Musicality renvoie à la beauté, à l’esthétique et au caractère concret de la musique, mais aussi à ce qui naît en elle, ce qui est inhérent à la personne musicale. Si nous les observons bien, nous voyons que presque tous les bons musiciens portent en eux cette musicalité, dans leur posture, leur façon de marcher, leurs expressions ou l’espace qu’ils investissent. C’est cette musicalité que la photographe américaine Deborah Feingold capte avec son appareil.
Bien que consciente de la présence de l’objectif, la personne représentée apparaît en train de jouer, de créer, de négocier son image avec la photographe. Même si les compositions sont parfois complexes, étrangement, le naturel prévaut toujours dans ces instants construits au millimètre. Le spectateur perçoit ainsi l’expérience d’une photographe qui sait comment préparer ses toiles pour qu’au moment de la séance, l’improvisation, l’aisance, la fluidité du moment et de la rencontre dominent. On peut dire en cela qu’elle se comporte comme un musicien de jazz. Miles Davis (que Deborah a eu l’occasion de croiser) n’improvise pas sur un champ vide ouvert : comme son ami Coltrane et beaucoup d’autres, le roi du bepbop improvise sur une mélodie spécifique, qu’il a absorbée et assimilée. Une fois qu’il la domine, il peut l’assembler et la désarmer un nombre de incalculable fois, la défaire, la disséquer, puis y revenir toujours, comme si rien ne s’était passé.
L’image suppose un temps irréversible, mais c’est cela qui crée une bonne photographie au final : elle n’aurait pas été la même une demie seconde avant ni une demie seconde plus tard. Ce qui fait une photo, dans le cas du portrait, c’est l’instant précis de la confluence entre le photographe et son sujet, moment suprême gravé dans le marbre, qui naît de tous les ingrédients préparés avec soin ajoutés à l’improvisation, et de leur union dans un mélange de temps et de magie, seul élément capable de créer une image telle que celles de Deborah Feingold. L’analyse viendra ensuite, avec les années, le temps, ce qu’est devenue la personne photographiée et si l’image atteint ou non le statut d’icône, mais l’important, l’essentiel, était là, en sommeil, depuis l’instant même où la photographie a été prise.
Diego Alonso
Diego Alonso est un auteur spécialisé dans la photographie. Il vit et travaille à Madrid.
Deborah Feingold, Portraits musicaux
Du 30 novembre 2017 au 30 janvier 2018
Mondo Galeria
San Lucas 9
2804 Madrid
Espagne
