La Cour d’appel de Versailles, rigoureuse et précise pour admettre l’originalité du portrait du violoniste Yehudi Menuhin par le photographe Louis Ingigliardi.
Le photographe Louis Ingigliardi (1916-2008), dit Ingi, a photographié le grand violoniste Yehudi Menuhin en janvier 1960, dans une de ses loges. La même année, la photographie d’Ingigliardi a été utilisée par la maison de disques du musicien pour illustrer la pochette d’un album vinyle consacré au concerto pour violon de Beethoven.
En 2016, à l’occasion du centenaire de la naissance de Yehudi Menuhin, la société BMN a édité un coffret anniversaire distribué par la société Warner Music France. Ce coffret volumineux comprenait 80 CD, 11 DVD ainsi que de multiples illustrations du violoniste, dont la photographie d’Ingigliardi de janvier 1960 reproduite par deux fois. La veuve du photographe a dénoncé la reproduction non autorisée de ce cliché photographique ainsi que l’utilisation inexacte du crédit mentionnant « Warner Music Classics » et non le nom de son défunt époux.
Assignées en 2017 devant le Tribunal de Nanterre en contrefaçon et en indemnisation des préjudices moral et financier de la veuve de l’artiste, Warner Music France et BMN devant le Tribunal de grande instance n’ont pas été condamnées au motif que la photographie ne présentait pas l’originalité requise pour être protégeable et protégée, et ouvrir droit à réparation au bénéfice de l’ayant-droit de l’artiste. Les premiers juges ont retenu les arguments des maisons de disques relevant que « les choix de (Louis Ingigliardi) sont conventionnels et ne lui permettent pas de se démarquer par rapport à d’autres photographies ». Les sociétés défenderesses arguaient notamment que l’artiste n’avait pas choisi le lieu, l’éclairage, ou encore le décor et que ni la posture, ni la technique utilisée n’était originale.
La Cour d’appel de Versailles vient de statuer en sens contraire, dans un arrêt très détaillé et didactique du 9 février 2021 (19/01470).
Contrairement au Tribunal, la Cour a estimé que la photographie de Louis Ingigliardi présentait « une particularité originale qui justifie qu’elle soit protégée par le droit d’auteur » et qu’ainsi, la veuve de l’artiste était en droit de demander une indemnisation de son préjudice moral et patrimonial pour les faits de contrefaçon et d’usurpation d’identité.
De manière préliminaire, la Cour a rappelé qu’« une photographie est originale lorsqu’elle résulte de choix libres et créatifs de son auteur témoignant de l’empreinte de la personnalité de son auteur » et que « ces choix peuvent être opérés avant la réalisation de la photographie, par le choix de la mise en scène, de la pose ou de l’éclairage, au moment de la prise de vue, par le choix du cadrage, de l’angle de prise de vue, de l’atmosphère créée (…) ».
Plus précisément, les conseillers se sont appuyés sur le fait que « le positionnement de sa main gauche en attente, sur le manche de son violon dont seule la partie haute apparaît, va à l’encontre de la plupart des photographies de violonistes célèbres produites par les sociétés intimées ».
Après avoir successivement analysé et apprécié chaque choix artistique de l’auteur à l’aune du critère légal de l’originalité, les magistrats ont conclu qu’ « (…) il résulte de l’ensemble de ces éléments la preuve que ( Louis Ingigliardi ) a effectué au travers de la sobriété de la mise en scène, de la pose suggérée du sujet, de l’absence de représentation de l’instrument dans son intégralité, limitant celle-ci à la partie sur laquelle repose la main de l’artiste, de la composition de l’image traversée par une ligne diagonale, de son travail sur le cadrage et l’éclairage, des choix personnels et libres caractérisant une création artistique » et que l’œuvre est l’archétype « (…) d’une approche propre à ( Louis Ingigliardi ) exprimant sa sensibilité personnelle à la musique et son admiration pour l’artiste ( Yehudi Menuhin ) ».
Sont dès lors caractérisés les délits de contrefaçon de l’œuvre et d’usurpation du nom de Louis Ingigliardi allégués par sa veuve qui a obtenu 8.000 euros à titre de dommages et intérêts pour les préjudices moraux et patrimoniaux liés outre 8.000 euros au titre des frais de procédure.
Confrontés à une diversité sans fin des créations artistiques et munis d’une Loi qui n’en donne aucune définition, c’est aux juges qu’il qu’appartient au cas par cas de définir l’originalité d’une œuvre, ce qu’ils ont fait de manière remarquable dans leur arrêt du 9 février 2021.
Andrea DIANO
Julie RAIGNAULT, avocat à la cour
Gramond & Associés est un cabinet d’avocats d’affaire. Il accompagne notamment les acteurs du marché de l’art dans la sécurisation de leurs projets et dans la défense de leurs intérêts.