Voici l’entretien entre Lilly Lulay et Sophie Bernard, dans le cadre de notre couverture du festival Circulation(s). Avec « Mindscapes », Lilly compose des paysages à partir de clichés trouvés ou achetés, elle mêle urbain et nature, couleur et noir et blanc, sous la forme de photo-collages.
Pourquoi êtes-vous devenue photographe ?
La photographie m’intéresse à la fois comme moyen d’expression artistique mais surtout pour le rôle qu’elle joue dans la vie quotidienne. De nos jours, tout le monde est photographe grâce aux appareils intégrés dans les portables et les ordinateurs. Le monde est submergé d’images. Je pense notamment à celles des caméras de surveillance présentes dans l´environnement urbain. Nous sommes cernés par la photographie que ce soit dans les espaces privés, publics ou virtuels. Dans mon travail, j’utilise des images produites par d’autres, qu’elles soient argentiques ou numériques. Dans mes différents projets (collages, vidéos, installations), j´interroge le caractère social du médium ainsi que les effets que la photographie peut avoir sur notre perception du monde, qu’elle soit individuelle ou collective.
Vivez-vous de la photographie ?
Dès les dernières années de mes études, j’ai commencé à être pésente en galerie – Ilka Bree à Bordeaux, Kuckei + Kuckei à Berlin -, ce qui me permet aujourd’hui de vivre de mon travail artistique.
Avez-vous déjà publié un livre ?
Je viens de publier un ouvrage dédié à ma série de photocollages Mindscapes qui est exposée au festival Circulation(s). C’est une série de pièces uniques que je poursuis depuis 2007. Ces collages se sont développés et transformés en interaction et réaction avec d’autres projets que je mène parallèlement.
Comment avez-vous connu le festival Circulation(s) ? Qu’en attendez-vous ?
C’est à des lectures de portfolio à Hambourg que j’ai fait la connaissance de Carine Dolek qui m’a incitée à postuler. Je suis très contente de participer au festival et ainsi de pouvoir échanger avec de jeunes artistes européens, toute l’équipe du festival Circulation(s) et plus largement, j’espère.
Décrivez le propos de votre série.
L’idée initiale de la série Mindscapes est de faire une peinture avec des photographies. Au lieu de mélanger des couleurs sur une palette comme le peintre, je me sers des couleurs et des structures que j’extrais d’images d’archives : photographies intimes et anonymes provenant de différents contextes et époques. Ainsi, un bleu ciel est littéralement un ciel bleu. Cependant, un bout de ciel découpé ne doit pas rester un ciel. Il peut devenir de l´eau, une montagne, un bout de tronc d´arbre, etc. En effet, je ne crois pas qu’une image porte un message particulier ou a une signification en soi. C’est le contexte et la personne qui la regarde qui donnent son sens à l´image. D’où le titre, Mindscapes. Ces collages sont une tentative de représenter et de visualiser un endroit auquel on ne peut avoir accès avec un appareil photo : l’esprit. C’est là où les images sont véritablement produites. Les Mindscapes proposent plusieurs images et font référence à de multiples réalités à la fois. Vus de loin, on aperçoit des paysages et des scènes urbaines ; vus de près, on remarque que les Mindscapes n’offrent pas du tout une représentation cohérente du réel mais des fragments visuels qui sont intercalés, superposés, en partie cachés… Les Mindscapes reprennent ainsi la structure de la mémoire et démontrent que c´est le spectateur qui construit l’image à partir de son propre savoir et de ses souvenirs personnels.
En quoi consiste l’étape préparatoire de cette série ?
Collectionner des photos partout où je vais.
Quels sont vos maîtres ou vos références dans la photographie ou dans l’histoire de l’art ?
Il y en a beaucoup… Dans le domaine de la photographie et du collage, les artistes Dada Hanna Höch, George Grosz et Kurt Schwitters m’ont particulièrement intéressée au début de mes études d‘art. Puis, comme mon travail est devenu plus conceptuel, j’ai commencé à m’intéresser à la picture generation et à sa façon d’utiliser les médias visuels et de poser une réflexion sur ce domaine. “La grosse fatigue” de Camille Henrot que j’ai vue récemment m’a beaucoup impressionnée. Cette vidéo est un collage extraordinaire qui aurait certainement plu aux Dadaïstes… Enfin, des théoriciens comme André Gunthert, Philippe Dubois, Walter Benjamin, Bernd Stiegler ou Hans Belting ont une influence forte sur ma façon d’approcher et de traiter le médium photographique.
Pensez-vous que la photo ou une photo peut changer le monde ?
Comme je l’ai dit précédemment, je ne crois pas que c’est une photo en soi qui peut montrer ou changer quoi que ce soit. C’est son utilisation et sa contextualisation qui comptent. En tout cas, je suis convaincue que le développement des techniques photographiques va continuer de bouleverser nos vies et nos façons de percevoir et d’interagir avec notre environnement.
FESTIVAL
Festival Circulation(s) – Jeune Photographie Européenne
Du 26 mars au 26 juin 2016
CENTQUATRE
5 rue Curial
75019 Paris
France
Fermé le lundi
Plein tarif : 5 euros
Tarif réduit : 3/2 euros
Les expositions en plein air sont libres d’accès ainsi que Little Circulation(s)
Catalogue
Editions 2016, 22 euros
http://www.festival-circulations.com
http://www.lillylulay.de
LIVRE
Mindscapes
Lilly Lulay
88 pages, édition Revolver, Berlin
(éditeurs : Lilly Lulay avec la galerie Ilka Bree Bordeaux et Kuckei + Kuckei Berlin)
22 €