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Collection Ettore Molinario : Dialogues : Claude Cahun et Gillian Wearing

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Il s’agit du dix-septième dialogue de la collection Ettore Molinario. Un dialogue qui réunit deux des artistes que j’aime le plus dans ma collection : Claude Cahun et Gillian Wearing. Deux autoportraits, l’un qui inaugure la saison la plus originale de recherche sur sa propre identité par la photographie, et l’autre qui fait d’un même sujet le « thème » social et politique du nouveau millénaire. Près d’un siècle sépare ces images, mais tout parle au présent.
Ettore Molinario

 

Même les chats de Claude Cahun sont deux, un double, un multiple de personnalités félines. L’un est allongé sur le sol et son œil est à son tour une réplique animale, instinctive et mystérieuse, de l’œil de l’artiste. L’autre est entre les mains de sa reine-maîtresse, qui peut-être le caresse, peut-être le retient ou quelque chose de plus, car elle semble doucement lui couper le souffle. Lorsque Claude Cahun réalise cet autoportrait en 1927 elle a trente-trois ans, elle a déjà rencontré et est tombée amoureuse de Suzanne Malherbe, alias Marcel Moore, un compagnon de toujours, et elle a déjà changé trois fois de nom, transformant l’originale et féminine Lucy Renée Mathilde Schowb en masculin Daniel Douglas, qui peu après devient Claude Courlis pour arriver au définitif et fluide, même au niveau familial, Claude Cahun. La métamorphose des noms raconte une nouvelle naissance sans père et mère naturels ni définition de genre, où le prénom Claude est à la fois masculin et féminin en langue française et Cahun est le patronyme de la grand-mère maternelle, également Mathilde.

La verticale des trois noms, des trois identités sexuelles, dont la neutre, ainsi que la verticale des trois générations, ancêtres, parents, enfants, se développe donc parallèlement à la verticale compositionnelle de l’autoportrait, et les deux les lignes révèlent cette imbrication de masques, de genres, de codes d’hommes et d’animaux, de souvenirs, essentiellement d’apparences, qui forment notre ego. Et cette richesse de sens a dû être si originale, si stratifiée, car c’est Claude Cahun qui a donné l’autoportrait, aujourd’hui dans la collection d’Ettore Molinario, à Robert Desnos, qui l’avait à son tour offert à Youki Foujita, qui était sa muse et son amant. Un cadeau intime, à chaque pas.

François Leperlier, le plus grand érudit de l’artiste, a rappelé que la recherche de Claude Cahun était celle d’un « exotisme intérieur », d’un regard individuel, intime et narcissique sur sa propre individualité. C’était le surréalisme, c’était l’anarchie, c’était l’exhibitionnisme baroque, c’était la sublimation de l’obscène, le dandysme, c’était le culte de soi professé par Max Stirner, un auteur très étudié par Claude Cahun, mais c’était toujours un dialogue privé. L’artiste a écrit : « Le moment le plus heureux de ma vie ? Le rêve, s’imaginer être Autre». A la politique appartenaient différents gestes, également forts et concrets, comme la résistance contre les nazis que Lucie et Suzanne – dans l’intimité et entre amis c’étaient les noms qu’elles utilisaient et non ceux inventés – avaient combattu sur l’île de Jersey, où elles s’étaient installés en 1937.

Quatre-vingts ans plus tard, en 2017, Gillian Wearing, vedette des Young British Artists, lauréate du Turner Prize en 1997, entre dans le courant qui se nourrit du génie de Claude Cahun – comme Pierre Molinier, Gina Pane, Urs Lüthi, Cindy Sherman – et pousse l’hommage à l’extrême en devenant Claude Cahun elle-même. Côte à côte, la jeune artiste et son institutrice homme et femme, Gillian et son double adoptif dévoilent un autre jeu de masques, plus contemporain, désormais extérieur à l’ego car c’est un jeu de citations. La verticale qui traverse l’inconscient de Claude Cahun devient l’horizontale de notre histoire, la chronique des jours, étant «post» à quelque chose qui s’est déjà passé. C’est encore un discours sur l’identité, sur les masques, mais c’est surtout sur les masques que les femmes ont portés pour jouer les rôles les plus chers à l’imaginaire masculin. Et bien qu’elle « incarne » Claude Cahun, Gillian est ouvertement féministe, elle parle des femmes et les défend. Et c’est peut-être pour ça qu’elle préfère les chiens aux chats.
Ettore Molinario

www.collezionemolinario.com

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