoir dansé. Un vieil homme lit son journal tout absorbé. Ce sont encore des textures, les pétales blancs comme chaux sur l’eau, des ombres dansent et miroitent sur les murs, des feuillages à même la lumière. Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir. C’est l’harmonie qui compte, et son chant palpable au regard.

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