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Colette Pourroy, Ève réincarnée

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Cette semaine, la photographe française Colette Pourroy expose aux foires de Paris Photo et Fotofever sur les stands de sa galerie, Mind’s Eye, et de son éditeur, André Frère. Eve est le titre de sa dernière série d’images.

Ève, première femme, première née, sœur aînée, sœur aimée… Il y a dans cette série photographique de Colette Pourroy quelque chose de l’ordre de la déclaration d’amour sororal, exprimée avec la volonté de revisiter un territoire de l’intime et l’urgence de conjurer la fuite des souvenirs fussent-ils dévastateurs. Ces images semblent hantées par le train de la mémoire qui inexorablement poursuit sa course de l’enfance à l’âge adulte. Latentes mais résistantes, elles nous racontent une histoire jusqu’alors restée au seuil de la parole et qui trouvent dans la transposition photographique un palliatif à la douleur de l’énonciation. Le flou vaporeux, le contraste entre le blanc laiteux et le noir profond qui les caractérisent confèrent à la séquence qu’elles composent un aspect hallucinatoire. A la netteté photographique, la photographe préfère en effet une représentation délibérément troublée par une vitesse d’exposition sous-estimée, une focale imprécise et une lumière radicalement violente et écrasante comme pour donner à voir le non-dit.

Pourtant, ce n’est pas de ces rapports à l’indicible que vient le malaise se dégageant de la lecture des images mais bien plutôt de l’ambiguïté qui s’y loge. Ainsi, nombreux sont les signes de la duplicité : la main est celle qui se tend et celle qui contraint, la fenêtre peut être ouverte pour respirer l’air frais dans une pièce devenue étouffante mais aussi devenir l’instrument d’un suicide, le drap être celui sous lequel on se cache avec l’innocence des jeux de l’enfance ou avec la sensualité des premiers émois amoureux mais aussi celui qui recouvre un corps à la morgue. Dans cette narration visuelle se tissent une infinité d’histoires scandées par un certain nombre de leitmotive : l’ouverture, l’emprisonnement, le double, la dissimulation, la ligne de partage d’où émerge un « visage lunaire », une féminité fragile. La traversée symbolique des trois âges de la vie que condense ici la littérarité des images semble donner une place prépondérante à l’adolescence, à ce moment incertain de l’existence où tout peut basculer. La présence de la photographe, de la sœur, du double retrouvé après la solitude et le huis-clos n’est pourtant pas salvatrice. Il n’y a pas de reconstruction grâce au regard de l’autre, fusse-t-il photographique et empathique : une vitre, un voile persiste entre les âmes et les séparent. L’issue fatale que l’on pressentait demeure le point d’orgue de la composition.

On se souvient évidemment ici des textes de Virginia Woolf et de sa description des émotions qui souvent se dissipent dans la mort. « Sentir profondément quelque chose, c’était créer un abîme entre soi-même et les autres, qui, eux aussi, sentent profondément peut-être mais différemment » écrivait la romancière britannique dans La Traversée des apparences. La subtilité dans le partage, dans la transmission des affects est ce qui fait la force du travail de Colette Pourroy car sans doute, pour elle, la photographie conserve une fonction cathartique et lui permet de mettre en scène des épisodes de son histoire personnelle pour qu’enfin s’en libèrent les démons. Ici, il s’agit bien de souvenirs enfouis mais ils sont rejoués, réactivés par le truchement de l’appareil. Ces sentiments transposés se jouent dans un théâtre des émotions et non dans une livraison abrupte d’instants présents. Si « photobiographique » il y a ici, au sens où l’avait inventé Gilles Mora dans les années 80, c’est dans la métamorphose à l’œuvre d’une émotion personnelle en une émotion avant tout photographique, qui ne jaillit pas de l’évènement que l’on devine mais bien plutôt des images qui se dévoilent, de leur rythme haletant, de la transe qui les anime en un récit.  Les titres, alors, qui pourraient apparaître redondants tant les images parlent d’elles-mêmes, deviennent des didascalies à l’attention du spectateur, enjoint à chercher dans les plis du drap du lit, lieu de plaisir et de mort, le squelette d’une vie brisée.

 

Héloïse Conésa

Héloïse Conésa est conservatrice du patrimoine chargée de la photographie contemporaine au Département des Estampes et de la Photographie de la Bibliothèque nationale de France, à Paris.

 

 

 
Colette Pourroy, Eve
Du 10 au 12 novembre 2017
Salon Fotofever
Carrousel du Louvre
99 rue de Rivoli
75001 Paris
France
Signature du livre Ève réincarnée le vendredi 10 novembre 2017, à partir de 18h.
 
http://www.fotofever.com/

http://www.parisphoto.com/

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