Il ne va pas de soi qu’une photographe soit plus belle que les modèles qu’elle photographie. J’ai entendu une très célèbre actrice dire à Dominique Issermann : « C’est moi qui devrait te photographier, c’est toi qui devrait être la star. » L’actrice était sincère. Mais ne lui faisait-elle pas un reproche ? Ce regard transparent et buté, que cherche-t-il ?
Il vous plaque dans une machine à lumière, un bricolage improbable mais implacable, comme aurait pu en inventer Man Ray : une rampe double ou un grill de boxe qui se répercute sur une simple glace de tailleur et baigne le visage. Les yeux ne voient plus rien, la pupille se fait toute petite, branchée en prise directe sur le diaphragme qui s’ouvre et se ferme automatiquement, tout près d’elle. On dirait que cette machine à répétition ne fait que pomper l’âme, qui se débat un peu dans la douceur d’un tel viol qu‘elle en saisit la substance volatile la plus secrète, tandis qu’une sorte de miracle esthétique – de chirurgie automatique – se produit sur la peau : à force d’avoir emmagasiné la lumière, elle la recrache, comme la Vierge fluorescente nichée dans l’obscurité.
C’est ainsi que Dominique Issermann a peut-être signé les plus beaux portraits de Catherine Deneuve, de Fanny Ardant ou d’Isabelle Adjani : en faisant de la pâleur, un système émotionnel, en laissant affluer, comme le firent les peintres de la Renaissance, ou les anatomistes, le riche tissu nerveux, en rendant rare le moindre centimètre de peau dévoilée. En ayant l’air de ne pas toucher à son appareil, Dominique Issermann a assisté ses modèles (sa voix qui sort de l’ombre du studio est plutôt celle d’une entraîneuse, d’une confidente ou la voix du miroir lui-même) dans un processus de vampirisation. Ce vampire-là vous déconcertera toujours : vous la sentez prête à mordre et elle vous effleure le bout d’un doigt.
Hervé Guibert
Hervé Guibert, décédé en 1991 du SIDA, est un écrivain, photographe, journaliste, et une figure de la critique photographique. Il a travaillé au Monde entre 1977 et 1985 et est l’auteur du célèbre roman autobiographique « À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie ». Ce texte sur Dominique Issermann est paru dans le numéro 4 du magazine FEMME, en 1985.
Dominique Issermann, A l’aéroport Charles de Gaulle de Paris
Du 3 novembre au 9 décembre 2016
Dans les 8 terminaux de l’aéroport
Aéroport Charles de Gaulle
95700 Roissy-en-France
France
http://www.dominiqueissermann.com/
http://www.parisaeroport.fr/passagers/services/actualites/d-issermann