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Contrejour : Nouvelle Photographie Française 70’ par Carole Naggar

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 CES ANNÉES-LÀ, JOURNAL DE BORD par Carole Naggar

Est-ce la nostalgie qui parle ? Il me semble que ces années-là étaient légères, ouvertes, curieuses. La photographie était toute neuve. Elle avait parfois le sens de l’humour. Elle n’était pas un objet, mais, sans poids, sans prétention, elle ressemblait à un message ailé. Elle ne se vendait pas : on l’échangeait plutôt contre un texte, un repas. Elle ne figurait que dans quelques livres. On la mettait rarement au mur et on ne parlait pas de vintage. On ne se préoccupait pas du genre ou de la race des photographes, seulement de leurs images. Se demander si seul un photographe noir pourrait photographier des Noirs ne serait pas venu à l’idée de ceux qui découvraient East 100th Street de Bruce Davidson. George Rodger avait photographié les Noubas au Soudan, mais nul n’aurait pensé à le traiter de colonialiste. L’académie et l’argent n’avaient pas fait leur entrée dans le bal, et il n’existait pas de masters ni de thèses sur la photographie. Mais il faut bien admettre aussi quelques aveuglements : bien peu de femmes photographes étaient dans le paysage. Somme toute, nous avions le sentiment de découvrir un territoire tout neuf, un peu sauvage, intrigant, que l’histoire de l’art n’avait pas touché. J’avais 20 ans. Pendant mes études – d’histoire de l’art, justement –, j’ai annoncé à mon professeur que je voulais écrire sur la photographie ; il m’a rétorqué :

– Quel gaspillage de votre éducation !…

Mais quel doux gaspillage ! J’ai bientôt quitté l’université. La photographie dans ces années-là a été pour moi le commen- cement de tout.

Et à peine découvrais-je ce médium peu noble et dédaigné de mon professeur que je découvrais en même temps les multiples façons qu’avait la photo, comme insatisfaite de ses limites, de se questionner, de se commenter, de se modifier, d’aller au-delà de la réalité du document pour embrasser de nouveaux territoires.

Toutes ces découvertes ont toujours transité par les amoureux et les amis, qui ont servi de passeurs pour m’ouvrir de nouveaux territoires historiques ou contemporains. J’allais de l’émotion à l’intellect, pas le contraire, et la théorie m’im- portait peu.

C’était immense et important de faire partie de quelque chose de neuf, de ressentir la chaleur d’un groupe, d’un clan, même, dans un « milieu » de la photo tout juste éclos et encore marginal, issu de Mai 68. C’est que nous étions peu et que nous nous connaissions tous. Ce petit groupe se faisait et se défaisait au gré de brouilles d’humeur et de réconciliations théâtrales. Paris était ivre de chantiers. En 1973, la tour Montparnasse toute neuve dressait ses 210 mètres. Paris était fait de petits immeubles, cela nous paraissait haut… Mais nous ne savions pas encore que son chantier marquait le commencement de la fin pour notre quartier du XIVe arrondissement.

Rue de l’Ouest – j’ai oublié le numéro –, entre le côté sud de la rue Daguerre et la rue Niepce, se trouvait le garage goutteux, au plafond bas et lézardé, rebaptisé rédaction et galerie. Assis sur de hauts tabourets, notre groupe – je me souviens de Florence Chevallier, Arnaud Claass, Didier Romand, Bernard Perrine, Jean-Claude Gautrand, Bernard Plossu, Jacques Marchois, Patrick Chapuis, André Laude – tapait à la machine puis donnait à assembler les colonnes du journal Contrejour. Il suffisait aux photographes de province ou de l’étranger, de passage à Paris, de pousser la porte et d’entrer pour montrer leur portfolio.

Carole Naggar

 

70′ NOUVELLE PHOTOGRAPHIE FRANÇAISE
Contrejour
Carole Naggar, Coline Olsina, Hervé Le Goff et Claude Nori
Format : 24 x 31 cm
244 pages, relié
ISBN: 979-10-90294-52-3
Prix : 40 euros
https://www.editions-contrejour.com/project/nouvelle-photographie-francaise-70/

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